LE TEMPS QU’IL FAIT LE 4 NOVEMBRE 2016 – Retranscription

Retranscription de Le temps qu’il fait le 4 novembre 2016. Merci à Marianne Oppitz !

Bonjour, nous sommes le vendredi 4 novembre 2016 et dans quatre jours, le 8 novembre, le mardi 8 novembre, il y a des élections aux États-Unis. Alors, il y a des choses que je ne dois pas vous rappeler : je ne dois pas vous rappeler que c’est une grande nation, qu’elle pèse énormément sur le poids des affaires. Que le monde, dit occidental, repose essentiellement sur cette puissance pour son pouvoir militaire, pour pouvoir se défendre vis-à-vis d’attaques qui viendraient de l’extérieur.

Ce qui caractérise les élections, cette fois-ci, c’est le profil assez curieux des deux candidats. D’une certaine manière Madame Clinton, épouse de l’ancien président Clinton, représente de manière un peu caricaturale ce qu’on appelle « l’Establishment », ce qu’on appellerait « les Élites » en français. Et de l’autre côté, caractérise de manière caricaturale aussi, assez caricaturale, ce qu’on appellerait un courant populiste : Monsieur Trump.

Monsieur Trump a l’avantage pour lui de se couler dans le rêve américain. Le rêve américain de la réussite personnelle par la force de caractère, peut-être pas par d’autres traits de sa personnalité (rire). C’est un braillard, c’est un vantard, c’est un monsieur qui n’a aucune considération pour quoi que ce soit. C’est une de ces personnes, malheureusement, cela arrive aux États-Unis, qui confondent la chance invraisemblable qu’ils ont eue avec un talent qu’ils présenteraient sous un aspect ou sous un autre. C’est ça le danger du mythe de la personnalité qui réussit toute seule, qui se réalise entièrement par ses propres moyens : c’est que quand ça marche, on imagine qu’on a un talent qu’on n’a pas en réalité nécessairement. Parce qu’on a en arrière plan toujours bien entendu un cadre fait de solidarité qui fait que ce qui apparaît pour du talent personnel, c’est souvent de la chance, plus la capacité personnelle de mobiliser, peut-être, la bonne volonté des autres, derrière soi.

Le match est extrêmement tendu. Cela a été le cas depuis le début de la campagne. Les camps ont crié victoire, surtout celui de Madame Clinton à de nombreuses reprises. Les écarts n’ont jamais été suffisamment significatifs pour pouvoir affirmer d’une telle manière que la victoire serait assurée pour Madame Clinton. En ce moment, au niveau national, l’agrégation des sondages donne une avance à Madame Clinton de 1,2 %. C’est très très peu et surtout dans le système américain. Vous savez que les choses peuvent s’équilibrer très fort d’état en état : les systèmes de vote, les systèmes de représentation sont très différents d’un endroit à un autre. Et une fois de plus, comme dans le match qui avait opposé Monsieur Al Gore à Monsieur Georges Bush, il semble que ce soit la Floride qui ait un poids décisif, qui aura un poids décisif mardi. Là aussi, les derniers sondages ne nous donnent un écart que de 1,2 % en faveur de Madame Clinton.

Vous l’avez peut-être vu, le « New York Times » fait des calculs d’une autre manière. Il nous donne, toujours ce matin, un avantage de 86 % pour Madame Clinton contre Monsieur Trump. Le calcul a l’air très très compliqué. Je n’essayerai pas de vous convaincre que cette méthode est excellente, je ne la comprends pas suffisamment. De même, par ailleurs, il y a un robot qui considère, qui ne s’est pas trompé au cours des récentes élections et qui lui, annonce une victoire de Monsieur Trump.

Alors, une victoire de Madame Clinton ce ne serait pas idéal. Bon, elle est très très liée au milieu des affaires, sa famille a montré un intérêt pour confondre le fait d’avoir une carrière politique et d’essayer de s’assurer une fortune personnelle. C’est une confusion assez avancée dans le cas de la famille. Madame Clinton a fait des erreurs de jugement qui ont conduit, en particulier, à la mort à Benghazi du consul des États-Unis et de quelques personnes qui travaillaient au consulat. Elle a fait une erreur, bien que ce soit une erreur, comment dire ? très surveillée, très maîtrisée sur le fait d’utiliser un serveur informatique différent de celui qui était attaché à son poste. J’ai émis, l’autre jour, l’hypothèse que c’était lié au fait de vouloir essayer de garder un droit de citation sur les mails qu’elle envoie et que la manière qu’elle a utilisée, était celle qui lui permettait de garder une certaine maîtrise de ce point de vue là, alors que si elle avait suivi les consignes, eh bien, il y aurait eu embargo, pendant plusieurs années, sur ce qu’elle avait pu dire.

