Retranscription de Les possédés et leurs mondes – Paul Jorion. Livre 10. « Et l’avenir de l’anthropologie dans tout cela ? Des humains sociaux, colonisateurs et opportunistes »
Et l’avenir de l’anthropologie dans tout cela ? Des humains sociaux, colonisateurs et opportunistes !
Il y a à peu près, quoi, un peu plus de deux siècles – parce que j’aime bien toujours lui donner comme date de fondation celle de la Société des Observateurs de l’Homme (1799-1804), donc la toute fin du XVIIIe siècle – tout début du XIXe – c’est l’époque de Degérando (1772-1842) qui rédige les notes sur les méthodes à utiliser (Considérations sur les diverses méthodes à suivre dans l’observation des peuples sauvages). C’est l’inventeur de la méthode de terrain qui est membre de la Société des Observateurs de l’Homme qui sont des philosophes, des médecins et qui s’intéressent à Victor de l’Aveyron, l’« enfant sauvage », qui s’intéressent et qui se réunissent sur « Pourquoi est-on fatigué les jours où il y a du vent ? », chose qui nous intéresse moins alors qu’on le sait encore. Tous ces gens-là qui se sont penchés sur des questions, Péron. François Péron (1775-1810) qui fera partie de l’expédition Baudin aux Terres Australes, dans la Terre Napoléon qui est une partie de l’Australie et qui fera remplacer sur le rôle d’équipage le nom de biologiste, de zoologiste par celui d’ « anthropologiste ». Je crois que c’est le premier qui se désigne lui-même de ce nom.
Deux siècles avec une réflexion sur comment classer tout ça parce que l’anthropologie sociale, par opposition à l’anthropologie physique, c’est l’abandon du vieux projet de classer les êtres humains uniquement comme on le faisait jusque-là pour les animaux, c’est-à-dire à partir des ressemblances ou non de leur squelette et pour décrire la société humaine à partir de là, on ne va pas très très loin. Il y a la fameuse indignation de cet anthropologue français au XIXe siècle qui a deux crânes : un Kalmouk, qui est donc un Mongol, et un Français et ne voit pas de différence entre les deux. Et donc, on ne va pas pouvoir continuer comme ça. Alors, on va classer les gens selon leurs institutions. Le premier modèle, bien entendu, le modèle évolutionniste dont on nous dit qu’il a disparu et, donc, c’est tout le XIXe siècle, mais il ne disparaît pas : les anthropologues continuent à raisonner en termes d’évolution.
Ensuite, les diffusionnistes qui essayent de résoudre un certain type de problèmes que les évolutionnistes n’ont pas pu résoudre : comment se fait-il que telle population ait telle et telle chose alors qu’apparemment, ça ne devrait pas être le cas ? On résout un certain type de problèmes.
Et puis, l’invasion de la sociologie avec des gens comme Alfred Reginald Radcliffe-Brown (1881-1955) qui disent : « Non : ce sont les sociologues, c’est Durkheim qui a montré la méthode qu’il faudrait utiliser. Il faut expliquer une société en tant que telle ».
Puis, les structuralistes pour qui les sociétés humaines représentent un certain nombre de configurations, ils les ont explorées les unes après les autres.
Puis des études plus culturalistes, un certain doute qui s’instaure dans l’anthropologie : est-ce que, comme l’avait déjà dit en fait Gregory Bateson (1904-1980) dans les années 30, est-ce que le travail de terrain n’est pas un test projectif ? Est-ce qu’il n’est pas comme le test de Rorschach, c’est-à-dire qu’on vous montre des taches sur un papier, on vous demande qu’est-ce que ça vous évoque ? Et dans son livre « Naven » – ça ne lui a pas fait que des amis en anthropologie, il a dû quitter le domaine mais il est devenu célèbre par ailleurs – Bateson nous montre que quand il s’agit d’un rituel, chaque anthropologue peut voir les choses de manière très très différentes et expliquer les choses autrement. Et, on l’a déjà vu dans le cadre dont j’ai parlé précédemment, des Murngin, même une population aborigène australienne, quand il s’agit de décrire ses institutions, deux personnes à quelques dizaines d’années de distance les voient entièrement différentes. Et des cas plus récents, est-ce que Franz Boas (1858-1942) n’a pas entièrement été berné par son informateur principal qui avait la réputation, on l’a appris beaucoup plus tard, d’être un affabulateur chez les Kwakiutl ? La personne qui suit Margaret Mead (1901-1978) sur son même terrain à Samoa, qui est elle dans une société où l’adolescence est une sorte de condition paradisiaque, la personne qui la suit voit essentiellement, lui, une culture du viol alors que rien ne vient nous indiquer que cette société ait changé à ce point-là pour passer d’un extrême à l’autre.
