Après Antonioni, Godard

Après avoir revu à la suite, tous les Antonioni (vous m’avez vu mettre en ligne quelques vignettes : Des goûts et des couleurs, et L’homme qui dit : « Les femmes sont comme ça »), je suis passé à Godard, du moins celui des années soixante.

Je les regarde dans un ordre arbitraire ou, plus précisément, l’ordre que me suggère l’envie de les regarder. Lequel reflète sans doute le plaisir que j’ai eu à les voir au moment de leur sortie.

Si l’on excepte « Deux ou trois choses que je sais d’elle » (1966), que j’ai revu il y a un an, au moment où j’ai interviewé Marina Vlady, je viens de revoir ces jours derniers, « Week-end » (1967), « Pierrot le fou » (1965), « Masculin féminin » (1966) et « La Chinoise » (1967).

Quelques mots sur chacun d’eux, cette fois dans l’ordre chronologique.

« Pierrot le fou » (1965)

Dans la vraie vie, Anna Karina et Godard se sont quittés et ils divorcent. Il lui dédie un monument en couleurs et en CinemaScope. Elle chante des chansons de Cyrus Bassiak (Serge Rezvani) : « Ma ligne de chance » (il le fut en effet pour elle) et « Jamais je ne t’ai dit que je t’aimerais toujours, ô mon amour » (hélas !). Et pendant qu’elle chante, Belmondo virevolte et danse et tombe, plusieurs fois, de très haut (le pauvre). Comme souvent chez Godard, il n’y a pas vraiment d’histoire mais on s’en fiche : on est là pour les splendides images (de Raoul Coutard) et les collages de citations (plus ou moins bien amenées, ou carrément sur des cartons). Quoi qu’il en soit, on y comprend suffisamment pour savoir qu’il s’agit d’une femme perfide (ouch !), qui vous donne l’envie quand elle vous quitte de mettre fin à tout ça, à la dynamite (boum !).

« Deux ou trois choses que je sais d’elle » (1966)

Les occasionnelles, poussées par la faim, un grand thème chez Godard. Signalé aussi dans « Masculin féminin ». Et il en reparle dans « La Chinoise ». Ça lui fait mal dans sa chair. C’est clair.

« Masculin féminin » (1966)

Ayant entrouvert la porte de la rédaction de « Mademoiselle Âge tendre », Godard découvre les yéyés. Il est à la fois fasciné parce qu’ils sont tout beaux, tout neufs sortis de l’œuf, et consterné, parce qu’ils sont cons : « Mademoiselle 19 ans » qui dit que « réactionnaire », c’est bien parce qu’ »il faut réagir ». La malheureuse est immortalisée à jamais pour avoir été dans un film de Godard, mais dans le rôle de l’incarnation ultime de la fille godiche.

C’est lui, Jean-Luc, qui a rédigé dit-on la moindre ligne de ce film, ce qui souligne son talent magnifique de caméléon : penser (si l’on peut dire) comme un yéyé et parler comme un yéyé, sans cesser d’être Godard !

L’histoire est de Guy de Maupassant (« La Femme de Paul ») : un jeune homme candide (Jean-Pierre Léaud) qui ne devine pas, alors même qu’il partage leur lit, que ses copines (Chantal Goya et Marlène Jobert – dans son premier rôle) s’intéressent davantage l’une à l’autre qu’à lui (d’où le petit manège des places échangées au cinéma). Il en meurt, c’est la vie. Mais une fois de plus, à la limite, on s’en fiche, parce qu’on n’est pas là pour apprendre à devenir moraliste, mais pour voir un film de Godard !

(Lequel s’offre au passage la gâterie un peu sadique de montrer Jean-Pierre Léaud juger nul le décalque d’un film de Bergman, alors que les minettes yéyés, de leur côté, trouvent cela « intéressant »).

N.B. Willy Kurant, directeur de la photographie de « Masculin féminin » est mort le 1er de ce mois.

« La Chinoise » (1967)

Il n’y a pas que les yéyés heureusement : il y aussi les jeunes qui pensent. Seul souci : ce qu’ils pensent, c’est parfois vraiment n’importe quoi. Et Francis Jeanson, vrai philosophe ayant été plongé dans la pratique de l’histoire en train de se faire, est chargé de ramener sur terre Anne Wiazemsky, fille de banquiers, comme elle l’admet, et qui se perd un peu dans les arcanes du maoïsme militant et assassine le locataire du 32 au lieu du 23. Pour Juliet Berto, fille d’ouvriers, la Révolution, ce n’est pas un pur fruit de l’imagination : elle y colle de beaucoup plus près. Omar Blondin Diop mourra lui dans la vraie vie pour ses idées marxistes-léninistes – bien vu, Godard ! Quant au nihiliste russe (le Hollandais Lex de Bruijn – qu’est-il devenu ?), parfaitement dans la ligne, il n’est pas sûr de saisir la différence entre assassiner un ennemi du peuple, et s’assassiner lui-même.

« Week-end » (1967)

Ah ! Vous avez fait de moi un « grand réalisateur » ! Je vais vous montrer : je vais faire bouffer Jean Yanne par son épouse Mireille Darc ayant rallié les rangs du Front de Libération de la Seine-et-Oise ! Ce qui fut fait.

Avec au passage, le plus beau travelling de l’histoire du cinéma – ex-aequo avec la scène finale de Profession : Reporter (1975) d’Antonioni.

(À suivre…)

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5 réponses à “Après Antonioni, Godard

  1. Avatar de PHILGILL
    PHILGILL

    En somme, après Antonioni, Godard…, que déclenche en nous l’envie de voir ou de revoir l’ensemble des films reflétant la personnalité artistique d’un réalisateur ?
    Est-ce, pour les temps présents, une sorte d’appel au secours ?
    Une nouvelle «  lettre ouverte » pour « la survie de notre espèce » ?
    Une tribune du 7e Art dont Paul Jorion serait Le premier signataire, et qui aurait pour titre :
    « Quel avenir pour l’Amour ? »

    1. Avatar de Chantal montellier
      Chantal montellier

      Sublime, forcément sublime, la lecture des films de JLG par Jorion. Envie de les revoir, mais n’en est pas un seul. Trop snob pour moi toussa. Oui, je sais…mais c’est parce que j’ai été malade.

      1. Avatar de Paul Jorion

        Godard ? Il est non seulement snob, mais il a des lunettes et il est Suisse !

        Quant à Antonioni, au lieu de brosser le portrait de son rapport complexe avec les femmes, j’aurais mieux fait de rappeler qu’il avait un jour tiré les nattes de ma petite sœur !

  2. Avatar de octobre
    octobre

    Tiens, ça me semble le bon endroit pour poser cette question : N’avez-vous pas, monsieur Jorion, le projet d’écrire quelque chose sur le cinéma de Tarkovski ou bien j’ai rêvé ? Quoi qu’il en soit, cela pourrait être un véritable plaisir de lire une réflexion de vous sur ce géant du septième art.

    1. Avatar de Paul Jorion

      Ah, c’est sûr. Mais il disait si bien ce qu’il voulait dire que, d’une certaine manière, on ne pourrait que répéter ce qu’il a dit.

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