Rêverie sur l’Âge d’Or

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Monsieur Warren Buffett, investisseur insigne et émérite, dont j’ai cité récemment les propos extorqués sur la lutte des classes et la manière dont la sienne propre est en train de l’emporter, ou du moins était en train de gagner en 2006 au moment où il accorda cet entretien malheureux, a proposé lundi lors d’une émission télévisée sur CNBC de suspendre la « cote-au-marché » pour les établissements financiers dans le calcul des réserves qu’ils doivent maintenir pour respecter un ratio de solvabilité imposé par le régulateur.

La « cote-au-marché » d’un produit, c’est le prix que quelqu’un quelque part est prêt à payer pour lui en ce moment précis. Par les temps qui courent et pour la plupart des produits financiers, leur « cote-au-marché » ne vaut malheureusement plus grand-chose. L’idée qui sous-tend la suggestion de Mr. Buffett est que si les banques doivent se refinancer massivement aujourd’hui, c’est parce que les calculs conduisant au montant que représente ce ratio de solvabilité se font sur la base de chiffres dépréciés « marqués-au-marché », c’est–à–dire dans le contexte actuel, pratiquement « à la casse ».

J’ai déjà évoqué cette question relative aux deux manières de déterminer un prix dans L’implosion (pp. 188 – 199). En quelques mots, la « cote-au-marché » est un « vrai » prix puisqu’on peut l’obtenir ici et maintenant, tandis que la « cote-au-modèle » est un prix calculé sur une base « théorique ». J’ai défendu l’idée qu’il s’agit pour cette dernière d’une approche essentiellement « additive » du prix, où l’on commence en fait par décomposer le produit en ses différents éléments, dont on additionne ensuite les prix respectifs pour définir son prix comme le total de ceux-ci.

Mais il existe une autre dimension à la « cote-au-modèle », qui m’avait échappée alors : la raison pour laquelle la « cote-au-modèle » donne un chiffre plus favorable que la « cote-au-marché », est que si celle-ci pose bien indirectement la question du prix des différentes composantes du produit, elle oblige cependant à les considérer dans la simultanéité du moment présent, alors que la « cote-au-modèle » envisage chacun des flux monétaires à venir dans un contexte optimum qui les maximise et, c’est là le point essentiel, en mettant entre parenthèses la question épineuse de la solvabilité au moment voulu des parties impliquées. La « cote-au-marché » est beaucoup plus réaliste de ce point de vue : du fait qu’elle oblige à envisager une transaction ici et maintenant, elle tient compte de la solvabilité et surtout, par les temps qui courent, de l’insolvabilité de toutes les parties impliquées.

Ceci revient à dire que ce que Mr. Buffett propose avec sa mise au rencart de la « cote-au-marché », c’est que les banques fassent leurs comptes en situant tous les paiements à venir dans un temps édénique où chacun, comme au bon vieux temps, est à même de rembourser tous l’argent qu’il doit. « Nous sommes au sein d’un cauchemar », dit-il en substance, « retournons par la pensée vers l’Âge d’Or où tout allait encore bien et… tout redeviendra comme avant ! ».

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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22 réponses à “Rêverie sur l’Âge d’Or”

  1. Avatar de Moi
    Moi

    Au cas où une nouvelle bulle des prix venait à éclore, nul doute qu’il vanterait les vertus du « cote-au-marché ».
    Tout serait si gai si le particulier pouvait faire ses comptes comme les banques. Par exemple, je pourrais valoriser ma maison suivant l’un ou l’autre critère selon que je m’adresse aux impôts ou à un acheteur potentiel.

  2. Avatar de Les Fougerêts
    Les Fougerêts

    Les ultras de Charles X (Version 2009 multinationales)ne veulent pas lâcher leurs privilèges, pour combien de temps encore avant qu’il ne soit trop tard…

  3. Avatar de lacrise
    lacrise

    On dirait que Warren en a pris une dans le Buffet !

  4. Avatar de pitalugue
    pitalugue

    il me semble que la compta « côte au marché » a été réclamée il n’y a pas si longtemps par les mêmes qui demandent aujourd’hui son retrait.
    cette volonté de changer pour cette compta,pro-cyclique, avait à voir avec le désir de multiplier les plus values et les profits dans les bilans dans un marché d’actifs haussiers.
    d’ailleurs, les bonus ont été calculés sur ces nouvelles bases, bien plus interessantes….

