Retranscription de J’ai fait un rêve, le 12 mars 2022
Bonjour, nous sommes le samedi 12 mars 2022 et aujourd’hui, ma vidéo s’intitulera « J’ai fait un rêve ». Ça ne ressemble pas au rêve de Martin Luther King Junior, voilà.
De quoi il s’agit ? Quand je fais un rêve en général, ça n’a ni queue, ni tête. Je l’oublie aussitôt et il m’arrive quelquefois, vraiment très très rarement, de faire un rêve où il y a une histoire. Et sur la dernière dizaine d’années, il m’est arrivé deux fois en fait de faire une toute petite note sur un rêve que j’ai eu parce qu’il y a une histoire et une histoire telle que ça m’amusera de la relire un peu plus tard. Et ce matin, donc, je me réveille et, un peu plus tard, je me souviens du fait que j’ai fait un rêve juste avant de me réveiller et le rêve, avec des personnages… Bon, je vais vous dire, mais je me suis dit : « Tiens, voilà, s’il s’agissait de quelque chose qu’un de tes analysants ou analysantes te proposait, tu ferais une interprétation, alors pourquoi pas, puisqu’il y a suffisamment d’histoire, suffisamment de scénario pour qu’une interprétation puisse être intéressante ».
Et voilà, ça se passe probablement en Angleterre. Je crois que ça se passe à Cambridge où j’ai habité une dizaine d’années et il y a trois personnages : il y a une femme en rouge, il y a quelqu’un que je reconnais très très bien, c’est Sir Edmund Leach [1910-1989], et puis il y a moi-même. Et la scène, c’est un débat, voilà, c’est un débat. Il y a ces trois personnes et manifestement, Leach joue la personne qu’il est : le principal débatteur, et il y en a deux autres, c’est la femme en rouge et puis moi.
La femme en rouge, elle ne joue pas un rôle, je dirais, très important dans l’histoire. Je ne me souviens de rien à son propos sauf qu’elle fait partie des trois personnes et je crois que c’est une de mes analysantes : ça attire mon attention sur la psychanalyse et c’est une personne qui se caractérise par le fait qu’elle pourrait être là. Pourquoi ? Parce qu’elle a une représentation du monde extrêmement sophistiquée, extrêmement à la fois cérébrale mais intégrant véritablement la nature humaine et, bon, donc, il est normal, quand je me réveille, de me dire : « Oui, cette personne-là pourrait venir présenter des choses très intéressantes ».
L’autre personnage, c’est Sir Edmund Leach, mort dans les années 1980, très grand anthropologue. Il a été en particulier l’élève de Malinowski qui est considéré comme le fondateur de l’anthropologie sociale moderne. Leach est un personnage tout à fait remarquable. Il a été « Provost of King’s College » à Cambridge. Alors, si vous connaissez un peu l’éducation supérieure, Cambridge, c’est pas mal, c’est tout au-dessus. King’s College, avec des gens très importants qui ont fait partie de ce collège : John Maynard Keynes mais bon, au Moyen âge déjà, et ainsi de suite. Un personnage, un iconoclaste. Il tenait à cette représentation d’iconoclaste. Bon, il n’y a qu’en Angleterre, à ma connaissance – je ne dis pas « au Royaume-Uni » – en Angleterre, c’est l’endroit au monde où on nomme des excentriques tout à fait peu présentables à des postes importants. Quand on lui a proposé, et il l’a fait, de faire à la BBC, les Reith Lectures, c’est une série de conférences qu’on fait, c’est extrêmement prestigieux, une fois par an à la BBC, il a accepté et il a fait essentiellement… l’éloge de la bande à Baader.
Bon, ça a provoqué le scandale que vous imaginez, ce qui était ce qu’il voulait puisqu’il aimait cette image d’iconoclaste. Et moi, j’étais assez proche de lui. Il a été mon directeur de thèse mais il est aussi la personne qui m’a dit un jour : « Paul, voilà, je sais que tu as acheté un petit ordinateur individuel ». On était en 1980, c’était la toute première génération d’ordinateurs individuels. Il dit : « Moi, j’en ai un aussi. On va faire… Ensemble, on va résoudre un certain type de problèmes classiques en anthropologie mais qui demandent des mathématiques et ces ordinateurs individuels vont nous permettre de faire ça ».
