Trump & Co : les laissés pour compte de l’ascenseur social, le 12 août 2018 – Retranscription

Retranscription de Trump & Co : les laissés pour compte de l’ascenseur social. Merci à Grégoire Pichard, à Olivier Brouwer et à Anonymus ! Ouvert aux commentaires.

Bonjour, nous sommes le [dimanche] 12 août 2018 et hier, j’ai fait une vidéo qui s’appelait : « Trump : ce qui apparaît en surface n’est pas beau à voir » et là, j’ai fait une chose que je devrais faire plus souvent : je me suis interrompu au bout de 12 ou 13 minutes alors que j’aurais pu me lancer dans une seconde partie, cela aurait fait une vidéo très, très longue. Mais certains d’entre vous, à l’esprit particulièrement aiguisé, ont pu deviner qu’il y avait une suite prévue, parce que j’ai cité une liste de trois personnes dont un seul nom était connu et dont rien n’a été dit à propos des deux autres.

Alors, les trois personnes dont j’ai parlé étaient M. Paul Manafort – et là, toute ma vidéo était consacrée au procès qui se tient en ce moment et dont il est l’accusé – et j’ai mentionné deux autres personnes: Roger Stone et Lee Atwater, et, d’eux, je n’ai rien dit d’autre qu’une phrase qui les comprenait tous les trois, du genre : « Il n’est pas facile, quand on veut devenir un jeune loup aux dents longues dans le monde politique, quand on n’est pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche, quand on n’a pas fait les bonnes écoles, quand on n’est pas allé dans les bonnes universités. » Que se passe-t-il en suite ? Et là, vous avez pu le comprendre avec Manafort, qu’il a fait fortune en étant un conseiller de dictateurs, et ensuite en ne payant pas les impôts sur les sommes considérables qu’il recevait, en mentant à des banquiers, à des comptables, à des juristes qui ont fermé les yeux mais qui, quand ils se retrouvent dans un procès et qu’on leur dit : « Est-ce que vous saviez en votre for intérieur que c’était malhonnête ? », eh bien, ils disent « oui » pour ne pas avoir des peines de prison trop longues à la clé.

Paul Manafort, Roger Stone and Lee Atwater, young Republicans political operatives who have set up lobbying firms. (Photo by Harry Naltchayan/The Washington Post via Getty Images)

Alors, qui sont ce Lee Atwater et ce Roger Stone ? Lee Atwater est mort, il est mort jeune, il a eu une tumeur au cerveau à l’âge de 39 ans et est mort à l’âge de 40 ans. Et je vous montrerai une photo, une photo des trois. Pour ceux qui le souhaitent, il faudra aller sur mon blog pour voir une photo des trois jeunes loups aux dents longues. Ils sont jeunes effectivement car ils ont l’air d’avoir sur la photo entre 30 et 35 ans. Il y a là Lee Atwater, Roger Stone et Paul Manafort et ce sont des jeunes liés au Parti républicain américain.

Et donc, Lee Atwater, mort très jeune, a été le directeur de campagne du Parti républicain. Il s’est fait remarquer par ses procédés extrêmement brutaux : des attaques ad hominem, des rumeurs non fondées sur les ennemis. Il a été considéré rapidement comme un maestro dans le domaine des campagnes, présidentielles et électorales de manière générale, où tous les coups sont permis. Et alors, chose intéressante : sur l’année qui s’écoule entre le moment où il a été diagnostiqué avec une tumeur au cerveau et le moment où il meurt, il passe cette période-là à faire des excuses aux gens qu’il a maltraités. Il envoie des lettres, en particulier à Michael Dukakis, un candidat démocrate, où il s’excuse. Il est apparemment conseillé – il se convertit au catholicisme – par un curé, un prêtre (sourire). Il y a peut-être beaucoup d’écriture du prêtre dans les lettres qui ont été envoyées mais il passe sa dernière année à envoyer systématiquement des lettres aux gens en disant : « Je n’avais pas compris comment était la vie, c’est davantage une histoire de cœur qu’une histoire de faire du pognon. » C’est dit comme ça, si vous voulez aller voir sa notice Wikipédia. Voilà. C’est quelqu’un qui cherchait la rédemption en fin de parcours, mort très jeune.

