Après avoir écouté la vidéo de Paul Jorion Que peut-on savoir du réel ?, il m’a semblé intéressant d’ouvrir cette réflexion à une autre approche du réel venant de l’Orient, celle du Yoga. N’étant pas yogi (juste un pratiquant), je ne peux vous livrer ici qu’une modeste réflexion.
Chacun peut constater qu’il existe un réel directement accessible par nos 5 sens. Toutefois, ceux-ci ont une capacité limitée à percevoir le réel. Ils sont sujets à se laisser berner par quelqu’illusions d’optique, olfactive, sonore. … (cf Paul Jorion) Nous devons donc accepter que notre capacité à appréhender le réel n’est que partielle. C’est notre cerveau qui va construire un au delà-du réel sensitif. Est-ce là une extension du réel ou bien seulement une extension d’une modélisation, d’une réalité lacanienne ? Le Yoga cherche à initier une autre approche du réel.
Comme nos organes sensoriels sont à la périphérie de notre corps, ils sont tournés vers « l’extérieur », vers notre environnement. Ils sont les capteurs indispensables à notre survie. La réalité semble donc commencer à la porte de notre corps, cette « enveloppe corporelle » censée définir notre individualité, notre incarnation. Même si nous sommes bien conscient de notre corps, celui-ci n’est bien souvent considéré par nous, en digne héritier de Descartes, que comme une machinerie que la chirurgie ou la pharmacopée viennent réparer au besoin. En Occident, la religion nous a inculqué la méfiance vis à vis de ce corps « faible » pour lui préférer l’âme « noble ». Aujourd’hui encore, hormis le cœur qui serait le siège de nos émotions et le cerveau le siège de la pensée, nous avons tendance à considérer ce fatras d’organes et de tuyauteries avec plus ou moins de mépris. Pourtant, ce corps est le fruit merveilleux de millions d’années d’évolution capable de prouesses que même la science du XXIème siècle n’est pas prête d’égaler.
Au travers de pratiques comme le yoga ou la méditation, il est possible de prendre conscience d’une très riche réalité intérieure que nous ignorons allègrement tant que la douleur d’une blessure ou d’une mauvaise digestion ne vient pas nous avertir d’un dysfonctionnement quelconque. Pourtant ce « monde intérieur » est en permanence en échange avec le « monde extérieur ». Les précautions sanitaires actuelles nous le rappellent quotidiennement.
Dans l’ignorance (ou le mépris) de ce monde intérieur, nous décrétons que cette intériorité principalement cérébrale, est « moi », cette chose indéfinie à laquelle nous nous identifions. Dès lors, notre moi déclare son indépendance au monde et prétend à une liberté quasi autonome qui établit une dissociation entre l’être-moi et le réel extérieur. Pourtant nous sommes constitués des mêmes poussières d’étoiles (chères à Hubert Reeves) tant au dehors qu’au dedans, dans un continuum atomique, moléculaire sans vide. Mais nous préférons ignorer cette continuité du réel pour découper au scalpel une réalité extérieure définie comme autre que moi.
Ce clivage, cette dissociation, cette déclaration d’indépendance entre le moi et le reste du monde serait selon les yogis à la base de toute opposition (moi/l’autre, bien/mal, citoyen/barbare, humain/non humain… et même 0/1), à la base d’une conflictualité inhérente à notre condition humaine.
Ainsi tant que notre psyché nous donne l’illusion d’être à part, le conflit devient notre nature par essence et nous condamne à cette éternelle quête identitaire qui nourrit la comparaison, le jugement, la compétition et le désir de domination. Par extension sociale, cette quête nourrit évidemment toutes les luttes internes aux sociétés humaines, depuis la quête du pouvoir jusqu’à l’extermination de celui ou ceux qui, à tort ou à raison, remettent en cause ma construction identitaire. Pour le Yoga qui signifie « union », cette quête d’identité serait la source de toute souffrance humaine. Pour sortir de cet enfermement dans la conscience de soi, les yogis prétendent qu’il est nécessaire de développer notre conscience du corps et de son intériorité pour accéder à un nouveau niveau de conscience. C’est un peu comme si reprenant conscience de notre corps en perpétuelle relation et échange avec le réel, nous considérions maintenant le continuum du vivant oubliant dehors et dedans pour faire de la conscience humaine une interface. Nous ne sommes plus une individualité qui fait l’expérience de la vie mais la vie elle même qui s’expérimente au travers de chacun de nous.
Aparté
Ma modeste expérience du yoga et de la méditation (dite de pleine conscience) me permet de témoigner aujourd’hui des capacités qu’ils offrent à changer notre être au monde (au réel) et combien ces changements ont pu diffuser simplement dans mon environnement familial et professionnel.
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