Alors, une représentation de l’humain dans toute sa variété. Je pense à mon ami Pouillon : Jean Pouillon qui était véritablement un ami. Il n’était pas de ma génération mais il est la personne qui m’a abordé au séminaire de Lévi-Strauss en me disant : « Vous ne me connaissez pas. Je me présente, je suis le secrétaire de Lévi-Strauss » et j’ai appris par la suite qu’il avait été celui de Jean-Paul Sartre précédemment. « Si un jour vous écrivez quelque chose, pensez à moi. J’ai plusieurs revues : la revue « L’Homme », « Les temps modernes », la « Nouvelle revue de psychanalyse », etc. Pensez à moi ». J’ai pensé à lui et il est devenu véritablement un ami. Il avait cette représentation que j’ai trouvée très intéressante. Il avait fait du terrain en Ethiopie et au Tchad et il avait cette conception, je dirais, assez hérétique par rapport à l’anthropologie que, en particulier, la représentation fonctionnaliste que les sociétés représentent un tout intégré, d’après ce qu’il avait pu voir, pour lui, ce n’était pas le cas. Il venait avec cette représentation dont, je crois, qu’il ne l’a jamais théorisée : ça n’a jamais été dans un livre et moi, je l’ai reprise de lui, cette théorie de l’approximation, d’un à peu près. Il dit : « En fait, c’est très facile pour une société humaine de survivre dans un environnement comme celui de l’Amazonie ou celui de la forêt tropicale. Il suffit de tendre la main pour cueillir des bananes ». J’ai pu observer ça effectivement à certains endroits en Afrique où les gens travaillaient, allez, disons 2 h par jour et ça suffisait amplement, ça suffisait amplement, non pas pour devenir riche à vendre des choses sur des marchés mais en tout cas pour vivre du jour au lendemain si on ne demandait pas davantage. Que les sociétés humaines, en fait, ont bénéficié d’une nature extrêmement favorable pour ce qu’elles étaient. Les grands dangers aux époques, je dirais, importantes ont été surtout la lutte contre les animaux sauvages qui étaient nos prédateurs. Et je repensais l’autre jour, en tant que psychanalyste : d’où nous vient cette anxiété à la tombée du jour ? J’ai rapproché ça, je me suis posé une question : est-ce que ça ne vient pas de ce que j’ai pu voir en Afrique, qu’un jour je me trouve là et des gens autour de moi disent : « On va faire un feu parce que la nuit tombe ». Je dis : « Si c’est parce que vous croyez que je vais avoir froid, ne vous inquiétez pas : pour moi, il fait encore très chaud » et ils m’ont dit : « Non, non, c’est pour écarter les lions ». La nuit qui tombe, c’est le danger qu’on ne voit pas venir. Moi, je ne crois pas fort aux choses qui se transmettraient comme ça, de génération en génération, mais qu’il faille faire attention quand la nuit tombe, je ne suis pas sûr que ça ne se soit pas transmis d’une manière ou d’une autre.
Alors, qu’est-ce qu’il nous reste de cette représentation d’une espèce, à part les grands prédateurs, qui se serait bien adaptée à son environnement ? Il y a beaucoup de maladies bien entendu. Quand on a voyagé en Afrique ou quand on vit là-bas, on savait qu’avant la vaccination, la survie, ce n’était pas un problème facile à régler. Moi, j’ai accompagné en tant que fonctionnaire des Nations-Unies, j’ai accompagné une équipe de l’Unicef qui allait pour la première fois dans un village africain assez reculé et j’ai vu les sourires, les rires sur les visages, sur le visage des villageois parce qu’ils savaient qui nous étions et que nous venions avec la vaccination. C’est des choses à rappeler, dans une période comme la nôtre où il y a des gens, au nom de leur liberté individuelle, qui mettent l’espèce en péril en refusant de se faire vacciner.
