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Que voulons-nous ?
Dans son rapport du 26 novembre 2019, le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE) parle d’une « décennie perdue » pour la période 2009-2019 en termes de lutte contre le réchauffement climatique. Les États « ont collectivement échoué » à réduire les émissions de CO2. Au contraire, entre 2008 et 2017, elles ont crû de 1,6% en moyenne par an. Et la tendance ne s’atténue pas : les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de 3,2% entre 2017 et 2018. Ce qui nous amène sur une trajectoire de 3,5°C supplémentaires, sinon plus, en moyenne à la surface de la Terre par rapport à l’ère préindustrielle d’ici la fin du siècle, selon le PNUE. Comme nous l’avons vu, les conséquences seront cataclysmiques.
Plus on tergiverse, plus l’effort collectif nécessaire à fournir est important pour arriver aux objectifs des Accords de Paris. Le PNUE estime qu’il s’agit aujourd’hui de réduire de 7,6% les rejets de carbone mondiaux entre 2020 et 2030 (-55% sur la période) pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et ne pas dépasser 1,5°C. Selon le PNUE, le États devraient multiplier par 5 le niveau de leurs contributions nationales promises en 2015 à Paris (et qu’ils s’y tiennent) pour espérer rester en dessous de 1,5°C. Au vu de la tendance actuelle, c’est un effort inouï pour nos sociétés contemporaines : jamais un tel changement structurel et mondial n’a dû avoir lieu en si peu de temps.
Selon le climatologue Jean Jouzel, ancien vice-président du groupe de travail scientifique du GIEC, « Depuis le 4e rapport du GIEC en 2007, nous répétons que les émissions de CO2 doivent atteindre un pic en 2020 au plus tard pour garder une chance de rester sous les 2 °C. C’est aujourd’hui pratiquement impossible, sauf à pomper 10 milliards de tonnes de CO2 de l’atmosphère chaque année jusqu’à la fin du siècle. » Or, mettre en place une telle géo-ingénierie est incertain, dangereux et immoral vis-à-vis des générations futures.
En supposant que nous ayons commencé les efforts de réduction des émissions de GES dès le début des années 2000, nous aurions pu y arriver sans trop de coûts, sans trop de transformations radicales de nos modes de vie, simplement en adaptant progressivement notre système de consommation à la contrainte écologique. Mais nous avons trop tardé, les politiques publiques conventionnelles ne peuvent plus fonctionner.
Alors que voulons-nous ? Nous voulons vivre dans un environnement sain, préservé au maximum des atteintes humaines et dont l’abondance sert généreusement les besoins fondamentaux de tous les individus de l’espèce humaine et toutes les autres espèces animales et végétales. Se dégage donc le premier impératif catégorique auquel nous devons nous tenir : l’impératif écologique.
Lié au premier, il s’agit de formuler un impératif social. La question de savoir lequel est condition de l’autre est vaste, mais la nécessité d’une justice sociale est certaine car intrinsèquement liée à la justice climatique quand on sait qu’environ 10% de la population mondiale émet 50% des émissions de la planète (« Carbone et inégalité : de Kyoto à Paris », 3 novembre 2015, Lucas Chancel et Thomas Piketty). Quand on compare les émissions des deux extrêmes de richesse, les inégalités sont encore plus flagrantes : « parmi les individus les plus émetteurs de la planète en 2013, nos estimations mettent en avant les 1 % les plus riches Américains, Luxembourgeois, Singapouriens et Saoudiens, avec des émissions annuelles par personne supérieures à 200tCO2e. À l’autre extrémité de la pyramide des émetteurs, on retrouve les individus les plus pauvres du Honduras, du Mozambique, du Rwanda et du Malawi, avec des émissions 2000 fois plus faibles, proches de 0.1tCO2e par personne et par an » (Chancel et Piketty, 2015).
En répartissant mieux, nous avons les moyens de vivre tous dans de bonnes conditions : le droit à l’accès aux ressources fondamentales pour tous, le droit égal à l’exercice de ses capacités, le droit commun à une « vie bonne ». Selon le Prof. anglais Kevin Anderson, dans sa conférence du 24 janvier 2019 pour la Oxford Climate Society, si les 10% de la population européenne les plus aisées réduisaient leurs émissions de carbone au niveau de l’Européen moyen et que les 90% autres ne changeaient rien à leur comportement, l’Europe réduirait ses émissions de 30%, ce qui représente déjà plus de la moitié de l’effort nécessaire d’ici 2030 pour rester en dessous des 1,5°C !
Ce n’est donc plus la logique des moyens qui doit aujourd’hui prévaloir dans notre société mais la logique des fins. Il ne s’agit plus de se demander si ses objectifs sont atteignables d’un point de vue « raisonnable » et rationnel économiquement. Il s’agit maintenant de se conformer à ces deux objectifs quel qu’en soit le coût car c’est une question de survie pour notre espèce. Il s’agit de mettre la rationalité logique au profit de ces deux impératifs catégoriques.
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