Je lui ai répondu : « Mais je ne sais même pas faire de la programmation » et il m’a dit : « Cet après-midi, tu prends un peu de temps sur la rédaction de ta thèse et tu commences à étudier la programmation ». Voilà ! Et c’est comme ça que ça s’est fait. J’étais jeune. Il y avait une très grande différence d’âge. Il devait avoir dans les 70 ans [70 exactement] et moi, j’en avais dans les [30]. Je devais avoir… A ce moment-là, je devais avoir [33] ans et ça s’est fait comme ça.
Bon, alors, dans mon rêve, on est donc… Il y a une conférence. Il y a trois personnages : la femme en rouge, il y a Leach et puis, il y a moi. Et Leach fait son exposé, tout le monde apprécie beaucoup, c’est un personnage remarquable et ainsi de suite. Je ne sais plus si la femme en rouge parle avant moi… Enfin, toujours est-il que le moment est venu pour moi de faire ma présentation. Je commence à parler et j’ai à peine parlé pendant 5 minutes que Leach ramasse ses affaires et il s’en va. Il part dans les coulisses, voilà, je ne sais pas, une antichambre qu’il y a derrière cette salle où ce grand débat a lieu. Alors, je suis vraiment… Je suis vraiment frustré, I’m pissed, comme on dit en anglais et je termine en vitesse, je termine mon argument et puis je m’en vais. Et je vais dans la salle où je sais qu’il est et il est là : il est en train de mettre des choses dans son cartable, dans sa sacoche. Et il comprend le reproche que je lui fais simplement en le regardant et il me dit : « Mais oui, y a pas de souci. Non, c’est très bien ce que tu fais. Tu as toujours raison, c’est toujours très très bien. C’est formidable. En partant, je montre que je te fais confiance et que je sais qu’il n’y aura rien à redire sur tout ce que tu diras par la suite ». Bon, ça m’empêche pas, moi, d’être très frustré et, en me réveillant, de garder le souvenir, voilà, parce que je me réveille aussitôt. Je me trouve un peu dans un parc un peu après et puis je me réveille, et puis j’oublie le rêve et il me revient un peu plus tard.
Alors, si je veux l’interpréter, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que ça renvoie à toute la semaine pendant laquelle je n’ai pas fait de vidéo parce que je me suis dit la chose suivante : je prévois un certain nombre de choses. J’ai prévu la crise des subprimes à partir de 2005. J’ai dit que le Brexit, le jour où les gens ont voté pour le Brexit, j’ai dit : « Ça va être la catastrophe ! ». J’ai dit en 2017 à propos de Trump, j’ai dit : « C’est le général des troupes sudistes en déroute qui continue la bataille et qui veut une revanche ». À propos de Poutine et de ce qu’il veut faire, j’ai fait une vidéo à la fin, est-ce que c’était en octobre ou en novembre 2020 [le 18 décembre 2020] ? Bon, ça nous fait quoi ? Ça nous fait un an et demi à peu près, vidéo que j’ai appelée : « Les États-Unis ont perdu ». Et j’expliquais dans la vidéo que j’aurai pu l’appeler : « La Russie a gagné » – on était il y a un an et demi – si la Russie avait admis que c’était bien la Russie qui avait piraté entièrement le système informatique des États-Unis et des nations de l’OTAN dans leur ensemble.
Donc, pendant la semaine, j’ai réfléchi plusieurs fois à : « Est-ce que tu ferais une vidéo ? » Et je me suis dit Non parce que je pourrais faire une fois de plus… Je ne suis pas dans la période où on m’appelle « alarmiste » parce que j’annonce que des choses vont se passer. Je suis dans la période où simplement, involontairement, en parlant des choses, je ne fais que répéter comme le schtroumpf à lunettes : « Vous voyez bien, j’avais raison, vous auriez dû m’écouter ! ».
Alors, il y a deux choses que je peux faire : je peux simplement dire : « Je vous avais bien dit que ça allait se passer comme ça et ça s’est passé comme ça ». Je peux aussi – au cas où il y aurait une fois suivante – essayer d’attirer l’attention en disant : « Vous voyez bien que j’avais raison cette fois-ci, j’avais raison la fois précédente, j’avais raison encore la fois d’avant alors quand je serai dans la phase où vous m’appellerez « alarmiste », quand je serai dans cette phase-là, au moins, écoutez moi la fois prochaine ! ». Bon, la difficulté cette fois-ci, c’est que la possibilité ou non qu’il y ait une fois prochaine est de plus en plus problématique, bon, et du coup, je ne le fais pas.
