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La planification soviétique : l’échec d’une planification impérative
Dans son article de 2019, « Une planification écologique et sociale : un impératif ! », Laure Després décrit le système planificateur soviétique :
La planification a aujourd’hui une réputation exécrable dans les pays développés car l’exemple historique qui vient immédiatement à l’esprit est celui de l’URSS. Or la planification soviétique représentait un type de planification bien particulier, reposant sur l’ambition d’un contrôle hiérarchique complet de l’activité des entreprises par les administrations chargées de l’élaboration, de la réalisation et du contrôle du plan (Gosplan, ministères de branche, Gossnab [Comité d’État pour les fournitures techniques de Matériel] et Gosbank…). Il s’agissait de décider centralement non seulement de l’affectation des ressources et des investissements mais aussi de la production et de la répartition de tous les biens et services, dans leurs plus infimes détails. Ce projet totalitaire s’est révélé un échec complet pour toute une série de raisons. » (« Une planification écologique et sociale : un impératif !, dans Actuel Marx, n°65, 1/2019, Laure Després)
Selon elle, le « talon d’Achille » de la planification soviétique était que le pouvoir central supposait que les agents économiques subissant ces plans agiraient comme des automates, sans intérêts particuliers, et exécuteraient le plan à la lettre sans discussion. Laure Després ajoute qu’un point sensible était notamment le système des normes comptables qui servaient pour la communication des informations entre l’organe central et les administrations exécutantes : ce système était si complexe qu’aucune administration locale ne renseignait correctement son activité.
De plus, chaque entité de production était soumise à un ensemble de plans (de production, d’approvisionnement, de financement, de masse salariale…) publiés à des dates différentes par des organismes étatiques différents. Les plans n’étaient pas nécessairement cohérents entre eux, avec pour résultat que la norme était de ne pas pouvoir tous les respecter : le plan de production faisait alors référence sans avoir pour autant un réel sens économique.
Dans un système aussi centralisé et contrôlé, l’approvisionnement en biens était désastreux : les entreprises n’avaient aucune incitation à ce qu’ils soient de bonne qualité ni à ajuster leur offre à la demande (un droit dont elles ne disposaient de toute manière pas). C’est le Grossnab qui s’occupait de répartir les biens. Mais c’était un vaste système où se combinaient gaspillage et pénurie, où l’on produisait à la fois trop de biens notamment dans l’industrie lourde et militaire, et pas assez de biens servant les besoins fondamentaux de la population civile.
La planification chinoise après Deng Xiaoping : un « capitalisme d’État »
Avant l’arrivée de Deng Xiaoping à la tête de la République Démocratique de Chine, la planification chinoise était calquée sur la planification soviétique. C’est en 1992, à l’occasion du XIVe Congrès du Parti communiste chinois, qu’a lieu un tournant : il remplace l’économie dirigée par l’« économie socialiste de marché ». Retire-t-il pour autant sa capacité à planifier l’économie chinoise ? La réponse est non !
C’est à partir des années 1980 et 1990 que la planification chinoise « fait sa mue » selon Nathan Sperber dans un article de 2019 (« La planification chinoise à l’ombre du capitalisme d’État »). Déjà, l’appellation du plan national a évolué au profit d’un sens plus neutre, moins vertical :
La Commission du Plan a pris le nom […] de Commission nationale de Développement et de Réforme. Les quotas nationaux de production ont été évacués au profit d’outils avant tout financiers et incitatifs, par lesquels les autorités chinoises prétendent « guider » la vie des marchés. (Nathan Sperber, « La planification chinoise à l’ombre du capitalisme d’Etat », 2019)
Au centre de la planification chinoise se trouve le plan quinquennal, le document directeur national qui est annoncé lors d’une réunion plénière du Comité central du Parti communiste chinois :
Ce document généraliste, d’une centaine de pages, sert à établir les grandes orientations de la politique de développement durant un cycle quinquennal. Il établit en outre une prévision de croissance du PIB ainsi que d’autres objectifs nationaux – ils sont au nombre de 33 dans le dernier plan en date – qui peuvent être soit impératifs, soit indicatifs ou prédictifs. Le périmètre de ce document, au reste, dépasse largement celui de la politique économique stricto sensu : sont également concernés les domaines de l’environnement, de l’éducation, de la protection sociale ou encore de la démographie. (Nathan Sperber, « La planification chinoise à l’ombre du capitalisme d’État », 2019)
Mais le plan national ne donne que les grandes lignes de la planification. Il est ensuite décliné en milliers de plans réalisés et exécutés par des organismes étatiques spécialisés par secteur ou par les administrations infra-étatiques, à tous les niveaux. Mais à la différence de l’expérience française actuelle, tous ces plans sont soumis au plan national directeur dans un ordre hiérarchique strict.
Pour ce qui est de sa mise en application, il s’agit d’un ensemble de mesures incitatives et parfois impératives qui, selon la nouvelle doctrine chinoise, « doivent prendre le marché comme fondation ». Selon le plan courant actuellement, le 13e plan (2016-2020), l’un des objectifs indicatifs est d’atteindre un taux de croissance annuel « supérieur à 6,5% ». Et sur les 33 objectifs, 16 concernent l’écologie, tous sont impératifs alors que le plan compte 19 objectifs impératifs au total. Tous les objectifs écologiques sont chiffrés et on trouve des objectifs tels que « l’augmentation de la surface des forêts, la réduction de la toxicité des rivières, la baisse de la concentration atmosphérique en microparticules dans les villes, la réduction des émissions de CO2 et de la consommation d’énergie rapportées au PIB » (Nathan Sperber, 2019).
Selon Nathan Sperber, ce qui permet avant tout au Plan d’être exécuté est le fait que la planification soit garantie par les capitaux étatiques : « le pouvoir du Parti-État sur le capital surdétermine sa capacité à influer sur le marché par l’instrument politique qu’est la planification » (Sperber, 2019).
Le Parti-État est détenteur à la fois d’un patrimoine foncier, industriel et financier tout à fait considérable. Pour ce qui est du foncier, l’État est en fait le seul et unique propriétaire de la terre ; c’est ainsi lui qui décide de son exploitation industrielle ou privée. Pour ce qui est du patrimoine industriel, « d’après les dernières données en date du ministère des Finances, les actifs de toutes les entreprises contrôlées par la puissance publique s’élevaient fin 2017 à 151.712 milliards de yuans (environ 19.000 milliards d’euros). Pour donner un ordre de grandeur, cette somme représente un peu moins du double du PIB chinois et huit fois le PIB français » (Sperber, 2019). Enfin, pour ce qui est du capital financier, Nathan Sperber estime « qu’entre 85% et 90% des actifs bancaires en Chine sont parqués dans des banques publiques ». Les plans sectoriels prévoient ainsi des instruments financiers permettant de diriger les investissements privés vers les objectifs du plan.
Il faut noter que le capital public est en priorité concentré dans des secteurs stratégiques, souvent en amont de la production industrielle et commerciale tels que les matières premières, la production et la distribution d’énergie, les transports, la télécommunication, la construction, les industries lourdes ou encore le secteur bancaire et financier. C’est ainsi que le système décrit peut être présenté comme un « capitalisme d’État ».
Ce maillage de fond de l’économie chinoise par son État-Parti, permet de la diriger de manière forte et autoritaire : ce capital public est ainsi directement investi dans les objectifs du Plan et l’économie de marché est alors obligée de suivre. C’est pourquoi sous certains autres de ses aspects, le système chinois apparaît comme un « communisme de marché ».
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