  5. Avatar de jacques
    jacques

    Cet artifice comptable permettra de présenter des bilans plus présentables.Par conséquent , le titre va voir sa valeur dégager une plus-value .Mais les problèmes sont toujours la.C’est formidable ces idées qui risquent de sortir du G20.Spéculation au modèle ou spéculation au marché: achetez les titres bancaires,vous allez vous gaver grace à Mr Buffett , sponsor de la campagne Obama.

  6. Avatar de Daniel Dresse
    Daniel Dresse

    Je me souviens de ce passage de « l’implosion ». Par jugement de bon sens, je ne l’ai à vrai dire pas très bien compris. A mon avis, l’inconvénient de la « côte au marché » en cas de panique, est forcément quand même d’entraîner dans les abîmes des valeurs qui peuvent être objectivement très saines. En ce cas pourquoi parler de « vrai » prix ? Mais peut-être que quelque chose m’a tout simplement échappé. Je le relirai, entre autre…

  7. Avatar de Paul Jorion

    @ Daniel Dresse

    Parce que c’est le prix auquel une transaction peut vraiment avoir lieu au moment présent.

  8. Avatar de TL

    @ Paul

    Le long terme est une avalanche de courts termes. Le prix de marché serait valable si la cote ne variait pas à court terme pour des raisons diverses et variées… Spéculation, Bâle II, peu importe…

    Mais pour aller droit au fait, le problème n’est pas la cote au marché prise isolément, c’est aussi et surtout la nécessité de se recapitaliser en cas de dépréciation trop forte des actifs… Avant, les assurances et les banques, lorsqu’elles constataient qu’un cours était trop bas, se portaient acquéresses. Même si les actifs considérés continuaient pendant un temps de perdre de la valeur, cela devenait une bonne affaire à terme, car le mouvement redevenait haussier.
    Aujourd’hui, si des pertes surviennent sur des actifs nouvellement achetés, celles-ci amputent d’autant les fonds propres et obèrent les marges de manœuvre… La frilosité n’en est que plus grande.

    Nous vivons la première crise financière sous Bâle II. Difficile d’isoler la portée de ce facteur, mais à mon avis elle est très importante dans l’aspect spectaculaire de la crise (celui qui ne correspond nullement au fait que la majorité de l’humanité crève de faim ou que nous épuisions nos ressources : cette crise-là sera au contraire lente et insidieuse).

  9. Avatar de scaringella
    scaringella

    Mr Buffet fait partie des gens qui decident les regles du jeu. De quoi vous plaignez vous??? Il change les regles comme cela l’ arrange. Quoi de plus normal. Les rois creaient des religons pour se debarasser de leurs epouses. Les presidents bricolent les constitutions. C’ est normal. Les riches ecrivent les regles de comptabilite et les lois fiscales. Le scandale c’ est tous ces gueux qui se plaignent. 😉 😉

  10. Avatar de bobbi
    bobbi

    méthode astucieuse que cette réforme voulue par Mr Buffet / chacun pourra expertiser ses biens et ses actifs selon sa norme, sa méthode, et en définitive selon la volonté du moment.
    à titre personnel, je suis propriétaire d’un bien immobilier : j’ai donc décidé, car telle est ma volonté, que ce bien vaut au 13.03.2009 la somme de 589.478,78 €. fermez le ban !

  11. Avatar de A.
    A.

    Ce que je trouve surprenant, c’est le fait que la valorisation « mark-to-market » ait été permise.
    Cela a aboutit, selon moi et si je ne me trompe pas, à ce que les banques centrales se désaisissent de leur contrôle habituel sur la masse monétaire car les actifs valorisés ainsi constituent des fonds propres sur lesquels les banques peuvent accorder du crédit.

    Questions :
    – qui a imposé les normes de valorisation « marqués au marché »
    – qui compose le comité de l’IFRS, de quelle manières leurs règles sont prises et comment s’appliquent-elles par la suite au monde financier.
    – idem pour le comité de Bâle : qui le compose, comment ont été prises les règles relatives aux ratio …

  12. Avatar de JJJ
    JJJ

    Eh oui ! L’Age d’Or pour Buffet, c’est celui où la « classe des riches » n’a pas à se préoccuper de la valeur de ses actifs, qui correspond au prix transigé. L’ennui des bidouillages comptables, c’est qu’ils remettent en cause le dogme de la supériorité absolue du marché pour la fixation des prix, pilier théorique du capitalisme libéral. Sous l’angle de l’idéologie, Warren défend une hérésie sulfureuse…

  13. Avatar de A.
    A.

    Je ne crois même pas qu’il s’agisse de bidouillages comptables. Je pense qu’ils ont été sincérement convaincus qu’ils avaient trouvé un moyen technique d’arriver à évaluer au mieux les actifs.