Alors, qu’est-ce que j’ai fait cette semaine ? Il se fait qu’il y avait deux évènements : je devais rencontrer des gens à propos des instances de la psychanalyse. On m’avait demandé aussi de faire une vidéo qui serait présentée dans un congrès de psychanalystes qui va avoir lieu, comme une sorte de portrait de la psychanalyse à partir de la question : « Qu’est-ce qu’on paie ? » L’analysant, l’analysante, qu’est-ce qu’ils paient ? Qu’est-ce qu’ils ont ? Qu’est-ce qu’ils reçoivent ?
Bon et du coup, j’ai passé la semaine à faire de la psychanalyse. La psychanalyse, voilà, que l’univers vive encore… enfin, que le monde humain vive encore 48 h ou pas, je peux toujours rendre service aujourd’hui, je peux aider les gens à traverser leur journée, à comprendre leur vie bien davantage, etc.
Et ça, voilà, tant qu’il y a de l’électricité si j’emploie Zoom, je peux faire ça aussi. Et là, je n’aurai pas l’air du schtroumpf à lunettes : j’aurai l’air du Grand schtroumpf qui fait des choses utiles quand il le faut. Et par ailleurs, à l’intérieur de cette activité, il y a quand même des choses très importantes qui se passent et qui s’articulent avec le reste, comme le fait qu’un analysant me dit à propos de ce que j’avais donc dit de Trump et de son armée de Sudistes, il dit : « Vous auriez pu dire – dans une métaphore du même ordre – vous auriez pu dire, puisque c’est ça que vous disiez depuis un certain temps à propos de Poutine, vous auriez pu dire ‘le dernier général de l’armée tsariste’ voilà ». Et c’est vrai, je n’y ai pas pensé : ç’aurait été un bon parallèle.
Par ailleurs, la personne qui m’a interviewé pour faire cette vidéo, une sorte de portrait rapide – enfin, 40 minutes – de la psychanalyse, cette personne aussi, là, m’apporte quelque chose de très important parce qu’elle me dit – et elle a fait une petite note là-dessus que j’espère pouvoir vous montrer rapidement – elle me dit : « Il y a une différence entre Lacan et vous, c’est l’accent mis par Lacan sur la chaîne signifiante et la chaîne signifiante existe aussi chez vous mais il y a un élément supplémentaire » – et je vais expliquer ce que tout ça veut dire.
Lacan par rapport à Freud, introduit cette idée que les êtres humains sont subordonnés au langage et aux effets de langage et d’une certaine manière, en tant qu’êtres humains « symboliques » [au sein des symboles], nous sommes là un petit peu simplement comme des transporteurs de signification. Nous nous transmettons des mots les uns aux autres et d’une certaine manière, nous [sommes appendus] à cette chaîne signifiante. D’une certaine manière, pour le dire d’une façon que j’avais un peu décrite comme ça dans « Principes des systèmes intelligents » (1989), nous sommes subordonnés au lexique. Nous sommes subordonnés au dictionnaire et quand on dit : qu’est-ce qu’un robot intelligent devrait apprendre ? Je dis : « Il faut d’abord qu’il apprenne Wikipédia ». Il y a déjà énormément de ce qu’on doit savoir qui se trouve simplement dans Wikipédia, dans des séquences de mots qui sont mis à la suite les uns des autres, voilà.
Et cette personne me dit : « Mais chez vous, il y a ça, c’est très important chez vous aussi mais il y a autre chose : il y a une autre chaîne, c’est une chaîne des choses ». Il y a une chaîne des choses et, en particulier, c’est vrai, en particulier dans un livre qui s’appelle « La transmission des savoirs » (1984) où je collabore avec Geneviève Delbos, on montre essentiellement que dans beaucoup de cas d’explications de type sociologique et anthropologique, on peut venir avec ce qu’on appelle du « matérialisme vulgaire » : comme si c’était les choses qui déterminaient ce qui va se passer pour les êtres humains. Comme quand Marx, Karl Marx dit : « Il ne faut pas dire que le fils aîné hérite de la ferme, il faut dire que la ferme hérite du fils aîné ».
