Quel Démocrate affrontera Trump le 3 novembre ?, par Alexis Toulet

La conséquence essentielle – et évidente, certes – de l’acquittement de Donald Trump, est que c’est le peuple américain qui devra décider de le remplacer  en novembre de cette année. Ou pas.

C’est-à-dire que l’attractivité et la cohérence de la personne et du projet qui seront choisis par les Démocrates pour les représenter à l’élection présidentielle sont maintenant LE sujet s’il s’agit d’espérer juguler les risques à la paix mondiale et à la lutte contre le réchauffement climatique que fait courir le président Trump.

Les votes des différents Etats pour choisir les délégués qui les représenteront à la convention devant choisir le candidat Démocrate ont à peine commencé. Mais au risque de m’avancer un peu trop et d’être démenti par les événements, je dirais :

– Le Parti démocrate est profondément divisé entre une aile économiquement franchement à gauche – enfin selon les standards américains, selon le point de vue européen Bernie Sanders c’est du centre gauche – et une aile « modérée » qui ne veut pas toucher grand chose au système économique du pays et compense en en faisant des tonnes en matière de « vertu sociétale ». Que ce soit l’une ou l’autre aile qui l’emporte, le candidat aura bien du mal à obtenir de l’autre bord un soutien franc plutôt que du bout des lèvres

– L’avantage stratégique de l’aile modérée en face de Donald Trump est sa capacité à attirer davantage du vote « pourpre » ni Républicain (rouge) ni Démocrate (bleu), voire peut-être certains électeurs Républicains modérés ne soutenant Trump que faute de mieux. Son handicap est qu’elle ne suscitera guère d’enthousiasme, or une faible participation profitera de manière disproportionnée au camp Républicain

– L’avantage stratégique de l’aile de gauche est sa capacité à mobiliser davantage d’électeurs en même temps que des militants plus convaincus, faisant sortir du bois des abstentionnistes désenchantés par la politique ordinaire, voire attirant certains électeurs populaires de Donald Trump avec le message « Trump faisait semblant d’être pour vous, nous c’est pour de vrai ». Son handicap est qu’elle risque de faire fuir beaucoup des électeurs « pourpres » voire certains électeurs Démocrates modérés aisés qui « feraient leurs comptes » et voteraient avec leur portefeuille

– Du côté de l’aile gauche, une clarification semble se dessiner, confirmée lors de l’élection de l’Iowa : Bernie Sanders prend un ascendant net sur sa concurrente Elizabeth Warren. Même si rien n’est joué, il est très probable que c’est lui plutôt qu’elle qui représentera ce courant, parce que la différence des intentions de vote nationales est déjà grande et la dynamique de terrain est du côté de Sanders

– Du côté de l’aile modérée… c’est exactement le contraire ! La situation semblait claire, et elle s’est largement brouillée. Peter Buttigieg a réalisé une performance remarquable dans l’Iowa, qui devrait cependant être sans lendemain si on observe son soutien au niveau national (1) Surtout, Joe Biden jusque là clairement en tête a gravement chuté, ce qui pourrait renforcer les doutes sur la solidité de sa candidature et convaincre beaucoup d’électeurs Démocrates modérés de lui chercher un remplaçant plus solide, mieux à même de l’emporter contre Sanders. De ce point de vue, le concurrent le plus dangereux de Joe Biden pourrait être… Michael Bloomberg ! Le N°9 dans la liste mondiale des multi-milliardaires (2) réalise une percée remarquable dans les intentions de vote pour l’investiture Démocrate au niveau national, et il est possible qu’il apparaisse comme plus « solide » que Buttigieg à des Démocrates modérés qui ne croiraient plus que Biden ait une vraie chance contre Trump, donc comme le choix de repli le plus sûr. Joe Biden n’est pas hors course cependant, sa popularité notamment auprès des Noirs américains – et l’impopularité de Buttigieg auprès des mêmes – lui laisse des chances réelles, sans compter le paradoxe époustouflant qu’il y aurait pour un parti se revendiquant de la gauche à sélectionner son candidat en fonction de sa position dans la liste des multimilliardaires !

– La lutte entre aile de gauche et aile modérée pourrait tourner à l’avantage de l’une comme de l’autre. Sanders a une organisation militante ardente et dynamique derrière lui, mais l’autre aile est soutenue franchement par les médias, sans parler de la force de frappe financière d’un Bloomberg – si c’est lui – qui a déjà dépensé des centaines de millions à ce stade et dont la bourse de campagne est pratiquement sans fond. Et qui pourrait, aussi paradoxal que cela soit, être pour Sanders un concurrent plus difficile que Biden

– Quant à la lutte contre Donald Trump, là encore rien n’est certain. Les sondages donnent un avantage à chacun des trois Sanders, Biden et Bloomberg contre le président sortant (4) mais ce n »est qu’un avantage petit et fragile, et beaucoup de choses pourraient arriver d’ici novembre

– Sur le plan personnel, celui de l’image du candidat et de la perception de qualités de « chef » qui « ne s’en laisse pas compter » – ne pas sous-estimer ce facteur ! – à la fois Sanders et Bloomberg seraient probablement mieux à même que Biden de résister aux attaques prévisibles de Trump (5) Sanders force l’estime même de ses adversaires Républicains par sa constance et sa conviction depuis presque trente ans : ses idées sont attaquées et avec violence, pas sa personne. Bloomberg quant à lui pourrait facilement prendre Trump de haut sur le thème « Moi je suis un vrai multimilliardaire, et j’ai construit ma fortune tout seul, je n’en ai pas hérité ». En revanche Biden qui ferait face à un persiflage constant sur les affaires de son fils en Ukraine ne semble pas encore avoir appris à résister à ce genre de pression, à preuve ses réponses lorsqu’il a été interrogé sur le sujet

(1) Source https://www.realclearpolitics.com/epolls/2020/president/us/2020_democratic_presidential_nomination-6730.html
(2) Voir https://en.wikipedia.org/wiki/The_World%27s_Billionaires#2019
(3) A noter que N°4 dans la liste est citoyen français. Bernard Arnault, une chance pour la gauche française en 2022 ?
(4) https://www.realclearpolitics.com/epolls/2020/president/National.html Remarquer encore la plus grande fragilité à la fois de Warren et de Buttigieg contre Trump
(5) Il est possible que Trump ait été franc lorsqu’il disait « Je préférerais être opposé à Biden que n’importe quel autre, je crois. Je pense qu’il a le plus faible mental et j’aime me battre contre les gens qui ont un faible mental »
https://thehill.com/homenews/campaign/449897-trump-id-rather-run-against-biden
La question n’est pas de savoir si les surnoms donnés par Trump à Biden (« L’endormi »), Sanders (« Le fou ») ou Bloomberg (« Mini-Mike ») sont justes, mais s’ils sont crédibles même subconsciemment aux yeux des électeurs et surtout si la cible est capable, en situation et sous forte pression, de réagir par le mépris plutôt que par une démonstration de faiblesse

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