« Une vidéo que j’aurai du mal à faire », le 31 mai 2020 – Retranscription

Retranscription de « Une vidéo que j’aurai du mal à faire », le 31 mai 2020

Bonjour, nous sommes le dimanche 31 mai 2020. C’est le dimanche de la Pentecôte. Cette vidéo, je vais l’appeler : « Une vidéo que j’aurai du mal à faire » parce que je le sais déjà. Voilà.

Je vais quand même commencer par autre chose. Le dimanche de la Pentecôte 1922 est mort W. H. R. Rivers, à mon sens le plus grand anthropologue britannique. Il n’est plus très connu aujourd’hui parce qu’est venu de Pologne Bronislaw Malinowski qui a inventé l’anthropologie de type fonctionnaliste et il a mis un point d’honneur à déboulonner la réputation de Rivers. La raison pourquoi il a fait ça ? Il l’a fait en particulier par des publications anonymes contre des élèves de Rivers et la raison pour laquelle il l’a fait, c’est très intéressant parce que c’est vraiment très « humain ». Ça n’a rien à voir avec des arguments de type scientifique. Malinowski a fait son premier grand livre : « Argonauts of the Western Pacific », Argonautes du Pacifique occidental. Il l’a fait, il l’a publié en 1922 et il l’avait vraiment écrit pour impressionner Rivers. Et Rivers est mort probablement… si j’ai bon souvenir, Rivers est mort avant que le livre ne soit entre ses mains et Malinowski a voulu effacer le souvenir de Rivers. C’est stupide. C’est stupide. C’est pour cette raison-là.

Je vais vous parler d’autre chose. Et en fait, quand je vous parle de Rivers, c’est pour gagner du temps. C’est pour ne pas parler de la suite : la raison pour laquelle je veux faire cette vidéo.

Bon. On a la gentillesse de considérer que j’ai annoncé la crise des subprimes et ça me fera très plaisir, en décembre, d’être invité comme un des « prophètes », un des prophètes méconnus… enfin, comme un prophète connu mais un savant méconnu ayant annoncé la crise des subprimes. Au cours des années récentes, depuis 2015, fin 2015 jusqu’à maintenant, j’ai accumulé un matériel, un matériau sur Trump et c’était pour vous dire : il va y avoir une catastrophe. Espérons qu’il se crashe comme une météorite à l’océan avant que ça n’ait lieu. Et les Etats-Unis sont en très très mauvais état. Ils ont eu une bonne nouvelle : c’est que la fusée Crew Dragon, la capsule Crew Dragon sur la fusée Falcon de SpaceX est en route vers la station spatiale internationale. Ça s’est très bien passé hier mais, à part ça, la nation est dans un très très mauvais état. Il y a une insurrection des Noirs. Il n’y a pas que les Noirs : tous les gens sont absolument furieux, les gens qui sont là, dans les rues, en disant… vous vous souvenez, en France, en 68, c’était : « CRS = SS » et là, c’est « Police = Ku Klux Klan ». C’est ça qu’on a vu hier à Los Angeles.

Je viens de lire les nouvelles de Los Angeles. Pourquoi Los Angeles ? Parce que je vous l’ai dit, c’est une ville où j’ai habité 10 ans. J’ai habité à Los Angeles même, à une époque, dans le quartier dit Eagle Rock. Mais sinon, dans la banlieue de Los Angeles, à Pasadena d’abord, Santa Monica ensuite. Et bon, je pourrais dire que quand j’habitais à Laguna Beach, c’était la grande banlieue de Los Angeles, la grande banlieue sud. Bon, il faut une heure pour arriver dans le centre mais c’est dans Orange County, ce n’est plus dans LA County mais, voilà, c’est la grande banlieue de Los Angeles.