  14. Avatar de Moz
    Moz

    Les propos (insistants comme dit Les Échos) de Steve Forbes ont-ils la même couleur ?

    « Visiblement démonté par la défaillance des très grandes fortunes, dont 64 % sont des entrepreneurs qui ont construit leur richesse de leurs mains, le patron du groupe Forbes a voulu relativiser.  » Cette crise pourrait s’arrêter si l’on décidait de ne plus compter les actifs à la valeur de marché, a insisté hier Steve Forbes. Ce ne sont que des pertes de papier. «  »

    http://www.lesechos.fr/patrimoine/banque/300336318-les-milliardaires-ont-perdu-la-moitie-de-leur-fortune-en-2008.htm

  15. Avatar de B. Samson
    B. Samson

    Comme prochain métier, je veux faire « génie de la finance ». Et je prouve mes capacités : pour régler les problèmes de solvabilités des banques, on évaluera désormais leurs avoirs au montant le plus élevé entre la valeur « market to market » et la valeur d’acquisition (ou toute autre valeur plus favorable).
    Et hop : plus de crise!
    Etonnant, non?

  16. Avatar de Topaze
    Topaze

    « Cette crise pourrait s’arrêter si l’on décidait de ne plus compter les actifs à la valeur de marché, a insisté hier Steve Forbes. Ce ne sont que des pertes de papier. “”
     »

    C’est intéressant comme remarque. Mais les pertes ou les gains ne sont-ils pas toujours de papier ?

    Sur beaucoup de blogs des gens font remarquer que les pertes sont virtuelles.
    Mais l’argent n’est ils pas toujours virtuel, la vraie richesse étant les biens matériels.

    Qu’en pense les gens ici ?

  17. Avatar de Le naïf
    Le naïf

    S’il est démontré que la « cote au marché » présente un caractère procyclique – ce qui est infiniment probable – pourquoi ne pas en revenir à la valorisation des actifs financiers à leur prix d’acquisition,et à faire ressortir, au moment de leur cession, la plus ou moins-value qui en ressortirait. Cette règle aurait l’avantage de la simplicité et gommerait l’effet procyclique de la prise en compte de valorisations dénuées de signification économique, alors même que les marchés financiers ne font jamais que de déambuler de bulles en bulles (et dernièrement de la bulle Internet à l’implosion actuelle).

  18. Avatar de pitalugue
    pitalugue

    @ Topaze

    effectivement revenons à nos moutons… 🙂

    les gains pouvaient être également de papier ou « latents » comme on dit en bourse pour des gains possibles mais non réalisés (tant qu’on n’a pas vendu, on n’a pas perdu, ni gagné d’ailleurs).

    l’argent virtuel, les biens matériels vraie richesse ? dans la mesure où l’argent donne la possibilité d’acquérir des biens matériels, il n’est pas si virtuel que ça.
    ce qui est plus virtuel que l’argent lui-même, c’est la prise en considération de la possibilité de vendre quelque chose à un certain prix.
    ça ne veut pas dire qu’on va réellement vendre cette chose, ni qu’après la vente réelle le prix reçu sera bien celui
    attendu.

    les biens matériels sont une vraie richesse, c’est certain, mais ils ont des défaults :
    ils s’usent par exemple.

    et les biens spirituels , personne n’en parle ?

  19. Avatar de Shiva
    Shiva

    pitalugue,

    Tu vas pas nous mettre en vente les biens spirituels !

    Qu’en dirait Monsieur le curé ?

    Fan de chichoun, on t’a baptisé avec de l’eau de morue, peuchère !

    @ Topaze

    Il y a argent virtuel et argent virtuel, par exemple les crédits; c’est de l’argent bien réel que donne le banquier contre de l’argent bien virtuel, puisque le travail nécessaire à sa production n’est pas encore effectué !
    Ce même prêt peut être vendu, contre de l’argent bien réel prélevé sur le travail mais non redistribué à ceux qui qui travaillent. Ceux la même à qui on prête et qui ne peuvent plus rembourser tout cet argent virtuel à cause des ponctions sur leur travail qui sert à leur faire des prêts…

    A chaque tour l’argent réel est concentré dans quelques mains et la dette des autres augmente, les banques sont juste au milieu.

