Paul A. Volcker (1927–2019)

Paul Volcker qui fut président de la Federal Reserve, la banque centrale américaine de 1979 à 1987, est mort.

Il était un peu un de mes héros pour s’être attaqué à la spéculation, système de prédation additionnel sur le dos de la finance qui en est déjà un en soi. Et je m’étais dit que j’allais vous rappeler qu’en 2010, le président Obama avait fait de Volcker à nouveau l’un de ses conseillers pour faire passer ce qu’on appela alors la Volcker Rule, la règle Volcker, interdisant la spéculation par les banques sous la forme appelée là proprietary trading, en français : opérations sur fonds propres.

Je me dis alors, quoi de plus pratique pour me rafraîchir la mémoire que de saisir dans ma bibliothèque, l’ouvrage  Volcker. The Triumph of Persistence, une biographie par William L. Silber, publiée en 2012 ?

Or quelle n’est pas ma consternation de découvrir que lors du débat sur la Règle Volcker, quand le sénateur républicain Mike Johanns demande à l’ancien président de la Fed si sa Règle aurait pu empêcher l’effondrement de Lehman Brothers et de la compagnie d’assurance AIG, Volcker concède que non, il n’y a pas de rapport entre sa proposition et cet effondrement alors que la moitié à peu près des pertes d’AIG étaient précisément spéculatives : des positions nues sur Credit-default Swaps : « Cela n’aurait certainement pas résolu seul le problème de AIG ou de Lehman. Cela n’a pas été conçu pour résoudre ce type particulier de problèmes », dit-il ce jour-là (p. 284).

Pire encore, quand le sénateur républicain Mike Crapo lui demande ce qu’est la spéculation par des opérations sur fonds propres, Volcker qui, en une autre occasion avait donné comme définition : « La spéculation, c’est comme la pornographie, on sait ce que c’est quand on la voit », lui répond : « Les banquiers savent ce que sont les opérations sur fonds propres et ce qui n’en est pas, et ne les laissez pas vous dire autrement » (p. 285).

Et si l’on en croit Silber, l’auteur de la biographie de Volcker, quand ils se voient le lendemain, Volcker lui reproche de ne pas lui avoir dit qu’il avait écrit un article sur la manière dont on peut distinguer les opérations spéculatives de simples transactions de vente et d’achat (p. 288). Sur quoi Silber, pour confirmer à l’intention du lecteur de sa bio qu’il sait le faire (cf. « Il sait le faire ! »), se lance dans une explication alambiquée dont le mot « pari » est entièrement absent et dont une aucune définition claire de la spéculation n’émerge (p. 289).

Est-il imaginable que Paul Volcker, président de la Fed pendant neuf ans, auteur d’une Règle fameuse interdisant la spéculation, n’ait jamais su exactement de quoi il s’agissait ? Les lecteurs de mon Misère de la pensée économique (2012) où des dizaines d’exemples du même genre sont rapportés, en seront aisément convaincus. Les milieux de la finance procèdent à l’aide de « trucs », d’« astuces », de règles empiriques, sans avoir la moindre idée pourquoi ils le font : c’est comme cela et pas autrement. Je me souviens avoir dit au chef du département de gestion du risque d’une des plus grosses banques américaines qui me servait une ânerie que répètent les livres : « Mais comment veux-tu que ce soit possible ? », le renvoyant au mécanisme sous-jacent. Il m’a regardé avec des yeux ronds : il était clair qu’il n’avait pas la moindre idée du mécanisme, ce qu’il disait était un mantra, une formule magique : « Un taux forward donne une bonne indication du taux à venir », alors qu’il est déduit par simple calcul de la courbe des taux spot telle qu’elle est aujourd’hui, sans effet connu de l’avenir sur le présent.

J’ai rapporté plus récemment, en 2015, dans l’une de mes chroniques pour Le Monde, L’étrange raisonnement de Janet Yellen, que

Dans la déclaration à la presse de la présidente de la Fed, la cause est le taux de chômage et l’effet, l’inflation, alors que quand elle s’adresse ensuite aux journalistes, c’est l’inflation qui est la cause, et le taux de chômage, l’effet.

Et c’est à ces gens-là que nous confions les rênes de notre économie ? Hélas, oui, ma bonne Dame ! Mais ils sont allés à bonne école : l’école où on leur explique plein de choses très compliquées, sauf comment ça marche !

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