Le Monde / l’Écho – Facebook : Vie et mort d’un business plan, le 3 décembre 2018

Le Monde : « Le plus étonnant dans la chute de Facebook est peut-être que l’on s’en étonne »

L’Écho : Facebook, vie et mort d’un business plan

La compagnie américaine Facebook, fondée en 2004 par Mark Zuckerberg, qui en est toujours le président et en contrôle 60%, compte 30.000 employés et gère un réseau social de deux milliards d’utilisateurs. Son chiffre d’affaires en 2017 a été de 35 milliards d’euros. Mais au cours des cinq derniers mois, l’action Facebook a perdu 38% de sa valeur, dont 21% sur la seule semaine du 24 au 30 juillet. La perte se monte, pour ses actionnaires, à plus de 100 milliards de dollars. Certains réclament la démission de Zuckerberg.

Le plus étonnant dans cette chute est peut-être que l’on s’en étonne. Car après tout, quel est le rapport entre ces chiffres faramineux et le jeu inventé par des étudiants d’Harvard dans des soirées bien arrosées pour partager leur appréciation sur les filles du campus : « baisable, ou pas ? ». Le film The Social Network, de David Fincher, inspiré d’un récit de Ben Mezrich The Accidental Billionaires (2009), rappelant cela, met en scène un Zuckerberg prétentieux, pédant et goujat, que les femmes éconduisent.

Surprenant aussi est la bienveillance des utilisateurs et des actionnaires, des utilisateurs et des financiers envers une entreprise dont le « business model » est basé sur le mensonge de l’innocuité de la publicité, de l’hyper-surveillance, et de la manipulation en général.

Il s’agissait au tout début de créer un trombinoscope unique pour Harvard à partir de bases de données disparates, puis d’étendre l’outil à d’autres universités tout en maintenant une image d’exclusivité. La solution : permettre aux premiers membres sélectionnés d’en coopter d’autres, qui se verraient ainsi honorés d’accéder au même privilège pour partager informations, photos, messages, avis, opinions, le tout « gratuitement ». Gratuité fondée bien sûr sur une largesse puisque les données recueillies sont éminemment monnayables (en 2015, de 75 cents à 5 dollars par individu) et utilisables par quiconque voudra en tirer parti, qu’il s’agisse d’entreprises cherchant à vendre un produit, de gouvernements fichant leurs contestataires, ou de partis voulant faire voter pour eux.

Comme on le sait, cette utilisation de Facebook par les commerçants et les gouvernements n’ont irrité jusqu’ici que lesdits contestataires, opposants de la société marchande comme contestataires du cyber despotisme.

Il aura donc fallu attendre que la complicité de Facebook avec des officines manipulant le résultat d’élections éclate au grand jour, en mars 2018 avec l’affaire Cambridge Analytica, pour que le businesss model hérité d’une blague de potache soit enfin remis en question. Cette compagnie britannique, fondée par Robert Mercer, libertarien militant richissime grâce à son fonds spéculatif Renaissance Technologies, et Steve Bannon, figure de l’extrême-droite américaine identitaire, directeur de campagne de Trump en 2016 puis stratège en chef à la Maison-Blanche de janvier à août 2017, a exploité les données Facebook de 87 millions d’Américains (3.000 à 4.000 données par individu) pour tenter d’influencer les électeurs par des messages ciblés. L’élection de Trump en novembre 2015 s’est décidée sur trois États : le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin, où sa victoire s’est jouée à respectivement 0,2, 0,7 and 0,8% seulement. Or une étude universitaire (Fake News May Have Contributed to Trump’s 2016 Victory, par Richard Gunther, Paul A. Beck, Erik C. Nisbet, le 8 mars 2018) a montré que le vote a pu être infléchi par ces messages ciblés pour 2% à 4% des électeurs. Cambridge Analytica a pesé de la même façon, avec les mêmes méthodes, sur le résultat en faveur du Brexit.

C’est donc finalement l’éventualité que les résultats de l’élection présidentielle aux Etats-Unis et du referendum au Royaume-Uni aient été faussés en faveur de Trump et du Brexit qui aura condamné le business plan de Facebook, et qui menace aujourd’hui l’avenir de son ambitieux président et PDG.

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