Alors, Manafort, on en a parlé hier, maintenant Roger Stone. Roger Stone, le troisième sur la photo que vous allez voir, un personnage qui a toujours été dans les marges, un homme de tous les coups, pas lié nécessairement à des mafias, mais aux pratiques les plus sordides dans les coulisses des partis politiques. Dans tous les coups tordus, il est là, et il s’en vante, et de toutes ses frasques, il dit : « Je suis trisexuel, j’ai tout essayé ! » Il a probablement une liaison avec une femme qu’il a recueillie, dont il est le parrain du fils et qui est une ancienne tenancière de maison close, une femme qui s’appelle Kristin Davis qui va aussi être entendue comme Roger Stone – pratiquement tous ses acolytes, à Roger Stone, vont être entendus par la commission Mueller. Cette dame a été tenancière de maison close de haut vol ; elle explique qu’elle est née dans un milieu défavorisé, dans ce qu’on appelle en américain de manière extrêmement cruelle, trailer trash, les détritus des roulottes. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ce sont les personnes qui vivent dans des habitations provisoires… comme des caravanes ou des mobile homes. Je m’interromps un peu parce que j’ai connu des personnes comme ça, et en particulier, il y a un très beau livre de photos par une très, très grande photographe américaine – je vous mettrai le nom en dessous parce qu’il ne me revient pas immédiatement – qui a fait énormément de photos avec ces personnes [Mary Ellen Mark (1940-2015)]. Ce sont des poor Whites, des pauvres blancs, des gens qui sont comme le Lumpenproletariat dont on parlait l’autre jour.

Donc, cette dame est née dans ce milieu-là et elle en parle avec beaucoup de franchise, et elle dit aussi qu’elle a découvert assez rapidement que les hommes d’affaires quand ils célèbrent une grande victoire, eh bien, ils aiment bien se promener avec des prostituées qu’on paye grassement et qui sont très très belles, et qu’elle en a fait un business. Elle a fait de la prison pour ça, elle a fait de la prison aussi pour distribution de drogue non maîtrisée. Et son titre officiel, en ce moment, c’est d’être webmaster de Roger Stone ! Personne n’y croit, lui non plus ! Et pourquoi ce Roger Stone va-t-il passer devant la commission Mueller ? C’est parce qu’il est depuis très très longtemps dans le collimateur. Pourquoi ? Parce que c’est la personne qui s’est vantée de savoir comment obtenir et d’avoir obtenu les informations volées, hackées, sur le comité présidentiel Démocrate. Il semble qu’il avait une connaissance par avance de ce que les Russes allaient faire, lui a dit qu’il n’a jamais été en contact qu’avec « Guccifer 2.0″, dont il imaginait qu’il n’était pas Russe, qu’il était Roumain, mais en fait, l’acte d’accusation qui parle de l’inculpation, le mois dernier, d’une série de fonctionnaires du renseignement russe mentionne Stone comme « personne n° 1 » – sans le nommer, mais il s’agit véritablement de lui.

Il s’est vanté d’avoir rencontré Julian Assange dans un but de coordonner la distribution de ce genre de matériau. Et en passant, je signale que Assange dit que ce n’est pas des Russes qu’il a obtenu ces informations. Voilà, [il y a] présomption d’innocence tant qu’il n’y a pas de preuve à l’appui. Assange aussi, on lui demande de venir témoigner dans le cadre de l’enquête de M. Mueller.

En fait, Stone a expliqué par la suite qu’il bluffait quand il avait dit qu’il avait rencontré Assange. Il a obtenu l’information par le biais d’une autre personne, un certain Randy Credico, et si vous voulez rire un peu en lisant le Curriculum Vitae de quelqu’un sur Wikipédia, il faut comprendre le parcours de M. Randy Credico, qui commence sa carrière à gauche, sur la défense des Afro-américains, dont il considère, et il a tout à fait raison, qu’ils sont une cible de la justice américaine de manière tendancieuse, de manière sélective, en particulier avec un système de lois, un système pénal qui attaque tout particulièrement des habitudes qui peuvent être liées à une culture particulière… Ensuite il s’est affirmé libertarien et il est carrément passé à l’extrême-droite. C’est un personnage extrêmement pittoresque, en tout cas très folklorique. Il s’est présenté à des millions d’élections et vous pouvez voir qu’il a obtenu 0,6% à telle, 1,5% à telle autre. Haut en couleur, si vous voulez le voir à la télévision, il y passe assez souvent avec des cravates que lui a données Andy Warhol et dont il distribue des exemplaires sous cellophane généreusement aux journalistes qui le reçoivent. C’est un personnage haut en couleur mais aussi quelqu’un qui n’a pas la moindre notion de ce qui est bien et de ce qui est mal.

Et c’est là-dessus que je vais terminer. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Trump, de Roger Stone, de Manafort ? Ce sont des gens qui sont arrivés là où ils sont arrivés en faisant feu de tout bois, en considérant que business is business, en prenant des raccourcis par rapport à ce qui est considéré comme un comportement honnête. Et bien sûr, ils se trouvent maintenant dans une situation où ils vont être broyés par des procès qui vont leur être faits. On pourrait dire, et j’aurais une tendance un peu naturelle aussi à dire ce genre de chose, le système est biaisé contre ces gens-là.