Donc, quand j’ai vu ces jours derniers des choses qui se passaient à Minneapolis, qui est bien dans le… je confonds toujours, qui est bien dans le Minnesota et pas dans le Missouri [c’est Ferguson qui est dans le Missouri : les émeutes de 2014] comme j’ai toujours tendance à dire. Bon, voilà, je regarde ça. C’est les nouvelles. Mais, quand on me dit : Il s’est passé des choses. Voilà, il y a eu des violences hier à Fairfax and 3d Street quand il y a eu des magasins, quand Nordstrom a été mis à sac dans The Grove, quand les gens ont manifesté au Farmers’ market… C’est des endroits où je suis allé des dizaines de fois. Je connais ça. Je connais moins bien Dowtown LA [Skid Row, Toy District…] qui est un quartier véritablement noir et où il y a des galeries d’art, des galeries d’art qui sont ouvertes la nuit et, dans la journée, ce sont surtout des Afro-américains qui sont là. Et c’est des quartiers où je n’avais pas de raison d’aller.

Une énorme ségrégation dans la Californie que je connais. Je n’ai connu qu’une seule personne Afro-américaine sur 12 ans en Californie du Sud. Lesley, ’était l’assistante de ma compagne, Adriana, à East Hollywood. East Hollywood, ce n’est pas West Hollywood. C’est un tout autre quartier. C’est un quartier de bureaux de plutôt bas de gamme et de strip-malls, vous savez, ces petits alignements de commerces. La seule chose importante qu’il y avait à proximité de cet endroit-là, l’endroit où Hollywood Boulevard croise Vermont, c’est l’énorme église de scientologie à laquelle appartiennent un certain nombre de nos vedettes. 

Alors, quand je vois… C’est autre chose, voilà, quand vous pouvez visualiser, quand je peux fermer les yeux et imaginer une bagarre à The Grove. Je peux la visualiser. Quand on me dit : « Il s’est passé des choses sur le Washington Boulevard à Minneapolis », ça ne m’évoque rien du tout. Là, ici, d’une certaine manière, c’est des gens que je connais. Voilà. Ce n’est pas qu’on privilégie vraiment les gens qu’on connaît par rapport aux autres mais on ne peut pas faire autrement. On ne peut pas faire autrement.

Le fait que les Noirs, à Los Angeles, soient fort regroupés à South LA, Compton, des endroits comme ça, des quartiers particuliers, ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de minorité dans le reste de la Californie ou dans le reste de Los Angeles. Los Angeles, c’est la ville même. Qu’est-ce que c’est ? C’est 40 – 45 % d’ « Hispaniques » comme disent les Blancs [47,5% selon un recensement local de 2009], c’est-à-dire des Amérindiens venus d’Amérique centrale, au fil des siècles. Ils étaient là avant mais pas ceux qui… Il y avait des indiens : les Chumash. On en voit quelquefois. Les Chumash ne ressemblent pas physiquement aux gens dont les ancêtres, voilà… ceux qui sont à Los Angeles, leurs ancêtres, ce sont des Toltèques, des Aztèques, des Mayas, des gens du Yucatan ou du Mexique central ou du Honduras, Guatemala, etc. [probablement d’origine ancestrale chinoise] Les Chumash [probablement d’origine ancestrale polynésienne], ce sont encore… quand les conquistadors les découvrent, ils disent qu’ils sont noirs d’ailleurs. Ils ne les mettent pas dans la même catégorie que les Indiens qu’ils viennent de massacrer, torturer, piller, profitant de leurs dissensions internes etc. Et voilà.

Bon, je vous parle de Los Angeles mais c’est un peu partout aux Etats-Unis que les choses sont en train d’exploser. « Black Lives Matter » : les vies noires comptent. Je connais tout ça.

Pourquoi je connais tout ça ? Parce que je reçois des newsletters tous les jours de tous ces mouvements américains. Ils m’ont repéré [rires]. Ils m’ont trouvé ! Ils savaient qu’ils pouvaient m’envoyer ça. Il faut dire que, bon, quand j’étais aux Etats-Unis, j’étais un membre de ACLU, American Civil Liberties Union, ce qui ressemble le plus à un parti d’extrême gauche aux Etats-Unis.