Ceci dit, ceci dit, Madame Clinton représenterait, je dirais, probablement moins un danger pour le monde que ne représente Monsieur Trump. Non pas que Madame Clinton ne soit pas un va-t-en-guerre à sa manière : c’est une personne qui paraît, je dirais, assez rigide, qui a peut-être une confiance excessive dans ses propres capacités mais Monsieur Trump est un personnage erratique dont il faudrait imaginer qu’il soit conseillé, qu’il soit entouré par une équipe qui soit, comment dire ? à ce point étanche pour l’empêcher de faire toutes les erreurs qu’il pourrait faire. Ce serait extrêmement dangereux. Il a une représentation de la géopolitique extrêmement élémentaire et dangereuse, de type Docteur Folamour, alors même qu’il se prétend un grand ami de Monsieur Poutine. La combinaison de Monsieur Poutine d’un côté et de Monsieur Trump de l’autre, pourrait produire des étincelles particulièrement dangereuses. Sa stratégie, sa politique de mettre le profit avant tout, qui le conduit à dire qu’il supprimerait la plupart des mesures de protection de l’environnement, est un facteur de plus pour se méfier d’un personnage comme cela : braillard, agressif, harceleur et ainsi de suite. Espérons, espérons qu’il ne passe pas, non pas, comme je le dis, parce que Madame Clinton serait une solution idéale, mais les dangers associés au passage de Monsieur Trump seraient absolument considérables.

On a un peu tendance en Europe, quand on voit apparaître des personnalités poussées pas un courant populiste, à imaginer qu’il ne s’agirait que d’un phénomène européen. Ce n’est pas le cas : il y a dans l’apparition de ce populisme, une critique inscrite justement des élites, de l’establishment. Le fait est que l’establishment ou les élites n’arrivent plus, depuis pas mal d’années, à gérer les pays d’une manière qui soit acceptable. Leur précipitation à adopter des politiques d’austérité, leur empressement à faire baisser les salaires – comme étant la seule mesure possible pour essayer de relancer l’économie par des ajustements – leur bonne volonté, si ce n’est, là aussi, un empressement à vouloir détricoter l’État-providence, tout ça, tout ça, montre des élites qui ont perdu le sens de l’unité d’une nation, du fait que si le ressentiment augmente de manière vraiment considérable dans une partie de la population, en raison justement du mépris des élites pour le reste de la population, alors un pays devient absolument ingouvernable. C’est à ça que nous assistons aux États-Unis, c’est à ça qu’on assiste dans d’autres pays européens : en Hongrie, en Pologne, en France.

Dans une perspective plus globale, on peut voir tout cela, comme les signes d’un effondrement généralisé qui se manifesterait de différentes façons, à l’intérieur de nos pays. Il y a quelque chose qui a cessé de marcher correctement quand on a voulu commencer à gérer les États comme des boutiques, comme des choses qui relèvent uniquement d’une logique commerciale. Ça a cessé de fonctionner. On aurait dû s’en douter. L’ignorance des faits collectifs à l’intérieur d’une population : il y a un tissu social qu’il faut maintenir, qu’il ne faut pas simplement, comment dire, observer, dont on pourrait même rejeter l’existence. Non, il y a un tissu social qu’il faut maintenir en état et qu’il faut nourrir, qu’il faut alimenter, pour qu’une société puisse tenir ensemble. Il y a trop de forces centrifuges en temps normal à l’intérieur d’une société pour qu’on puisse ignorer cela comme on le fait depuis à peu près 1975 dans nos pays : la montée de Madame Thatcher en Angleterre, au Royaume Uni, et l’arrivée de Monsieur Reagan aux États-Unis et le début d’un rejet de la population ordinaire au profit de la constitution d’une aristocratie qui pourrait imposer ses pouvoirs simplement par la puissance attachée à l’argent. Alors, on commence à en récolter les fruits, les fruits délétères, les fruits nocifs, les fruits empoisonnés. La configuration autour des élections aux États-Unis est une manifestation de plus d’un effondrement lié au fait que nos populations, par la concentration de la richesse, se séparent en deux parties qui cessent de communiquer, avec le pouvoir explosif qui s’attache évidemment à une telle évolution.

Voilà, à bientôt.

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