Les carnets du psychanalyste – Travailler avec un bon analyste

1.2.2022. Travailler avec un bon analyste.

La difficulté dans un champ comme la psychanalyse, dont le fondateur est un génie sur le plan intellectuel et un champion hors-pair de la compréhension intuitive, c’est : comment faire en sorte que les héritiers soient véritablement à la hauteur, d’autant que la transmission ne peut se faire, pour un savoir en grande partie empirique comme celui-là, que par l’apprentissage auprès d’un maître ?

Le processus étant décrit comme cela, il ne peut y avoir que déperdition, un peu du savoir originel se perdant nécessairement à chaque nouveau chaînon dans la transmission. Pour que le savoir du fondateur et la part susceptible de se transmettre de sa pratique ne se perdent pas entièrement en route, il faut qu’apparaissent périodiquement, comme jalons dans la chaîne, des refondateurs qui, non seulement font délibérément retour au message des origines, mais aussi le réinventent partiellement dans le nouvel esprit du temps, voire même, dans des cas exceptionnels (comme ce fut le cas pour Melanie Klein ou Jacques Lacan), parviennent encore à améliorer l’apport de Freud dans quelques interstices, ici ou là.

J’ai eu la chance de bénéficier de ce type d’“exceptionnalité” en devenant l’analysant de Philippe Julien. Bien sûr, le fait d’être bien aiguillé constitue une aide précieuse, comme quand mon amie Judith Feher-Gurewich me dit, faisant de gros yeux : “Il est passé par ici [Boston], il FAUT que tu ailles le voir !”.

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6 réponses à “Les carnets du psychanalyste – Travailler avec un bon analyste

  1. Avatar de Dimitri/Endora
    Dimitri/Endora

    Le problème de la réinvention est que cela crée des écoles qui s’opposent, se déchirent même et se radicalisent entre écoles, il y a une perte d’harmonie par la suite et les bases sont aussi concernées par ses divisions sur plusieurs personnes représentants de cette nouvelle pensée générale réinventée.

    Au lieu d’avancer, ce sont des reculades que cela crée et une perturbation de la pensée d’origine pourtant solide et acceptée, au lieu d’évoluer en réinventant, ce sont des régressions qui se créent, des remises en cause inutiles et fausses, cassant les idées d’harmonie acceptées de départ.

  2. Avatar de Hervey

    D’où la longue traversée dans le temps du compagnonnage qui s’est construit sur un socle de valeurs à l’identique mais pour acquérir d’autres savoirs et intervenir sur des objets autres que le mal-être.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Compagnonnage

    Le processus d’enseignement que vous décrivez marche aussi dans le domaine des arts plastiques.
    Il a turbiné lorsque existaient les ateliers mais ne s’est pas complètement perdu ensuite lorsque le marché s’est contracté faute de murs à peindre … depuis, l’intérêt que les artistes accordent aux oeuvres de ceux qui les ont précédés, lui, n’a pas complètement disparu.

    J’ai d’ailleurs l’impression que faisant suite à débats sur l’IA, votre propos du jour vient bousculer quelque peu les doutes précédents …
    Et c’est tant mieux !

  3. Avatar de Garorock
    Garorock

    Le gars du CNRS d’à côté me demande de poser la question suivante:
    « est ce que le génie de la compréhension intuitive a analysé des ouvriers, des paysans et des personnes issues de systèmes familiaux différents? »
    😎

    1. Avatar de Hervey

      Ben, faudrait demander aux pêcheurs de l’ile d’Houât …

  4. Avatar de Guy Leboutte

    Bonjour,

    Il y dans ce billet un biais, un biais dans ce billet, le biais du lait dans le billet du débit de lait, on connaît la chanson, qui postule l’excellence comme dérivant d’un génie unique, dit fondateur, et des suivistes ou épigones qui s’efforceront d’éviter la « déperdition » en effet inévitable dans cette vision. Quelques théoriciens seront reconnus pour vivifier le cours, mais combien d’autres l’ont fait sans l’écrire ?
    Un des aspects de la discussion est que nous ne parlons ici que de ceux qui ont publié.

    Si Sigmund Freud a introduit une rupture, on pourrait commencer par cette hypothèse. Mais inévitablement Freud n’est pas un aérolithe tombé du ciel, il est d’un monde et d’une époque. Pour se limiter à Groddeck, le Maître lui-même a reconnu que le médecin personnel de Bismarck avait inventé, ou découvert, l’inconscient avant lui. Je me demande si c’est de la sincérité ou de la condescendance. Mais Groddeck n’avait aucune appétence pour la fondation d’une école, ni pour se construire une image historique, à la différence de Sigmund, qui avait distribué une bague ancienne à ses proches qu’il considérait comme continuateurs et dont au moins Adler et Jung ne l’ont pas été du tout : dans un de ses petits livres, Erich Fromm a fait remarquer avec beaucoup de finesse et de pertinence, et beaucoup d’humour, que Freud se souciait non seulement de bâtir une oeuvre, mais un mouvement, une école, sans doute une postérité. En alignant les ordres du jour des réunions annuelles de l’Internationale (je suppose qu’il faut mettre une majuscule) de psychanalyse, Fromm montrait que ces agendas sont en tout point compatibles avec ceux d’un organisation militaire.
    Alors oui, dans cette vision où il est question d’un fondateur , les déperditions sont inévitables.

    Dès que l’on entretient une orthodoxie, on excommunie.
    L’alternative serait de pousser à une ligne qui reconnaît s’inscrire parmi les talents individuels, partout présents, sans souci d’orthodoxie ni de pureté d’un héritage cependant reconnu et respecté.
    Il y a beaucoup d’analystes libres et singuliers, j’ose le supposer, du genre éclectique, cette étiquette d’impureté pour trop d’esprits.

    (Et il y a même, ou aussi, d’autres voies que la psychanalyse.)

    L’internationale de psychanalyse a donc sombré sous la mainmise des Américains, les plus nombreux et les plus riches, qui ont pris le pouvoir, et que Lacan a justement révélés comme les propagateurs d’une (il faut dire : vulgaire) psychologie du moi, pour se faire en effet exclure/excommunier. Il n’empêche que le grand Jacques n’a pas réussi à dépasser la problématique de son École, autre version des pratiques du maître, qu’il a dénommée, dissoute, renommée, refondée, pour aller mourir sous un nom d’emprunt à l’hôpital. Lui aussi avait de l’ambition.

    Un bon psychanalyste est freudien, groddeckien, lacanien, d’autres choses encore, et surtout il est lui-même. Si Hercule Tartempion est un bon psychanalyste, il fait du Freud, du Groddeck ou du Lacan, bien plus il fait du Hercule Tartempion.
    Je peux supposer que Paul Jorion psychanalyste fait du Jorion, et même je le crois, mais sa célébration de Freud comme Moïse du peuple élu des bons analystes, me paraît inutile et témoigner d’un reste de sujétion à l’Histoire écrite par les grands hommes. En ce sens, c’est contre-émancipateur, et si l’on en croit les attendus de la psychanalyse, contre-psychanalytique.

    Texte non relu.

  5. Avatar de Arnaud Castex
    Arnaud Castex

    Paul « les carnets du psychanalyste » c’est un nouveau livre à paraître ?

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