L’actualité de demain : À CHYPRE, LA FINANCE DE L’OMBRE PREND SES AISES, par François Leclerc

Billet invité.

Contrairement à l’adage, il peut-être indiqué de revenir sur les lieux du crime. Chypre a disparu des écrans radars et c’est bien dommage, car on pourrait y contempler un nouvel échec de la succession des plans de sauvetage des apprentis sorciers en charge du destin de l’Europe.

Ce qu’il va advenir de la Banque de Chypre, la principale banque commerciale de l’île, est en jeu après qu’elle a été forcée d’absorber Laiki, l’autre grande banque, et qu’un bail-in (sauvetage par ses actionnaires, créanciers et déposants) a été mis en œuvre de façon inédite, non sans fausses manœuvres auparavant.

Depuis, la banque est portée à bout de bras par la banque centrale chypriote, car son effondrement entraînerait celui de l’ensemble de l’économie du pays; le nouveau président Nicos Anastasiades a appelé les dirigeants européens à l’aide en juin dernier, sans succès. Toutefois, son sauvetage initial aura eu une conséquence inattendue : au terme d’une conversion en actions à hauteur de 47,5% des dépôts supérieurs à 100.000 euros (au lieu des 37,5% initialement prévus), des oligarques russes en sont devenus sur le papier les actionnaires majoritaires.. Ils avaient été à l’origine de tout le processus, dénoncés par les services allemands de renseignement (BND) comme recyclant de l’argent sale…

Une réussite de plus, donc , car si ce cadeau est quelque peu empoisonné, il donne à ceux qui devaient disparaître du paysage un poids supérieur à celui qu’ils avaient auparavant, afin d’obtenir des facilités pour la marine et l’aviation russes, ou de s’impliquer dans la seconde richesse du pays après sa situation géographique : les immenses gisements de gaz en instance d’exploitation que recèlent ses eaux territoriales.

Ce nouvel épisode permet sans doute de mieux comprendre pourquoi, après avoir tempêté, les dirigeants russes se sont brutalement calmés. Mais, côté chypriote, le jeu repose sur un calcul risqué en attachant au capital de la Banque de Chypre les actionnaires russes espérant récupérer leur mise. Côté européen, que dit-on à ce propos ? On ne dit rien, la Commission est sur ce sujet aux abonnés absents !

Si le sort de Chypre, petit pays, peut laisser indifférent, des statistiques publiées à Moscou par l’institut Rosstat devraient par contre conduire à réfléchir. En progression de 10,7% en un an, le capital étranger accumulé en Russie a atteint 370,6 milliards de dollars, avec des origines significatives. 18% proviennent des Pays-Bas, devançant Chypre (17,5%) et le Luxembourg (12,9%), toutes places financières fiscalement accueillantes et propices au lavage des capitaux russes qui y font des aller et retour… Au titre du capital russe à l’étranger, d’un montant de 175,6 milliards de dollars, Rosstat précise que les Îles Vierges britannique en accueillent 33,9%, en très forte progression, tandis que Chypre et les Pays-Bas voient leur importance diminuer (18,7% et 15,3% rétrospectivement). Voilà qui éclaire la nature de l’économie russe, un pied dans l’économie réelle et l’autre dans les havres fiscaux, une situation qui soit dit en passant n’a rien d’originale, mais qui est dans ce cas-ci particulièrement caricaturale…

Si le processus selon lequel Chypre était une tête de pont de la finance de l’ombre au sein de la zone euro était déjà largement engagé, la candeur des dirigeants européens qui ont précipité le mouvement en prétendant s’y opposer n’en est pas moins affligeante.

Encore bravo !

PS : ce billet s’appuie sur l’enquête de Andrew Higgins du New York Times.

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