Retranscription de États-Unis : Biden vs Sanders, le 4 mars 2020. Ouvert aux commentaires.
Bonjour, nous sommes le mercredi 4 mars 2020 et hier, aux Etats-Unis, dans la nuit pour nous essentiellement, ont eu lieu les primaires pour les élections présidentielles du 3 novembre de cette année-ci, 2020, et une partie importante des délégués – à peu près un tiers – s’est décidée dans un certain nombre d’Etats, dont l’Etat américain le plus peuplé, la Californie, et un autre très peuplé également, le Texas.
M. Biden, Joe Biden, semble l’avoir emporté assez nettement sur tous les autres candidats et, en particulier, sur M. Bernie Sanders dont on aurait pu imaginer – parce qu’il était en tête jusqu’ici dans les premières primaires qui avaient eu lieu dans quelques Etats, M. Sanders était en tête et M. Biden a fait une performance tout à fait remarquable en Caroline du Sud qui a redonné de l’élan à sa campagne – je vais vous dire pourquoi – et cet élan s’est confirmé dans la journée d’hier. Il arrive nettement en tête au nombre de délégués à la sortie de cette épreuve qui aura donc décidé, je crois que c’est de l’ordre de 1 300 sièges de délégués sur les 3 900 et quelque chose qui se retrouveront à l’arrivée.
Ce super-mardi, « Super Tuesday », est en général décisif. Il y a eu des remaniements : des Etats ont déplacé leur jour de vote dans les primaires et maintenant, nous avons eu donc cet évènement très important en termes pratiquement d’un tiers des voix qui seront celles à l’arrivée.
Pourquoi est-ce que Biden, qui était en très mauvaise posture jusqu’ici, pourquoi se retrouve-t-il maintenant nettement en tête ? Il y a plusieurs effets qui se sont combinés.
D’abord, et là, la presse américaine attire l’attention sur le rôle qui a été joué par M. Jim Clyburn. Jim Clyburn, c’est une personnalité, un cacique du Parti démocrate depuis pas mal d’années. C’est une personne qui a maintenant 82 ans mais qui a joué un rôle parlementaire tout à fait essentiel. Il a souvent été à la tête de la délégation des parlementaires Démocrates au fil des années.
Et qu’est-ce qui s’était passé au moment du vote sur la Caroline du Sud, dans les primaires ? Il a fait un plaidoyer très passionné en faveur de M. Joe Biden. Il a parlé de lui comme d’une personne généreuse, pleine de compassion, pleine de sympathie pour autrui et, surtout, il s’est adressé à la communauté afro-américaine en disant : « Joe knows us », « Joe nous connaît ». Et du coup, la communauté afro-américaine s’est véritablement ralliée autour de lui et on l’a vu dans d’autres Etats dans la journée d’hier comme la Virginie, la Caroline du Nord, d’autres Etats du Sud où la population d’origine afro-américaine est très importante.
Après le vote sur la Caroline du Sud, M. Jim Clyburn est réapparu véritablement, comme le directeur de campagne de fait de M. Joe Biden. Il a appelé aux donations. Il a appelé à une meilleure organisation du camp de M. Biden et on peut dire que la victoire de M. Biden aujourd’hui, c’est la victoire en grande partie de M. Jim Clyburn à la tête de la communauté afro-américaine aux Etats-Unis.
Ça attire notre attention sur quelque chose d’important. En Californie, la victoire de M. Bernie Sanders sera majeure. Il distancera… – on ne connaît pas encore tout à fait les résultats, c’est pour ça que je parle au futur – il distancera certainement M. Biden mais ça attire l’attention sur quelque chose que je vais vous montrer. C’est une diapo, on dit un slide maintenant, une diapo que présente M. Thomas Piketty dans ses conférences et c’est extrait de son livre récent sur « Capitalisme et idéologie » et qui nous montre, en Europe et aux Etats-Unis, qui vote pour la gauche maintenant et qui vote pour la droite… On peut faire la déduction dans l’autre sens.
Qui vote pour la gauche ? L’évolution est très très nette. C’est pratiquement une tendance, je dirais, linéaire. Autrefois, au XIXe siècle, au XXe siècle, les gens qui votaient à gauche étaient essentiellement des pauvres et les gens qui votaient à droite étaient essentiellement des riches et les choses ont changé. Les choses ont changé aux Etats-Unis et en Europe. Vous le voyez, ce sont deux courbes distinctes sur son graphique mais c’est à peu près la même chose.