Et effectivement, c’est comme ça qu’il faut le voir. [Alexandre] Chayanov (1888-1937), le grand sociologue de la ferme russe, assassiné par Staline – il faut toujours rappeler ce genre de choses – avait montré que ça fonctionnait de cette manière-là. C’est la ferme qui dit au père de famille : « Il faut que nous adoptions une fille en plus… (parce qu’il en manque une) ». On ne dit pas « parce qu’il en manque une ». C’est le père de famille qui dit : « Toi, le fils, tu épouseras telle fille de telle ferme » et il ne l’ajoute pas mais ça va de soi :« parce qu’il faut absolument qu’il y ait une activité comme celle qu’il y a dans cette ferme-là pour compléter la nôtre ». Comme si c’était la ferme qui dictait aux gens ce qu’il faut faire.
Et c’est vrai que grâce à la notion, par exemple chez le philosophe Lévy-Bruhl, la notion d’« appartenance », je montre que les gens sont quelque chose à la rencontre non seulement des êtres humains qu’ils sont – parce qu’ils sont délimités par la peau qui est une limite extérieure – mais qu’il y a d’autres choses. Et que tel bonhomme avec sa moto, c’est une unité, c’est lui et sa moto : si on griffe sa moto, c’est lui qui saigne.
Et ça, on le sait bien. Dans d’autres sociétés comme les sociétés de type australien aborigène, la notion de qui on est : la personne, si on est un kangourou, si on est du totem du kangourou, eh bien, on est tous les kangourous et dès qu’un kangourou est blessé, on a mal et on saigne aussi de quelque part. Ça dépend des cultures. Ça dépend aussi des individus dans les cultures mais nous sommes effectivement à la rencontre d’une chaîne constituée des mots mais nous sommes aussi à la rencontre d’une chaîne constituée de choses : d’objets particuliers auxquels la propriété, la notion de propriété privée, nous raccorde.
Bon, alors, voilà à quoi j’ai passé la semaine au lieu de faire le schtroumpf à lunettes en vous parlant de l’Ukraine, de ce drame, de cette tragédie, et dont on ne sait pas comment ça va se terminer. J’y pense, il y a des choses vraiment abjectes qui continuent d’être dites, voilà, dans les milieux complotistes et c’est vraiment… il y a des moments où les complotistes m’indiffèrent complètement mais il y a des moments où les complotistes, je dirais, dépassent les bornes de la décence, de ce qu’on peut faire entre êtres humains.
Alors, qu’est-ce que je vais faire cet après-midi et le reste du week-end ? Eh bien, je vais faire quelque chose, je dirais, d’encore moins relié de manière directe à l’actualité : je vais continuer de travailler en collaboration avec cette mathématicienne-informaticienne d’origine chinoise Yu Li qui travaille à l’Université de Picardie à Amiens. On va essayer de terminer nos deux papiers qui vont parler du théorème de Gödel comme j’avais déjà fait dans mon livre « Comment la vérité et la réalité furent inventées » mais moi, je travaille surtout sur la partie pour laquelle elle m’avait appelé au départ, c’est-à-dire cette conjecture mathématique – informatique théorique qui s’appelle P vs. (« contre », « en face de ») NP, voilà.
Alors, vous me direz : « C’est complètement abstrait, c’est de l’épistémologie, c’est des fondements des mathématiques. Vous n’avez rien de plus utile à faire en ce moment ? ». Et là, je vais vous dire : « Vous voyez, je fais déjà pas mal de choses dans différents domaines et j’essaye que tout ça continue d’avoir un sens » et là, je vais vous dire, vous le savez par ailleurs, je travaille sur l’Intelligence Artificielle depuis, voilà, depuis 1987, c’est un domaine qui m’intéresse et vous savez que j’ai cette idée que si ce que je fais n’était seulement utile que par rapport à des robots qui vont nous succéder parce que nous ne serons plus là mais eux seront toujours là, eh bien, ces robots pourront comprendre quelque chose de plus sur le rapport entre les représentations de type mathématique qui sont entièrement formelles et la physique qui est la description du monde autour de nous.
Voilà, allez, à bientôt j’espère.
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