« Vos guerres sont nos bénéfices ! », par Roberto Boulant

Billet invité.

À l’heure où le projet de loi El Khomri détruit les acquis sociaux pour mieux les protéger, force est de constater qu’il n’y a pas que sur la scène politique intérieure que l’écart entre les paroles et les actes devient abyssal, c’est également le cas dans le monde merveilleux des ventes d’armes. Je dis merveilleux, parce que notre pays a ratifié pratiquement tous les traités et accords internationaux encadrant ce commerce, même ceux aux critères les plus restrictifs.

Officiellement les choses sont donc d’une limpidité aveuglante : les armes n’étant pas des marchandises comme les autres, leurs exportations sont soumises aux critères les plus drastiques.

– Dans le cadre national, la CIEEMG (Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre) donne, ou non, son accord après le vote des représentants de trois ministères régaliens (Affaires étrangères, Défense, Économie et finances), et après consultation des représentants du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de l’Intérieur, des services de renseignement, du cabinet du Premier ministre, et enfin de l’État-major particulier du président de la République. Fermez le ban ! Le tout conformément à l’arrêté du 27/06/2012 définissant très précisément la liste des matériels de guerre et assimilés, soumis à autorisation d’exportation.

– Dans le cadre européen, la France est signataire de la position commune prise par l’UE en 2008 (2008/944/PESC) et définissant les règles régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires. Outre le préambule dithyrambique où l’UE se pare des plus hautes et nobles ambitions, le document précise très clairement que ses signataires s’engagent à n’exporter que dans le cas où le pays destinataire :
• respecte les obligations internationales,
• respecte les droits de l’homme et le droit humanitaire international,
• ne connait pas de situation de tension ou de conflit susceptible de s’aggraver,
• œuvre à préserver la paix, la stabilité et la sécurité régionale,
• ne remet pas en cause la sécurité nationale des États signataires ou celle de leurs alliés,
• ne soutient ou n’encourage en aucune manière le terrorisme,
• ne comporte pas de risque de voir un détournement de la technologie ou des équipements militaires dans le pays acheteur, ou de réexportation de ceux-ci dans des conditions non souhaitées.

– Enfin, sous l’égide de l’ONU, notre pays a signé et ratifié le TCA (Traité sur le commerce des armes), qui interdit toute transaction s’il existe un risque sérieux pour que les armes ou systèmes livrés, soient utilisés de manière abusive pour perpétrer des violations des droits humains ou des crimes de guerre.

Il ressort de ce rapide survol que nous conformant à ces différents cadres, nous devrions parvenir à livrer une ou deux caisses de révolvers à grenaille aux gardes suisses du Vatican, mais guère plus.

Or chose curieuse, et pour ne prendre qu’une actualité récente, nous vendons des armes et des systèmes de haute-technologie à :

1- la junte militaire égyptienne parvenue au pouvoir après un coup d’état qui a destitué un gouvernement démocratiquement élu,

2- plus haut dans l’horreur, plus loin dans le double langage, et dénégation absolue de l’esprit et de la lettre de tous les traités et accords internationaux signés et ratifiés par l’auto-proclamée Patrie des droits de l’homme, nous commerçons avec… l’Arabie Saoudite !

Difficile de faire pire que de vendre des armes à une théocratie pratiquant ouvertement l’esclavage, prédatrice des libertés fondamentales, et attribuant aux femmes un statut d’objets mobiliers ?

Eh bien si !

S’en féliciter comme l’a fait Manuel Valls, à l’heure même où ces armes aidaient très probablement à perpétrer des crimes de guerre au Yémen, il est vrai dans l’indifférence générale et un quasi-silence médiatique, suivant le bon vieil adage « pas d’images, pas de problèmes ». Serait-ce que les médias mainstream ont à cœur de ne pas indisposer les industriels français de l’armement ? On n’ose le croire, peut-être un oubli ?

Cependant ce qui risque de ne pas être oublié, c’est le message sans ambigüité que nous adressons à la jeunesse du Moyen-Orient : si vos bourreaux ont le bon goût d’acheter nos matériels et de nous vendre vos richesses, nous les soutiendrons, même s’ils vous massacrent. Il en résulte une politique étrangère totalement schizophrène, où nous combattons le terrorisme islamiste… tout en l’alimentant !

Mais sans doute ne sommes-nous pas assez instruits pour comprendre la subtilité de la politique étrangère de ‘notre’ gouvernement. Alors pour tous ceux et celles qui trop mal-comprenant(e)s n’ont pas fait l’ENA, voici un petit tableau explicatif pour nous permettre, ô peuple ignorant, de faire la distinction entre les gentils alliés que nous décorons (quoique on ne peut plus discrètement), et les barbares sanguinaires que nous combattons:

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En résumé, puisqu’il a été commis l’idiotie d’instruire les peuples, l’oligarchie leur a écrit des traités et des constitutions prouvant noir sur blanc qu’ils vivent en démocratie. Dormez en paix, braves gens, tout ce qu’il est bon pour vous de savoir continuera de vous être communiqué au 20h !

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