Un cas m’est revenu qu’il faudrait que j’appelle « La femme qui me montre ses organes génitaux sous un fallacieux prétexte ». Et j’écarte aussitôt cette anecdote comme ne trouvant pas sa place dans mon enquête. Et il ne s’agit pas de pudibonderie mais simplement du sentiment que je me laisserais aller à la simple tendance à raconter une histoire, qui amuserait le lecteur sans aucun doute, mais dont il n’y aurait rien à tirer comme enseignement quant au rapport entre les hommes et les femmes.
Mais depuis quelques jours je me posais la question : je me disais « Pourquoi n’y a-t-il pas de leçon à tirer ? Ce n’est pas le sentiment que tu as eu à l’époque ». Et ce matin, vaquant à d’autres occupations, je tombe sur la phrase suivante : « Or l’homme en tant qu’homme se « nourrit » de désirs (ainsi par exemple il ne s’accouple pas seulement en animal avec la femme ; il veut encore – en être humain – être aimé d’elle) ». Cette phrase est dans l’« Esquisse d’une phénoménologie du droit » d’Alexandre Kojève. Et la réponse est là bien entendu : on peut faire communiquer directement les cons et les bites et le résultat est parfaitement prévisible et il révèle sans doute quelque chose sur la nature biologique, au sens d’« animale », de l’homme et de la femme mais rien sur leur rapport proprement « humain ».
J’ai étudié l’anthropologie et je me souviens d’une discussion qui avait eu lieu à Cambridge dans un séminaire où les étudiants doctorants discutaient entre eux une fois par semaine du progrès (ou le plus souvent de l’absence de progrès) dans la rédaction de leur thèse. Le débat portait ce jour-là sur la description par un ethnologue de renom d’une scène d’initiation, où il expliquait que les jeunes hommes étaient assis nus en rang sur un banc et que les jeunes filles nubiles entraient dans la pièce, nues elles aussi, et chacune, choisissant son candidat, se postait devant lui, et levant l’une de ses jambes, allait caler le creux de son genou (le creux poplité) sur l’épaule lui faisant face du garçon. Ce n’était pas la description elle-même qui avait rompu notre unanimité, la scène étant facile à se représenter, ainsi que ses implications immédiates. Ce qui provoquait débat, c’était le commentaire de l’ethnologue, à savoir qu’il n’y avait là « en réalité » rien de sexuel. J’appartenais, ma lectrice et mon lecteur l’auront deviné, au camp des sceptiques.
Cette population avait parfaitement compris que si, d’une manière générale, les femmes font bander les hommes, il y a cependant certaines femmes qui ne font pas bander certains hommes, ce qui n’augure rien de bon au cas où ils auraient conçu ensemble des projets matrimoniaux. Placer le sexe entrouvert de la femme à vingt-cinq centimètres des yeux de l’homme, et observer ce qui se passe de son côté, constitue un test simple et pratique, susceptible d’éviter bien des déconvenues par la suite. Mais, et c’est ici qu’intervient nécessairement l’être « humain » de l’homme, il s’agit pour ce qui touche à l’éventualité de déboires ultérieurs de ce qu’on appelle en logique d’une « condition nécessaire mais non suffisante ».
La jeune femme que je connais à peine et qui relève sa jupe révélant son sexe roux en affirmant que cela la démange et que je dispose d’un meilleur point de vue qu’elle pour en découvrir la cause, et œuvre aussitôt à me faciliter la tâche, même si elle utilise des mots pour le dire (ce que les animaux sont incapables de faire) et même si elle recourt à une stratégie (que je qualifie de « fallacieuse » du fait qu’elle déguise son but réel), me colle le nez sur ma nature animale, et le fait qu’elle arrive encore à me faire bander quand j’y repense bien des années plus tard ne constitue en réalité pour elle qu’une victoire à la Pyrrhus car mon premier souci fut bien entendu de décoller mon nez de ma nature animale pour réaffirmer les droits de ma nature à proprement parler « humaine » : je lui dis qu’avec l’aide d’un miroir, et du fait que la forme et la coloration habituelle de son anatomie lui étaient plus familières qu’à moi, elle parviendrait à un résultat plus sûr que celui que je pourrais atteindre quant à moi. Ce fut là ma façon de lui rappeler que, comme l’écrivait si bien Kojève, « l’homme veut encore – en être humain – être aimé de la femme avec qui il s’accouple ».
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