LETTRE D’ITALIE A MES COUSINS FRANÇAIS, de Valerio Sale (Padoue, Italie)

Chers cousines et cousins français, 

Vous le savez peut-être, en Italie notre sport national c’est l’ « anti-italianisme» : se plaindre de notre pays, des divisions régionales, de la culture catholique, du manque de respect des règles collectives, de l’absence de patriotisme d’une nation inachevée. Bref, de l’individualisme à l’italienne.

Vous, quand vous prononcez le mot République, vous pouvez penser à la Révolution, à De Gaulle, à tous les grands moments de l’histoire collective de votre pays, à la Commune, à la Coupe du Monde de football. Voilà une différence entre nos deux pays, un sens collectif national français versus l’individualisme régional, local et familial italien.

Lorsque l’épidémie a commencé en Italie, l’un des premiers problèmes a été la pénurie des masques pour les hôpitaux et pour tous les services publics. C’était aussi un besoin quotidien pour tous les citoyens ; pour sortir, aller travailler, dans le métro ou le bus, au supermarché. Le masque nous protège nous-mêmes et les autres en même temps. Eh bien, pas d’usines en Italie, importation totale depuis Chine et pénurie.

Quand j’ai vu, après une dizaine de jours, sur France 24, que votre Premier Ministre avait déclaré que la France avait organisé la livraison en trois tranches, du 29 février au 10 Mars, de 25 millions de masques pour se préparer à l’urgence sanitaire, alors je me suis dit : «  tiens, voilà les Français, l’organisation, le sens du collectif ». Alors j’ai actionné mon « anti-italianisme ».

Dans la lutte contre le virus, les équipements de protection du personnel sanitaire est primordial pour protéger les opérateurs qui, en Italie, sont, parait-il, infectés dans 8 à 9 % des cas, soit plus de 5.000 personnes.  J’y reviendrai, mais avant je voudrais continuer à suivre la progression dans le temps de la communication officielle du gouvernement français. Jour après jour, les mesures annoncées par le gouvernement français, de la limitation des activités commerciales jusqu’aux mesures de confinement plus strictes, ont reproduit exactement celles de l’Italie ; exactement la même communication des autorités d’un pays à l’autre. Il y a eu seulement un décalage dans le temps, mais les deux gouvernements ont procédé de manière identique et le scénario a été le même d’un côté et de l’autre des Alpes. Il s’en est suivi qu’une semaine après le confinement, miracle ou plutôt cauchemar : c’est la pénurie des masques qui est apparue en France, aussi. Mon « anti-italianisme » a donc commencé à chanceler.

Mais alors se pose la question suivante : sommes-nous pareils ? Réponse : ce n’est pas vraiment l’esprit des peuples qui est identique, c’est le système. Des années de désinvestissement dans le domaine de la santé publique, d’absence de vision stratégique, de programmation, d’organisation de la société civile ; un comportement politique irresponsable, voire s’opposant à un bien commun parmi les plus précieux : la santé.

Les masques et le matériel de protection des médecins et des infirmiers, ainsi que le dépistage de tous les personnels des hôpitaux était une évidence. Beaucoup d’éclosions de l’épidémie se sont produites à l’intérieur des hôpitaux ! Il suffisait pourtant de regarder les reportages de Wuhan et de voir l’habillement et l’équipement du personnel sanitaire chinois, vieux routards des coronavirus, pour faire la différence entre les nôtres et les leurs.

Au final, l’Italie, la France et toute l’Europe manquent dramatiquement de masques, de lunettes, de tabliers de protection. Il ne s’agit pas d’avions de combat ultra technologiques, comme il est question à propos de guerre… Mais simplement de produits consommables de très faible niveau technologique et bon marché à produire.   

Et alors ? Simplement cela signifie que dans la salle de commandement des gouvernements, personne n’avait songé à programmer la défense de la nation et des citoyens. Malgré les trois coronavirus des dernières années, malgré le VIH, les instituts de recherche, le Ted Talk du gourou Bill Gates, etc. Je ne parle pas seulement de la recherche médicale, des lits de réanimation, pourtant fondamentaux.  Je dis simplement les masques, les lunettes et tout l’équipement de base nécessaires pour les médecins et les infirmiers. La guerre est compliquée bien sûr, mais on peut commencer par là. Devant cette horreur « managériale », les responsabilités politiques sont évidentes. C’est la pointe visible de l’iceberg.

Et là, chers cousines et cousins français, j’ai trouvé une autre similarité avec nous : la défiance et la protestation des gens, qui commence à circuler de plus en plus. Elle se manifeste de plus en plus par des lettres de doléances écrites par des collectifs de citoyens qui les adressent aux pouvoirs publics ; avec un « vous avez fait ceci, croyez-vous que nous resterons silencieux, vous devez faire ceci ou cela… ». Cela correspond de la part des gens à une invitation à changer de cap, et un changement d’attitude vis-à-vis de la politique. Mais à quoi cela peut-il servir de s’adresser à des sourds ! Le ton des lettres de doléances adressées aux personnes au pouvoir, employant les expressions du « nous » et du « vous » ressemble beaucoup à des messages adressés au Grand Moloch. Les « nous » sont les petits, ceux qui n’auront jamais le pouvoir, et les « vous » représentent les gens au pouvoir. Qui sont les « vous » ? Il faut les nommer ! Rien ne doit plus être sous-entendu. Il faut devenir Le Pouvoir, il faut rentrer dans la salle des commandes en connaissant bien tous les leviers et où appuyer sur les boutons. Il faut adopter une posture pour agir et produire. Il faut aussi changer la communication. « Analysis paralysis » dit un adage américain. Il faut agir sans peur de se tromper. 

Chers cousines et cousins français, il y a un peu plus de 200 ans vous aviez accompli une Révolution. Les erreurs n’avaient pas manqué. Mais finalement vous aviez changé l’Europe et pour le mieux. Aujourd’hui le défi est différent. La patrie c’est l’Europe. Et nous sommes de plus en plus le même peuple !

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