    Voilà ce que j’en pense.

    Maintenant, écrire 10 000 000 $ de fonds propre en produits financier au lieu de zéro est toujours possible, les banques auront moins besoin de se refinancer et si cela ne suffit pas pour relancer les prêts on pourrait supprimer tout ratio de fond propre par rapport au risque de crédit. Si cela ne suffit pas les banques centrales pourraient prêter à zéro % sur des durées renouvelables ad vitam eternam.

    Nous progresserions vers un monde où la part des revenus du travail se réduirait régulièrement par rapport aux besoins et où le surendettement serait la règle générale (sauf pour quelques uns).

    Un monde façon USA 2009, pendant un temps, puis à terme le travail n’aurait plus beaucoup d’attrait.

    Mais en bout de course pour faire cela il faudrait créer les prêts idoines sub-sub-sub-prime à rembourser à la saint glin glin si on a le temps…

    Je doute que Warren Buffett soit d’accord avec cette partie de sa brillante idée !

  20. Avatar de Marc Peltier
    Marc Peltier

    Paul Jorion a ouvert dans d’autres post une série d’échanges sur la mécanique quantique.

    Je suis frappé de la similitude de la problématique. Un prix n’est vraiment connu qu’au moment où l’échange est réalisé par un acte réel d’achat ou de vente; c’est l’équivalent d’une mesure en physique.

    Entre les mesures (ou les achats/ventes), les valeurs ne peuvent être devinées que de façon statistique, par une loi de probabilité. Les physiciens ont su produire à cet effet une équation rigoureuse, l’équation de Schrödinger.

    Elle manque manifestement aux économistes…

    Une autre anomalie conceptuelle flagrante est l’utilisation de la même unité monétaire pour désigner des choses qui n’ont pas grand chose à voir entre elles, par exemple :

    Un euro sur le comptoir pour avoir de suite une baguette de pain
    Une traite escomptable libellée en euros
    Un portefeuille d’actions qui sera taxé en euros
    L’évaluation de ma maison en euros
    Le montant des pertes de la BNP dans l’escroquerie Madoff, en euros
    Le déficit public de la France, en euros
    etc… , ceux qui sont plus avertis que moi complèteront sans peine la liste!

    C’est une des premières choses que l’on m’ait apprises : on n’additionne pas les pommes et les oranges. Si?

  21. Avatar de Blob
    Blob

    >Marc Pelletier

    Vous seriez surpris des ressemblences entre la théorie quantique des champs et la théorie des produits dérivées.

    C’est en fait la même structure mathématique, car au fond, dans les deux cas on parle de la même chose: on fait des sommes sur des histoires, d’un côté physique et de l’autre financière, et l’on ne considère que les histoires interférant constructivement.

  22. Avatar de Paul Jorion

    @ Blob et Marc Peltier

    Sur la formation des prix comme processus de type « mesure » en mécanique quantique, j’en parle longuement dans mon livre inédit Le Prix. Voici un extrait du chapitre 9 intitulé Le prix comme dynamique (la dynamique proprement dite est décrite sur un cas réel d’évolution d’un prix au chapitre 8) :

