Brésil : L’AGONIE D’UN SYSTÈME DE POUVOIR, par François Leclerc

Billet invité.

Comment le Brésil va-t-il sortir de la crise sans fin dans laquelle son système politique est désormais ancré ? Bien qu’à son tour mis en accusation pour corruption par le procureur général, le président Michel Temer s’accroche au pouvoir en dépit d’une cote de popularité tombée à 7% au plus bas.

Il a déjà échappé à son sort dans des circonstances qui en disent long sur la décomposition politique existante : dans une autre procédure, qui aurait pu aboutir à sa destitution, le tribunal électoral a tout simplement décidé de ne pas prendre en considération des preuves accablantes, reconnaissant ouvertement ne pas vouloir assumer les conséquences du verdict de culpabilité qui en aurait découlé.

Il n’y a aujourd’hui aucune réponse à cette question, car la gangrène du système est générale et fait obstacle à l’apparition d’une alternative. Dans ces cas-là, le pire est toujours craint. Non pas une solution militaire en la circonstance, mais l’émergence d’un pouvoir reposant sur l’extrême-droite évangéliste et ses puissants réseaux, qui pourrait facilement intervenir. Le vide politique ambiant doit d’une manière ou d’une autre être comblé, et la perspective du retour de Lula, toujours donné gagnant dans les sondages, est un espoir qui risque fort d’être déçu, tout étant fait pour l’empêcher de se représenter en obtenant sa condamnation, lui aussi pour corruption.

Ce qui se passe doit être mis en perspective. L’actuelle opération « Lava jato » (lavage express) a pour origine la crise de la « mensalão  » (mensualité) de 2015, un scandale de corruption politique impliquant le Parti des travailleurs qui s’était acheté une majorité au Congrès pour le compte de Lula. La gauche brésilienne s’était pour l’occasion mise au diapason des pratiques politiques dont sa dénonciation avait auparavant fait sa fortune.

Prenant la succession de Lula au bout de deux mandats, le départ forcé de Dilma Rousseff s’est inscrit dans le cadre du désenchantement qui a suivi ce reniement. La poursuite de la mise en œuvre de sa politique économique conservatrice et l’abandon de la promesse d’une transformation radicale de la société brésilienne au profit d’une redistribution très limitée de la richesse a achevé le travail. Si Lula et Dilma sont parvenus à réduire l’étendue de la pauvreté et de la misère brésilienne, ils ont parallèlement contribué à accentuer les inégalités sociales.

Aujourd’hui, Michel Temer s’appuie sur un réseau de connivences tarifées au sein du monde politique et des élus. Les deux-tiers d’entre eux devraient en effet approuver son acte d’accusation, mais un vaste réseau de solidarité s’est institué entre les 185 députés (sur 513) qui sont la cible d’enquêtes pour corruption, constituant une minorité de blocage en quelque sorte !

Le scénario de son départ forcé se heurte à un autre obstacle : il n’y a plus de vice-président pour prendre sa place, et la constitution prévoit que le Congrès doit élire un nouveau président dans les trente jours. Pour que ce mécanisme fonctionne, il faudrait toutefois qu’un candidat susceptible de rallier la majorité des suffrages apparaisse, qui serait lui-même, inévitablement, l’expression et le prisonnier de ce monde bâti sur la corruption. En attendant, le président de la Chambre des députés Rodrigo Maia, ferait temporairement fonction, bien que lui-même visé par « lava jato »…

Pour sortir de cet enfermement, la gauche brésilienne a bien tenté d’impulser une campagne en faveur d’une élection directe du président, mais une telle réforme réclamerait l’appui du Congrès où elle n’a pas les soutiens nécessaires !

Il faut se tourner du côté des milieux d’affaires pour trouver des points d’appui au président, qui expliquent qu’il ne s’effondre pas. Ceux-ci craignent en effet que son départ forcé fasse entrer le pays dans une phase de grande instabilité ; ils espèrent qu’il sera en mesure de faire adopter, en contrepartie de leur soutien, des mesures d’austérité impopulaires au rang desquelles figurent la réforme des retraites et la libéralisation du marché du travail. Un gel des dépenses publiques pour vingt ans est déjà intervenu.

Après des années de forte croissance et de mondialisation triomphante de la période de l’avant-crise, le Brésil est entré en récession et les vieilles recettes s’imposent aux yeux des nantis, au détriment des fragiles et émergentes classes moyennes. Le miracle brésilien n’est pas pour elles. Et pour ceux d’en-bas, rien ne changera.

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