Qu’est-ce que c’est que cette espèce ? Est-ce qu’on peut tirer quelque chose de la grande variété de ce qu’elle a représenté et de ce qu’elle représente toujours ? Là, je dirais que le structuralisme – je suis encore structuraliste par rapport à ça, plus je dirais l’ingrédient de Pouillon -, l’homme a fort bénéficié d’un milieu qui lui était très favorable et qui, là, est en train de détruire entièrement et ça, c’est une question purement biologique : c’est la capacité de charge d’un environnement par rapport à une espèce. Est-ce que l’environnement peut subvenir à une société qui se conduit de telle et telle manière ?
Un des caractères de l’être humain, c’est d’être colonisateur : c’est une espèce colonisatrice. C’est d’abord une espèce sociale. Ça, ça se trouve déjà chez Aristote. Chez Aristote, il n’y a pas le mythe de l’Homme Sauvage qui, un jour, s’est réuni comme chez Hobbes et chez Rousseau, qui s’assied autour d’une table en disant : « Nous allons nous débarrasser d’un peu de liberté pour gagner un peu en sécurité ! Et voilà, la réunion se termine à 18h. » Non, nous sommes des animaux sociaux, depuis le départ : nous ressemblons très fort à des grands singes. J’ai assisté à un exposé de l’éthologiste Frans de Waal et il avait un tableau qu’il allait dévoiler : « Où est-ce que nous nous trouvons, les êtres humains, par rapport aux gorilles, par rapport aux chimpanzés, par rapport aux bonobos, par rapport aux orangs-outans ? » Du point de vue génétique, où nous nous situons par rapport à eux ? Et il pose la question avant de dévoiler, en disant : « Est-ce qu’on va être très excentrés par rapport à ce groupe, etc. ? ». Non. Quand le tableau se dévoile, nous sommes au milieu. Nous sommes entre tous les autres : nous sommes au centre des singes anthropoïdes. Nous sommes sociaux comme eux. On voit ces photos des gorilles qui dorment la nuit. On fait ça aux infrarouges et on voit que ces gorilles qui dorment la nuit, ils se touchent tous : chaque gorille dort en touchant au moins un autre gorille autour de lui. Ça fait un schéma entièrement interconnecté s’il fallait en faire le graphe.
Voilà ce que nous sommes. Nous sommes des êtres sociaux et nous sommes des mammifères aussi colonisateurs, c’est-à-dire que nous n’avons pas de mécanisme inscrit à l’intérieur de l’espèce qui nous permet de diminuer notre fécondité quand un danger se présente de ce côté-là, par exemple la destruction de l’environnement. On le sait, les turbots, qui sont des animaux, des poissons qui vivent au fond de la mer, ils ont besoin d’une certaine surface et le turbot pond moins d’œufs quand il y a beaucoup de turbots et que, voilà, il y a un mécanisme autorégulateur. Les lemmings, qui sont de petits rongeurs, qui sont des campagnols, nous le savons, quand il n’y a plus de place chez eux, quand ils ont épuisé leur environnement, ils partent en bande et essayent de passer un col entre deux montagnes. Ils tombent parfois d’une falaise parce qu’ils ne peuvent pas calculer, ils ne savent pas comment ça marche. Ils vont essayer de traverser une rivière qui est beaucoup trop large et ils se noient en grande quantité mais ce n’est pas un comportement suicidaire : ils essayent de trouver un nouvel environnement qui soit vierge et où ils puissent s’installer. Et il y a un peu des mécanismes de ce type-là chez les êtres humains. Par exemple, j’en ai cité un tout à l’heure : l’équipage qui explose quand il ne peut plus nourrir tout le monde à partir de la pêche qui est faite avec les pêcheurs qui sont sur le bateau : quand il y a trop de consommateurs par rapport aux producteurs. Nous avons des choses un petit peu de cet ordre-là et je l’ai vu aussi par exemple sur les villages africains : quand les champs maraîchers en-dehors du village deviennent trop lointains parce que le village a trop grossi, on voit apparaître, comme je l’ai dit aussi – et ça comme sur les bateaux – des accusations de sorcellerie. Les gens ne conceptualisent pas que c’est la pression sur l’environnement qui va obliger à une fission du village et, en général, ça se focalise là aussi, comme sur les bateaux, dans des querelles entre des frères qui seront de la même chefferie. Il y en a un qui va partir avec une partie du village. J’ai vu des villages au Congo où chaque village est séparé d’un autre par 50 km : il reste de la place pour faire ce genre de chose. Voilà : des fissions de ce type-là mais quand on épuise entièrement ces solutions-là, il ne reste que la solution de la colonisation de l’espace.
