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On assiste depuis quelque 150 ans à la montée en puissance de différentes réflexions généralement appelées « antihumanistes », mais qui sont plutôt des variations sur le thème de l’humanisme : néo-humanismes serait plus approprié.
Le premier de ces néo-humanismes, d’un point de vue historique, est le surhumanisme de Nietzsche. Apparurent ensuite plus récemment, le posthumanisme et le transhumanisme.
Le succès de cette rébellion critique a été favorisé par l’effritement au fil des siècles de l’humanisme classique, miné par les doutes qui s’instillèrent peu à peu quant à la vision occidentale de l’humanité enracinée dans un premier temps avec le christianisme, d’un homme « à l’image de Dieu » et maître de toutes les créatures et, dans un second temps, de son successeur : l’homme perfectible du siècle des Lumières, transgressant les limitations de l’Homo imago Dei, et épris d’un progrès infini dans le monde qui l’entoure et qu’il façonne à la fois, et dans sa propre nature profonde.
Si l’on examine ces variétés de néo-humanismes quant au caractère adaptatif de leur discours, à entendre au sens de « pour ce qui touche à la survie des humains individuels et du genre humain en général », la question est de savoir dans quelle mesure ces représentations du monde conduisent à analyser les faits de manière adéquate, et produisent des recommandations utiles au maintien d’une vie individuelle longue et plaisante au sein d’un environnement sûr, et à la survie du genre humain dans un environnement harmonieux.
L’un de ces trois néo-humanismes, le surhumanisme de Nietzsche, est élitiste, un trait que son auteur a revendiqué avec force et détermination, il écrivait ainsi : « La question que je pose ici n’est pas de savoir ce qui doit prendre la relève de l’humanité dans la succession des êtres (car l’homme est une fin), mais bien quel type d’homme il faut élever, il faut vouloir, comme le plus riche en valeurs supérieures, le plus digne de vivre, le plus assuré d’un avenir » (Nietzsche, L’Antéchrist. Imprécation contre le christianisme [1888] Gallimard 1974 : 162).
Le posthumanisme apparu ultérieurement exprime lui un antiélitisme militant, à tel point qu’il étend le domaine de l’universalisme lui-même. Il s’agit pour lui de s’en prendre cette fois, non pas de l’homme à l’image de Dieu dans le texte de la Genèse, mais de remettre en question la tâche qui lui est confiée là aussi de « domination sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, et sur tous les êtres se déplaçant sur la terre ». Le champ de la dignité, réservé jusque-là à l’Homo imago Dei se voit redistribué par le posthumanisme sur l’ensemble des créatures, voire même étendu à l’univers de toutes choses, végétales et minérales y compris.
Notons cependant que les posthumanistes ignorent en sens inverse, restrictif cette fois, le fait qu’un grand nombre de cultures n’étendent pas même la notion de dignité à l’humanité dans son ensemble. La vision du posthumanisme selon laquelle l’humanité tout entière partage un même concept de dignité est en effet « impérialiste » : visant des fins pratiques, elle met entre parenthèses le fait que les différents groupes humains entretiennent des vues divergentes sur l’extension du « Nous ». Si la dignité peut en effet être reconnue à l’ensemble des êtres vivants, elle peut aussi bien être réservée aux membres de sa propre ethnie, aux personnes partageant le même credo religieux que soi ou confinée à des groupes encore plus étroits comme une bande nomade de parents proches, appartenant à son propre clan ou seulement à sa famille nucléaire ou étendue.
La situation paradoxale aujourd’hui est que si le posthumanisme vise à étendre la dignité au-delà du point de départ humaniste de l’Homo imago Dei, la montée actuelle des populismes nationalistes ou régionalistes voit la taille du groupe considéré comme « Nous » se réduire de fait partout dans le monde.
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