Qui est-ce qui vote maintenant à gauche ? Les diplômés. Piketty parle de travailleurs et de diplômés. Ce sont les diplômés. Ce sont les intellectuels qui votent à gauche et les autres, dans une combinaison qui peut nous paraître curieuse par rapport, justement, aux XIXe et au XXe siècles, le monde des affaires et les pauvres votent à droite et c’est déjà ça, d’une certaine manière, qu’on avait vu dans l’élection de Trump : les pauvres et les milieux d’affaires ont voté pour Trump et sont toujours derrière lui et, de l’autre côté, ce sont les intellos. Ce sont les gens qui ont des diplômes, les gens qui ont de l’éducation. Ceux-là sont encore les gens à gauche.
Alors, qu’est-ce qui s’est passé aux Etats-Unis ? C’est pour ça la victoire probablement massive de Bernie Sanders en Californie. C’est parce que c’est un Etat d’intellos. Oui, il y a quelques personnes quand vous quittez la côte… – ça, je l’ai souvent raconté – quand vous quittez la côte et que vous commencez à vous déplacer vers les montagnes et vers les déserts, à ce moment-là, vous rencontrez des gens de droite, des paysans, des blancs relativement pauvres, des choses de cet ordre-là.
Les minorités, bien entendu, la minorité hispanique, est largement derrière M. Sanders avec son côté un petit peu folklorique de marxiste d’autrefois. Ma candidate à moi, vous le savez depuis des années et des années, c’est Mme Warren mais elle a un petit peu le défaut que je viens de signaler, c’est-à-dire c’est vraiment… c’est quelqu’un qui plait aux intellos et qui a tout à fait le profil, qui est d’une gauche, je dirais, « moderniste » par rapport aux côtés un petit peu archaïque du message de gauche de M. Sanders mais Mme Warren n’a pas fait la différence. Elle reste maintenant avec… elle est au fond du panier avec M. Mike Bloomberg qui n’a pas réussi, malgré tous les millions qu’il a mis dans la campagne, à émerger.
Donc, voilà, on va se trouver probablement avec M. Biden en pôle position pour la suite. Il a bénéficié aussi d’un autre effet. Vous vous souvenez, on dit, la presse dit : « M. Trump avait mis sa présidence en danger par l’opération qu’il avait essayée de faire en Ukraine », c’est-à-dire d’essayer de mettre l’Etat d’Ukraine à sa solde pour obtenir des informations négatives sur M. Biden et sur son fils, Hunter Biden. La presse vous dit : « Il avait mis sa présidence en danger en faisant ça ». On l’a bien vu, il ne l’a pas mise en danger du tout puisqu’il a derrière lui un Parti républicain qui l’a protégé dans l’épreuve au point de lui offrir un procès devant le tribunal du Sénat américain où les témoins n’ont pas été appelés.
Mais, le fait est que, grâce à cet incident, pour M. Biden, il est vraiment apparu comme l’homme à abattre pour Trump. C’est plus facile pour Trump de parler, de disqualifier, de discréditer, de tenter de discréditer Sanders en l’appelant « communiste », « socialiste », etc., des mots qui, aux Etats-Unis, tuent encore. M. Biden, c’est plus difficile : c’est un centriste et, dans la mesure où la communauté afro-américaine s’est ralliée derrière lui, il a sans doute fait la différence de cette manière-là. Il ne fait aucun doute que les « Hispaniques » comme on dit, c’est-à-dire essentiellement les Amérindiens, les personnes amérindiennes venues d’Amérique centrale, vont aussi se ranger dans le camp Démocrate nécessairement. Ils sont vraiment la bête noire, la tête de Turc de M. Trump et ils se rallieront sans difficulté derrière un candidat comme Biden.
Voilà, si j’avais été Américain – et je sais que dans ma famille, on est plutôt à voter Warren et Sanders comme n° 2 – mais ni moi, qui ne suis pas Américain, ni ma famille qui n’est pas absolument représentative, mais en tout cas le camp anti-Trump qui représente à peu près 55 % de la population contre 45%, il va y avoir un ralliement derrière Joe Biden.
Déjà, depuis quelques jours, dans les sondages où on demande aux gens s’ils voteront Trump ou Biden, ou bien Trump ou Sanders, l’avantage de Biden est quand même plus marqué, était déjà marqué. Il l’emporterait sur Trump plus facilement [+5,1% contre 4,5% pour Sanders]. Et maintenant, je crois qu’il va y avoir un ralliement autour de sa personne du côté Démocrate – de la gauche, l’extrême-gauche, la gauche centriste – autour de lui puisqu’il apparaîtra comme le candidat le mieux placé pour battre Trump. D’une certaine manière, comme je viens de le dire, il aura bénéficié du fait que Trump se soit attaqué à lui de manière absolument déloyale, qui avait donc consisté à mobiliser son pouvoir de président et tous les moyens des Etats-Unis pour essayer d’obtenir des informations compromettantes sur Biden et sa famille.
Voilà un petit point sur ce qui s’est passé aux Etats-Unis.
Par ailleurs, je vous parlerai de l’actualité épidémiologique un autre jour.
Allez, portez-vous bien !


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