« Pas de décroissance sans remise en question de la propriété privée », le 27 juillet 2014. Merci à Marianne Oppitz !
Moi, personnellement, je suis dans une situation paradoxale, c’est-à-dire que les décroissants me considèrent comme l’un d’eux et que moi j’explique pourquoi ce n’est pas possible dans le cadre existant. Pourquoi est-ce que je dis que ce n’est pas possible dans le cadre existant ? Parce que je ne pense pas qu’on puisse appliquer un programme de type « décroissantiste » sans modifier de manière radicale la définition de la propriété privée dans nos sociétés. C’est-à-dire que cela demande un changement dans les mentalités et dans la réalité juridique, qui est beaucoup plus radical que ne l’imaginent les décroissantistes.
Pourquoi ? Parce que d’où vient cette croissance ? On ne peut pas dire simplement : « On va supprimer la croissance ! » ou « On va décroître ! » et les questions vont se résoudre automatiquement. Pourquoi ? Parce que nous sommes dans un régime où la croissance est nécessaire – non pas nécessaire pour des raisons d’existence du monde sous une certaine forme – mais elle est nécessaire parce que des intérêts doivent être payés pour récompenser les sommes qui ont été empruntées, ces intérêts doivent être produits à partir d’une nouvelle richesse et, sans la croissance, cette nouvelle richesse ne peut pas exister.
Alors, je dis aux décroissantistes : « Moi, je suis pour le fait qu’on arrête la croissance, et même qu’on décroisse, mais il faut savoir que ça ne peut pas se faire sans l’élimination du paiement des intérêts ! » Tant qu’on est d’accord sur le principe des intérêts, il faut savoir qu’il faut trouver cet argent là quelque part parce que payer les intérêts, ça ne peut pas être simplement percevoir des sommes qui existent déjà – ça existe dans un cas, c’est le cas du prêt à la consommation où les ménages vont emprunter et vont rembourser à partir de salaires qui vont venir – mais, dans l’industrie, dans les services : non, il faut trouver, quelque part, la richesse supplémentaire.
Quand on plante un grain et puis qu’on va – par du travail, par des machines, des outils – on va produire à partir d’un grain, on va produire un épi où il y aura 20 grains au total : on aura créé un surplus de 19 grains. Ces 19 grains vont pouvoir être utilisés pour récompenser les uns ou les autres. Et dans le système où nous existons, le prototype de cela, c’est ce qu’on appelle le contrat « fifty-fifty » [cinquante/cinquante]. C’est un contrat de métayage, où l’agriculteur qui produit cet épi, de manière classique dans nos sociétés, n’est pas propriétaire de son terrain. Et « fifty-fifty » pourquoi ? Il va devoir donner la moitié des grains à un propriétaire. On pourrait faire sans ! Si lui était propriétaire de son terrain, il pourrait en faire 15 et ça suffirait amplement. Mais, le contrat est tel qu’il faut en créer 15 supplémentaires pour donner au propriétaire.
Donc, si on dit : « La croissance est une mauvaise chose parce que, par exemple, nous utilisons 1,6 planète par année, il faut tomber à 1 », il faut tomber à 1, mais on ne peut pas le faire dans le cadre dans lequel nous sommes parce que nous sommes contraints par le fait qu’il faut donner la moitié de la moisson au propriétaire. Et, l’exemple de la moisson est un exemple, je dirais, un peu archaïque mais le système de paiement des dividendes pour des actions, c’est le même système. C’est une part [les Anglais disent d’ailleurs « share » pour une action], c’est du bénéfice qui est distribué. Pourquoi ? Parce que l’actionnaire a fait des avances (pour utiliser le vocabulaire du 18e siècle) : il a fait des avances et il reçoit une part de la richesse créée. Si on ne veut pas qu’il y ait croissance, il ne peut y avoir de dividendes, il ne peut pas y avoir de paiement d’intérêts. Il faut le savoir.
Cela ne veut pas dire que moi je sois en faveur de la croissance ! Mais je dis simplement aux décroissantistes : « Sachez les implications d’un monde sans croissance ! ».
Les implications ? C’est qu’il va falloir convaincre les actionnaires qui reçoivent des dividendes, qu’ils n’en recevront plus. Que ceux qui reçoivent des intérêts sur les sommes qu’ils prêtent, qu’ils n’en recevront plus non plus.
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