Le système est biaisé contre eux. On parle d’ascenseur social mais on sait bien que, et là j’y ai fait allusion hier, que l’ascenseur social, ça ne marche pas vraiment et que si on veut, en partant de nulle part, arriver au sommet, il faut couper les angles, il faut prendre des raccourcis, il faut prendre la diagonale, et on n’y arrive pas sans ça. Alors, une fois qu’ils arrivent au sommet, on pourrait presquedire qu’il y a un deep state, il y a une institution un peu secrète manipulée par les élites qui va faire la peau à ces gens-là.

Et donc, voilà, le système est truqué et c’est de ça qu’il s’agit. Mais, mais, il faut dire la chose suivante : ce sont des gens qui, quand ils arrivent au sommet, et on le voit avec Trump, on l’avait déjà vu avec Mme Thatcher, veulent gérer la relation entre les États au niveau international comme on le fait avec une boutique. Ils le font déjà au niveau de l’État, et là on les a, il faut bien le dire, on les a laissés faire. Mme Thatcher, fille d’épicier, a pu arriver au sommet.M. Ronald Reagan, acteur sympathique mais vraiment de films de série B, c’est-à-dire ceux à très peu de budget qu’on mettait en seconde partie dans les double bill, dans les double feature, quand on a essayé d’attirer le chaland dans le cinéma en ajoutant un deuxième film en deuxième partie, mais un film qui ne coûtait pas cher et avec des acteurs qui n’atteignaient jamais le sommet.

La preuve qu’il n’y a pas de deep state de manière systématique, c’est que Mme Thatcher est devenue un premier ministre extrêmement influent, M. Ronald Reagan aussi, et ils ont imposé des manières de gérer les États qui sont des manières de gérer la boutique. Alors, qu’est-ce qui change maintenant ? C’est qu’à force de prendre la diagonale, à force de couper les angles, il y a un certain nombre de choses que ces gens n’ont pas comprises, et qui sont qu’il y a quand même des choses qu’on ne peut pas faire quand on gère un État. Par exemple, comme le fait M. Trump systématiquement, de mettre dans le même sac les alliés historiques du pays et ses ennemis historiques, ses ennemis présents et ses alliés présents, de tout secouer et puis de tirer un peu au hasard les noms d’un chapeau en disant, à partir de maintenant celui-là c’est un ennemi et celui-là c’est un ami, ça, là, effectivement, il ne s’agit pas de deep state, il s’agit de cette structure qui est faite des services secrets, de la justice, du contre-espionnage, qui sont l’armature d’un État et qui vont vous dire : il y a des choses qu’on ne fait pas, il y a une limite à ce qu’on peut faire quand on gère un État comme une boutique, et celle qui consiste à ignorer les interférences, les ingérences d’un pays qui est un rival au moins, sinon un ennemi, sur le plan militaire, on ne peut pas considérer ça que c’est exactement la même chose et taper sur l’épaule de Poutine et donner un grand coup de pied dans le cul, si vous me permettez, à Mme Theresa May et à Mme Merkel, ça c’est la limite.

Et là effectivement, le système est un peu biaisé – c’est le mot américain qui me vient, rigged – il est biaisé contre ces gens-là parce qu’on a pu accumuler lors de leur ascension de tels dossiers sur eux qu’on peut maintenant faire comme avec M. Manafort, on peut l’accuser, on peut essayer de le faire tomber pour avoir été un agent des ingérences russes en Amérique, mais en lui faisant simplement un procès sur le fait qu’il n’a pas payé ses impôts, sans même mentionner le fait que l’argent qu’il a obtenu, c’est [de la part de] dictateurs étrangers. C’est la même procédure que pour Al Capone, Alphonse Capone. Là il ne s’agissait pas de politique – je ne crois pas qu’il avait l’intention d’essayer de devenir président – mais d’un système de gangstérisme qui commençait à gangrener l’ensemble. Ici il y a effectivement quelque chose qui n’est pas nécessairement le deep state mais qui résiste, il y a un système immunitaire qui est en train de se débarrasser de M. Trump et de ses acolytes, et qui met en évidence à la fois les choses que ces gens font en n’ayant plus du tout de référence de type éthique, et aussi le fait que l’image d’Épinal, le chromo de l’ascenseur social, il n’est pas véritablement là, c’est toujours un petit peu un bobard qu’on raconte aux gens, comme Veblen déjà expliquait en 1904, qu’il n’y a pas comme les gogos, les braves gens l’imaginent, il n’y a pas un souci nécessaire du côté du monde des affaires pour que tout le monde soit heureux et que tout le monde soit content.

Voilà, prochain épisode du feuilleton je ne sais pas [quand], on va voir.

À bientôt !

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