Deuxième trait donc des êtres humains : d’abord, ils sont sociaux, ensuite, ils sont colonisateurs. Et puis, ils sont opportunistes au sens qu’attache à ce mot l’éthologiste. Qu’est-ce que c’est qu’être opportuniste ? C’est ne pas reculer devant l’obstacle. C’est de trouver une autre solution. La mouche va se cogner 15.000 fois contre la vitre : elle n’a pas de mécanisme qui lui permette de changer son comportement. Elle voit quelque chose qui est transparent : elle va essayer de passer à travers. Et la mouche va finir par s’épuiser. Nous, devant l’obstacle, c’est pour ça que nous avons étudié les rats dans des labyrinthes avec des psychologues : le rat quand il arrive au bout, il fait demi-tour. Il va essayer de trouver une autre solution et n’hésite pas une demi-heure : il le fait très très rapidement. Nous, nous inventons d’autres solutions et c’est ça…
C’est un peu à partir de là que je raisonne moi aussi sur mes plans A, B et C. Nous sommes de grands inventeurs. Nous sommes de très très grands inventeurs et nous inventons tous les jours. Des pays comme la Chine produisent des dizaines de milliers d’ingénieurs. C’est un pays où il y a beaucoup de monde. Nous aussi nous produisons beaucoup d’ingénieurs. Nous inventons des tas de choses. J’ai vu l’Intelligence Artificielle bloquer pour des raisons budgétaires mais aussi pour la raison qu’on n’arrivait pas à résoudre le problème. Je vois les problèmes contre lesquels on bute pour nous immuniser contre les rayons cosmiques qui détruisent nos cellules à l’intérieur. On travaille là-dessus. On s’intéresse aux animaux qui peuvent le faire.
Alors, que peut apporter l’anthropologie ? À mon avis, l’anthropologie, c’est devenu non pas tellement une grande boîte à outils, encore qu’elle était très utile comme boîte à outils parce qu’il a fallu, pour faire cette observation participante qui était le cœur même de la récolte de l’information en anthropologie, il a fallu mettre ça au point : ça a été utilisé dans des tas d’autres domaines. Nous avons inventé des choses. Nous avons une représentation de l’humain mais c’est une représentation, je dirais, à l’arrivée qui est un petit peu, voilà, cette rencontre entre Lévi-Strauss et Pouillon : qui nous montre finalement que c’était parce que l’environnement nous était extrêmement favorable, qu’il n’y avait pas trop de difficultés et que, maintenant, en atteignant la capacité de charge de l’espèce, là, nous sommes vraiment très démunis si ce n’est à essayer de trouver des plans B et des plan C parce que devant le plan A, nous sommes très très démunis. Nous avons des systèmes politiques qui nous empêchent de résoudre véritablement les questions comme les migrants en grande quantité.
Nous avons un système économique fondé sur le profit, le profit demande de la croissance, la croissance demande de la destruction supplémentaire et ce n’est pas comme certains amis décroissantistes me disent : « Maintenant, il suffit de décroitre ». Le système économique que nous avons à la surface du monde est un système qui ne peut pas vivre sans croissance. On ne peut pas : il faut distribuer une nouvelle richesse créée parce que nous avons inventé ce système de dividendes, de partage, un système « à la part », ce qu’on appelle le métayage et ce n’était pas un mauvais système. Je l’ai vu fonctionner sur des plages africaines, je l’ai vu fonctionner en Bretagne. C’est un système qui partageait le risque, le système de métayage, mais il y avait quand même l’histoire du pêcheur qui aime bien que son mareyeur ait une plus grosse voiture que lui et ça, ça nous tue, ça nous tue parce que ça oblige à créer des grosses voitures qui vont continuer à polluer même quand elles seront à l’électricité, etc. Nous ne sommes pas, on le dit souvent, nous ne sommes pas encore adultes sur le plan politique. Si nous étions adultes sur le plan politique, nous le deviendrions rapidement sur le plan économique et nous sommes encore très très loin de le faire et, malheureusement, je crois qu’on n’aura pas le temps.
