Mario Draghi a quitté la semaine dernière son poste de président de la Banque centrale européenne.
Le 21 octobre, le Financial Times proposait un bilan de l’action du président par Valentina Romei et Martin Arnold, intitulé « Le mandat BCE de Draghi : Sauvant l’euro, défaillant sur l’inflation ».
Pourquoi défaillant sur l’inflation ? Deux personnes interrogées s’expliquent.
« Le plus grand paradoxe de Mario Draghi est qu’il a été l’un des plus actifs et des plus crédibles des banquiers centraux de l’histoire moderne, et pourtant il quittera la BCE avec l’un des pires palmarès en termes de ciblage de l’inflation », déclare M. Frederik Ducrozet, stratège chez Pictet Wealth Management.
Quant à M. Christian Odendahl, économiste en chef au Centre for European Reform, il affirme pour la même raison : « Il n’y a pas d’autre manière de le formuler : sous M. Draghi, la BCE a échoué à remplir son mandat ».
Des mots bien durs, alors que le ciblage de l’inflation sur une base annuelle de 2%, que M. Draghi n’a pas atteint, ternissant prétendument son image, n’est rien d’autre qu’une superstition privée d’aucune justification.
Pourquoi faudrait-il qu’une banque centrale ait pour objectif une inflation à 2% ?
L’inflation est une augmentation du prix des biens et des services. L’un des mandats d’une banque centrale étant la stabilité des prix, il en découle logiquement que sa cible devrait être une inflation à 0% et non de 2%.
Les principaux facteurs conduisant à des prix plus élevés sont la hausse du prix des matières premières, de nouvelles taxes, un taux de profit plus élevé des entreprises ou une hausse des salaires répercutée par les firmes dans le prix des biens et services.
Le prix des matières premières est en principe déterminé par la rencontre de l’offre et de la demande. Celle-ci ne joue en réalité qu’un rôle mineur, le prix des matières premières se déterminant sur des marchés à terme (le prix au comptant s’alignant sur celui à terme) où une majorité des intervenants sont des spéculateurs. Seules exceptions : les marchés à terme du pétrole brut et du gaz naturel (60% de « négociants »). Sur le marché de l’or, 80% de spéculateurs. Plus surprenant, et sans aucun doute, malsain : de l’ordre de 85% de spéculateurs sur les marchés du blé et du bétail sur pied. Dans les six premiers mois de 2008 le prix du brut avait augmenté de 42 % (de 99 $ du baril à 141 $), alors que la demande baissait en raison du début de la récession. La hausse était entièrement due à la spéculation : de gros intervenants se couvraient contre une baisse probable du dollar. Conclusion : il est impossible dans la pratique de déterminer les fluctuations du prix des matières premières à partir de l’offre et de la demande.
Facteur plus prévisible de hausse générale des prix : des gains salariaux répercutés par les firmes sur le prix des biens et des services.
C’est là bien sûr que se trouvait la source habituelle de l’inflation : dans la fameuse « spirale inflationniste » dont le mécanisme est simple. Une hausse des salaires augmente le pouvoir d’achat. La hausse des salaires est répercutée dans le prix des biens et services. Ce qui annule l’amélioration du pouvoir d’achat. D’où, de nouvelles revendications salariales. Débouchant sur une hausse des salaires. Et ainsi de suite.
Que veut dire alors « se fixer un objectif d’inflation de 2% annuels », sinon « éroder d’office le pouvoir d’achat des salariés de 2% », sous-entendu « sans que le prix des marchandises et des services augmentent pour autant ».
Astucieux sans aucun doute, mais mettant entre parenthèses qu’un pouvoir d’achat faible ne peut que partiellement être compensé par du crédit, sauf… si le crédit est très peu coûteux.
Or durant le mandat de Mario Draghi, un équilibre s’est établi, ignorant les superstitions des économistes : pas de gains salariaux, mais pas d’érosion du pouvoir d’achat du fait de l’inflation ; pouvoir d’achat médiocre, mais crédit bon marché (grâce aux taux négatifs des banques centrales).
Je ne me prononcerai pas sur la question s’il y a là des raisons de féliciter chaleureusement Mario Draghi, mais il n’y a en tout cas aucune raison de le blâmer, la stabilité des prix étant au premier rang du mandat des banques centrales.
Foin des économistes superstitieux : mission accomplie M. Draghi ! Sur ce plan là, certainement, bravo !
Un pouce pour Vincent T !