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Dépasser l’économie de marché signifie opter pour une économie mixte. L’économie mixte peut être définie comme le fait que le secteur public a une place non-négligeable dans l’activité économique par rapport au secteur privé. Entre l’économie de marché et l’économie mixte, il existe une différence simplement de degré, mais le choix est depuis les années 1970 à un retrait massif de l’État des affaires économiques.
En France, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’État s’impose comme un acteur incontournable de la reconstruction sous l’influence du Programme du Conseil National de la Résistance, initialement intitulé « Les Jours heureux » par le C.N.R., un texte adopté à l’unanimité par ce dernier le 15 mars 1944. Ses mesures économiques sont caractérisées par « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », ce qui est concrétisé par les nationalisations ou « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques. » À cela s’ajoutent des mesures sociales comme « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».
Ainsi sont nationalisées par ordonnances, en 1944, les ressources minières du bassin du Nord et du Pas-de-Calais, les Usines Renault et Air France. En 1945 sont nationalisées la banque de France et de quatre grandes banques de dépôt et, en 1946, l’électricité, le gaz et les grandes compagnies d’assurance. Pour ce qui est de la Sécurité sociale, elle est instituée en 1946.
Le processus inverse, les privatisations, a commencé en France, en même temps que l’émergence du discours libéral, en 1986 sous le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac. Ainsi la part de l’emploi public par rapport à l’emploi privé est passé de 10,5% à 3,4% entre 1985 et 2011 selon l’INSEE (INSEE Résultats N°63 Économie – décembre 2012). En 2013, l’État contrôlait majoritairement 1 444 sociétés qui employaient 801 270 salariés contre 3 500 sociétés 30 ans plus tôt avec 2 350 000 personnes.
Que l’État soit un actionnaire efficace ou non, il n’en demeure pas moins que cette puissance du capital public était une force de frappe clé lorsqu’il s’agissait d’imposer des objectifs de long terme transcendant l’intérêt privé. Certains grands projets sont typiques, tels que le déploiement du TGV par la SNCF et Alstom sur les grands axes du réseau ferré français à partir des années 1980. Mais l’exemple le plus emblématique, qui devrait inspirer la transition énergétique aux renouvelables aujourd’hui, est celui du passage fulgurant au tout-nucléaire dans la production d’électricité française à partir des années 1960 : en 1973, la part du nucléaire représentait 8,1% dans la production d’électricité française, contre 74,6% en 1990. Comme le note Thomas Porcher :
« Si nous voulions réellement développer les énergies renouvelables, il faudrait le faire exactement comme nous l’avons fait dans les années 1960 pour le nucléaire. À savoir se fixer des objectifs ambitieux (à l’époque, plus d’une cinquantaine de réacteurs ont été ouverts en dix ans), développer l’énergie à l’abri de la concurrence (avec une société en monopole et publique) et engager très fortement l’État. Mais pour cela, il faudrait une vraie volonté politique, c’est justement ce qui manque. » (Thomas Porcher, Traité d’économie hérétique, 2019)
Les instruments fiscaux, fondés sur la logique marchande, ne suffisent pas pour entamer la transition d’envergure qu’il s’agit de façonner aujourd’hui. Il s’agit que l’État réinvestisse dans une véritable politique industrielle. Nous verrons par la suite d’autres exemples et notamment celui du rôle du capital public en Chine aujourd’hui.
Enfin, l’État doit généraliser son rôle d’assureur des risques sociaux dans la lignée de la sécurité sociale de l’après-guerre. À la fin du XIXe siècle apparaît l’idée de « risques sociaux » : ce sont des événements qui remettent en cause la possibilité de gagner sa vie et dont les conséquences sont considérées comme devant être prises en charge par la société dans son ensemble car ils ne relèvent pas de la seule responsabilité de l’individu. On reconnaît généralement aujourd’hui quatre risques sociaux : la santé, la vieillesse, la famille et l’emploi.
Il est nécessaire d’aller plus loin dans la logique de « l’État du bien-être » (Welfare State en anglais) : les changements qui nous attendent seront si radicaux qu’il est nécessaire de garantir l’indispensable durant cette période nécessairement de « turbulences ». Dans la tempête, il s’agit de garder des repères, une stabilité, que seul un « État-Providence » solide peut garantir à l’ensemble de la population.
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