Alors, tout ce qui nous reste, c’est d’être une espèce opportuniste qui ne crache pas quand on lui parle de transhumanisme parce que le transhumanisme, en fait, c’est simplement de nous dire : « Il y a encore moyen de travailler sur les plans B et C ». Et je vais peut-être terminer là-dessus. Quand je vois des collègues anthropologues qu’on appelle les « nouveaux naturalistes » et qui nous disent, ils signent une tribune dans le journal Le Monde en disant : « Nous ne savons pas comment pense un glacier. Nous aimerions comprendre le glacier, la manière dont il pense ». Moi, quand même, la leçon que j’ai apprise de l’anthropologie, c’est que les glaciers ne pensent pas et que ce n’est pas en attendant que les glaciers trouvent la réponse ou que nous trouvions le moyen de communiquer avec les glaciers que nous trouverons la réponse.
Deux réflexions véritablement pour terminer : Auguste Comte, saint-simonien, voilà, un socialiste utopique saint-simonien qui a créé la sociologie. Il définit sa loi des trois états. La loi des trois états, c’est l’état théologique – c’est un schéma tout à fait évolutionniste -, l’état métaphysique et l’état rationnel, voilà. Il dit : « Nous sommes arrivés – à l’époque où il écrit ça, au milieu du XIXe siècle – nous avons atteint l’état rationnel ! ». Alors, pour ce qui est de l’état métaphysique et de l’état théologique, il les divise encore en trois catégories : la première étape dans l’étape théologique, c’est le fétichisme. Le fétichisme, c’est de croire que les objets pensent, c’est de croire que les objets sont animés de la même manière que les êtres humains et c’est la même pensée qui nous fait dire, qui ferait dire à certains, qu’il faudrait essayer de comprendre comment raisonne un glacier et qu’on apprendrait plein de choses à partir de là. Pour moi, c’est le premier stade de trois états, c’est le premier stade de la réflexion humaine et c’est pour ça que tout à l’heure, j’ai dit : « Il ne faut pas dire trop de mal des évolutionnistes parce qu’il s’est passé quand même quelque chose dans les sociétés humaines, quand nous regardons la liste des poteries par des fouilles archéologiques. Il y a des dessins de plus en plus complexes quand même quand on monte dans les couches archéologiques ». Même chose pour la sculpture, des choses de cet ordre-là. Tylor, Edward Burnett Tylor, dans les livres d’histoire de l’anthropologie anglo-saxons, il a encore une place plus importante que Lévi-Strauss dans l’anthropologie francophone. Edward Burnett Tylor, donc, anthropologue à la fin du XIXe siècle qui a fait un travail extraordinaire d’ailleurs d’essayer de classifier les sociétés. Il a utilisé des outils statistiques qui étaient assez neufs à l’époque pour voir les institutions qui communiquent entre elles. Qu’est-ce qui est possible ? Quand on fait telle chose par rapport à l’agriculture, qu’est-ce qu’on fait dans le système politique ? Des corrélations de ce type-là. C’était quelqu’un…
La plupart des anthropologues bien sûr du XIXe siècle sont des progressistes à l’intérieur de la pensée, à quelques exceptions près. Edward Tylor, à titre privé, quand on lui demande quel est le rôle que peut jouer l’anthropologie, il dit : « C’est l’éradication de la superstition », voilà. Et, moi qui suis très imprégné d’anthropologie britannique, je reste quand même assez tylorien de ce point de vue-là. Je ne crois pas qu’un retour à la superstition soit une manière de nous sauver. Je crois qu’au contraire, il faut encourager cette dimension opportuniste de l’être humain, c’est-à-dire de ne jamais abandonner devant l’obstacle et de toujours trouver autre chose en espérant que ça puisse, de très grande justesse, sauver le plan A mais, en tous cas, ne pas essayer de freiner ni le plan B, ni le plan C qui sont, le plan B, un plan de sauvetage, le plan C, un plan de tout à fait autre chose mais qui, au moins, je dirais, serait une sorte de monument à que nous avons réussi comme espèce animale et nous n’avons pas la preuve que, où que ce soit ailleurs dans l’univers, il y ait une espèce qui ait tenté quelque chose de cet ordre-là.
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