Mais, voilà, je voyais hier dans la soirée qu’il y avait 1 000 manifestants autour de la Maison-Blanche et, bien sûr, M. Trump tempête contre… ce n’est pas un gouverneur à Washington D. C. parce que ce n’est pas vraiment un état mais la personne qui préside au District of Columbia de Washington où se trouve la Maison-Blanche.

Alors, voilà, ma petite satisfaction personnelle, je vous ai dit que ça allait mal se terminer. Je vous le dis depuis 2015 que ça allait mal se terminer aux Etats-Unis. Ce n’est malheureusement pas terminé. Pour qu’en Californie on appelle au milieu de la nuit la Garde Nationale, c’est que la police est débordée. Pourtant, la police de LA, la police de Los Angeles, vous la connaissez. Vous la connaissez bien du cinéma. On la voit en long en large et en travers. Et un jour, j’étais avec un de mes fils. On était dans le train qui allait justement de Irvine. J’allais à la gare de Irvine quand je travaillais à Los Angeles et que j’habitais à Laguna Beach. Je prenais Laguna Canyon. C’était 20 minutes en voiture puis je prenais le train à Irvine et, un jour, j’étais dans ce train qui allait vers le centre de Los Angeles avec mon fils et on passe devant cet endroit où je passais moi tous les jours. C’est juste avant d’arriver au centre ville. On passe le long d’une sorte de terrain vague, d’une sorte de fourrière en fait, une sorte de fourrière avec des bagnoles et toutes ces bagnoles sont les mêmes. Alors, je ne sais pas, à l’époque, il y en avait, je ne sais pas… Quand on passait, il y en avait entre 50 et 100 je dirais et ce sont toutes des bagnoles [noir et blanc] de la LAPD, de la police de Los Angeles, les unes plus cabossées que les autres. Et c’est à mourir de rire : on a l’impression que c’est… comment on appelle ça ? Une « installation » d’un artiste moderne mais non. Mais non, ce sont les bagnoles cabossées de la police de Los Angeles.

Depuis quelques jours, elle a du boulot. Maintenant, elle a le renfort de la Garde Nationale. Je ne sais pas si c’est un progrès. Ce n’est surtout pas un progrès pour les gens de Los Angeles. Et là, c’est le même fils, tiens, qui m’envoie un message ce matin en disant : « Tu as vu, il n’y a pas que des Noirs dans les gens qui protestent à Los Angeles ! ». Eh oui, eh oui. Quand ça se passe à The Grove, je serais étonné même qu’il y ait beaucoup d’Afro-américains dans la foule. C’est plutôt ce que la presse américaine appelle les « anarchistes » : l’ultragauche.

L’ultragauche a trouvé le moyen de venir soutenir les Noirs américains dans ce que j’appelle, voilà, depuis 2017, depuis les incidents de Charlottesville, quand il y a eu ces affrontements majeurs entre les néo-nazis, les suprémacistes blancs et des contre-manifestants et que je le dis – je l’ai encore dit hier – avant même qu’on ne sache la gravité des évènements de cette nuit, de la nuit dernière, la Guerre de sécession, ce que les Américains appellent la « Guerre civile » à juste titre. C’était une guerre civile.

La Guerre civile, la Guerre de sécession qui, en principe, s’est terminée en 1865 n’a jamais été terminée aux Etats-Unis. Elle n’a jamais été terminée. Ça n’a rien à voir avec la guerre avec le Mexique. L’histoire de la Californie, celle du Texas, c’est plutôt une guerre avec le Mexique qui n’a pas été vraiment terminée. Mais là, une plaie purulente : les Etats-Unis sont malades depuis 1865 d’une Guerre de sécession non-terminée, bâclée. La sortie a été bâclée avec, bon, les grandes éruptions bien entendu des années 60, des gens comme Rosa Parks, des gens comme Martin Luther King et puis, bon, les gens qui les soutenaient aussi. Il ne faut pas oublier les gens qui les soutenaient du côté blanc comme Joan Baez, Bob Dylan.

Je ne sais pas comment je vais terminer ça. Allez, je termine maintenant.

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