Je deviens semble-t-il un vieux ronchon avec l’âge. Ne vous inquiétez pas : il s’agit paraît-il d’une sorte de loi de la nature. Quoi qu’il en soit, vous m’aurez-vu pester ici au fil des ans devant la médiocrité (je cherche un terme plus fort, aidez-moi) des traductions de l’anglais au français. Le motif immédiat de mon irritation : ma recherche à l’instant de critiques en français du film d’Antonioni The Passenger. J’aurais pu chercher longtemps : le titre français est Profession : Reporter. Le rapport entre les deux ? Aucun [je découvre plus tard qu’en italien, ce film tourné en anglais s’appelle Professione : Reporter, ce qui est donc peut-être le titre qu’Antonioni entendait lui donner], et j’ai pesté dans le même sens quand je faisais le compte-rendu récemment d’une série de films des angry young men britanniques (je sais, je devrais terminer la série en parlant de Billy Liar et de A Sporting Life, mea culpa) : il semble exister un principe selon lequel le réalisateur d’un film ne bénéficie d’aucune protection contre une traduction injurieuse par sa stupidité du nom de son film. Qu’est-ce qui permet cela ?
Mais il y a bien pire : la traduction de livres. De ce que je vois, là aussi un auteur ne semble bénéficier d’aucune protection contre une traduction inepte de son livre. Parfois l’erreur de compréhension débute même avec le titre. Je vous ai ainsi parlé du Player Piano de Kurt Vonnegut, traduit comme Le pianiste déchaîné alors qu’un player piano est un piano mécanique, lequel joue un rôle crucial dans le livre, ce qui fait que la traductrice aurait eu du mal à le louper. (Maintenant que j’y pense, je devrais aller vérifier : il se peut que durant toute la scène où les présents réfléchissent aux méfaits de la mécanisation en observant le piano mécanique jouer tout seul son morceau, la traduction française les représente observant à la place … un « pianiste déchaîné » !).
Il ne s’agit là, me direz-vous, QUE de science-fiction, genre universellement méprisé, mais je vous ai parlé déjà aussi d’une traduction de Philip Roth chez Gallimard (bon sang de bois !), où des passages entiers sont privés de sens, et où j’avais fini par deviner la clef : la traductrice ne comprenait aucune des expressions, dictons, citations d’auteurs connus, présents dans le texte, traduisant tout cela littéralement, insouciante du fait que cela n’ait ni queue ni tête. Je viens de dire deux fois « traductrices », mais j’ai pris le regretté Philippe Jaccottet, traducteur apprécié de l’allemand, la main dans le sac traduisant « comme un vol d’oiseaux se dirigeant vers lui » par « comme des oiseaux reviennent de migration » (L’homme sans qualités de Musil – Tome 1 – page 89).
Tout se passe comme si lors d’une traduction de l’anglais au français, aucun processus de vérification de la qualité de la traduction n’intervenait (même dans les plus grandes maisons d’édition).
L’explication de ce scandale, je l’ai peut-être découverte accidentellement lors d’une prise de bec récente avec le traducteur d’un de mes textes en anglais (sa malchance : que mes traductions en anglais, je pourrais aussi bien les faire moi-même, si j’en avais le loisir), qui voulait me faire signer un papier contenant une clause « standard » selon lui : que sa traduction serait « une œuvre originale », sous-entendu qu’il pourrait s’écarter autant que cela lui chanterait de mon texte. Je lui ai dit non : ce que j’espérais de lui était une traduction « servile » de mon texte. Ce que lui aurait écrit à ma place sur le même sujet, honnêtement, je m’en souciais comme d’une guigne.
J’entends dire – je n’ai pas vérifié – que le traducteur au monde le plus fantaisiste en matière de transposition de l’anglais au français était le fameux trompinettiste, admirateur de Jean-Sol Partre, Boris Vian. Je comprends, je comprends mais cela ne me paraît pas une raison suffisante : un texte de Paul Jorion en patagon, devrait évoquer au Patagon lecteur de Paul Jorion, une personne assez étroitement proche de qui je suis à mes propres yeux !

Laisser un commentaire