LA PLACE DE L’ALLEMAGNE DANS L’EUROPE D’APRÈS-GUERRE SELON KEYNES EN 1940

En novembre 1940, six mois après le désastre de Dunkerque, John Maynard Keynes est avisé que le ministère britannique de l’Information s’apprête à tourner en dérision le programme allemand d’un « Ordre Nouveau » économique mis au point par Hjalmar Schacht (1877 – 1970), successivement président de la Reichsbank puis ministre des Finances de Hitler et par son successeur dans ces deux postes : Walther Funk (1890 – 1960).

Or Keynes a déjà proposé comme modèle d’une économie de guerre britannique, une copie conforme du programme Schacht/Funk.

Que faire alors sinon tenter de dissuader le ministère ? Il écrit dans une lettre datée du 20 novembre 1940 :

« Selon moi, trois quarts des passages cités des émissions en allemand seraient en fait excellents si le nom de la Grande-Bretagne était substitué à celui de l’Allemagne ou, selon le cas, d’une des puissances de l’Axe. Pris à la lettre, le programme de Funk est excellent et exactement ce que nous devrions envisager de faire nous-mêmes. S’il fallait l’attaquer, le moyen de le faire serait de jeter le doute et la suspicion sur sa bonne foi » (Keynes [1940] 1980 : 2).

Décontenancé par la réponse de Keynes, c’est au ministère de se tourner vers l’économiste pour lui demander s’il existe selon lui une autre option. Keynes répond alors par un mémorandum de quelques pages daté du 1er décembre 1940, intitulé : « Proposals to counter the German « New Order » ».

Mettant entre parenthèses le fait que la Seconde guerre mondiale n’a encore que six mois, Keynes dresse un tableau de l’après-guerre et du rôle qu’y jouera l’Allemagne.

Il commence par rappeler que le programme de Schacht et de Funk pour un Ordre économique Nouveau est excellent et que la Grande-Bretagne est, selon ses conseils, sur le point de l’adopter. Il explique ensuite :

« … j’ai indiqué que sous de nouveaux auspices, l’Allemagne sera autorisée à renouer avec cette part de leadership économique en Europe centrale qui découle naturellement de ses qualifications et de sa position géographique. J’imagine mal comment le reste de l’Europe pourrait espérer une reconstruction économique effective si l’Allemagne en est exclue et demeure une masse purulente en son sein ; une Allemagne reconstruite renouera nécessairement avec son leadership. Une telle conclusion est inévitable, à moins que nous n’ayons l’intention de confier la tâche à la Russie » (ibid. 9).

Comme nul ne l’ignore, la tâche ne fut pas confiée à la Russie, et l’Allemagne exerce du coup le leadership dont Keynes considérait qu’il lui était « naturel », alors même que Londres était chaque jour défigurée davantage par le Blitz et que la Bataille d’Angleterre durerait encore près de six mois.

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Keynes, John Maynard, « Proposals to counter the German ‘New Order’ »1940, Donald Moggridge (sous la dir.) The Collected Writings of John Maynard Keynes, Volume XXV, Activities 1940-1944, Shaping the Post-war World : the Clearing Union. London : Macmillan, 1980 : 7-10.

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