    Un opérateur n’a d’influence sur l’évolution des prix que s’il est à même de créer un nouveau prix, c’est-à-dire en tant uniquement que l’ask ou le bid qu’il propose sur le marché se trouve soit sur le bord du spread, soit dans son voisinage immédiat au cas où le bid et l’ask sont à même de se croiser. Chaque « prix en acte » résulte d’un « jeu » unique joué par ceux dont l’ask et le bid ont abouti à la formation de ce prix. Chaque jeu est distinct du précédent, même s’il se déroule au sein d’un espace dont le prix précédent a déterminé le « niveau » à partir duquel il va se jouer. Chaque acteur annonce parallèlement au bid ou à l’ask qu’il propose un certain nombre de contrats sur lequel il porte. Ce volume est analogue aux enjeux, et le prix est l’équivalent du principe de redistribution des enjeux entre joueurs en fin de partie. Dès qu’un joueur a énoncé un ask ou un bid, il s’efforce, comme on l’a vu dans l’exemple du MATIF, de trouver un adversaire qui acceptera sa proposition. Chaque « jeu » s’achève aussitôt que ce prix s’est créé parce qu’une transaction réelle a eu lieu à son niveau. Du point de vue du joueur sur le marché des futures, une « partie » implique pour lui deux « jeux » en sens opposés : d’abord celui où il s’est mis en position sur le marché, ensuite celui où il a quitté cette position pour se retrouver « flat », c’est-à-dire hors-jeu (ce qui ne lui interdit pas d’« enchaîner » s’il le veut, partie sur partie). S’il a commencé par être acheteur et qu’il quitte la partie à un niveau de prix plus élevé que celui où il est entré, il a gagné, sinon il a perdu. Inversement, s’il est entré comme vendeur et qu’il sort de la partie en achetant à un prix moins élevé que celui auquel il a vendu, il a gagné, sinon il a perdu. Chaque formation d’un nouveau prix signale la fin d’un jeu individuel, il fixe aussi le niveau de prix à partir duquel de nouveaux joueurs, ou les mêmes, peuvent rejoindre la partie. Ceci ne signifie pas que chacun de ces jeux soit parfaitement indépendant de ceux qui l’ont précédé, mais simplement que chacun se joue comme une unité distincte.

    Le prix peut être considéré comme une « variable » (il est quantitatif par nature) dont la valeur se modifie dans le temps. Le prix constitue donc le type même de phénomènes dont rend compte la partie de la mécanique que l’on appelle « dynamique ». Le fait qu’un marché spécifique puisse devenir dormant pour une période d’une durée indéterminée à chaque fois qu’un prix a été formé, suggère qu’en réalité il n’y a pas de dynamique interne à un marché : s’il repart, c’est que le désir de transaction a remis en piste de nouveaux joueurs, mais il pourrait aussi bien, à chaque fois, s’interrompre pour de bon. On aperçoit clairement ici la différence majeure qui existe entre la dynamique d’un corps en mouvement, dont on peut prévoir la trajectoire à l’aide d’une équation différentielle, et le type de « mouvement » dont il est question ici, et qui s’identifie en réalité à la suite des résultats d’un ensemble de brefs jeux indépendants à ceci près qu’ils se jouent chacun à partir du niveau auquel le jeu précédent s’est conclu.

    Si l’on reprend l’analogie suggérée plus haut, des volumes comme enjeux, et du prix comme aboutissement du jeu, les pertes et les gains successifs de leurs enjeux par les joueurs font fluctuer le nombre de jetons en leur possession. S’efforcer de mettre en évidence la « loi » d’évolution du prix sur un marché spécifique, équivaut à chercher la loi d’évolution du nombre de jetons en possession de chacun des joueurs. Pour ceux qui sont habiles, la tendance sera que le montant global de leurs jetons augmente, pour ceux qui sont médiocres, la tendance sera que ce montant baisse. Mais l’évolution de ces quantités de jetons dans le temps est d’une nature très différente de celle de la position dans l’espace d’un corps en mouvement : le prix se recrée à chaque fois à un niveau spécifique et étant constitué de traces discrètes, ne constitue pas à proprement parler une trajectoire ; le boulet qui émerge du canon, lui, parcourt pleinement la courbe de sa trajectoire, il ne se recrée pas en chacun de ses points mais se déplace de manière continue dans l’espace.

    Dans le passé, le phénomène de la fluctuation du prix a cependant été étudié en utilisant les méthodes propres à la mécanique qui décrit le mouvement continu, c’est-à-dire sans interruptions ni « points de rebroussement », à savoir, la « dynamique linéaire ». Le prix a été modélisé en particulier à l’aide des équations différentielles qui permettent de modéliser ces dynamiques linéaires, comme si la formation du prix pouvait être assimilée au mouvement d’un corps se déplaçant dans l’espace. Bien entendu, le comportement discontinu du prix – le prix saute « de tick en tick » – le fait qu’il ne parcoure pas nécessairement toutes les valeurs intermédiaires entre deux prix (voir l’exemple de la chute « sans prix » évoquée au chapitre précédent), et ses rebroussements nombreux, obligent alors à considérer que la trajectoire continue « sous-jacente » au prix est brouillée dans sa réalisation effective sur les marchés par un « bruitage » considérable. L’alternative consiste à considérer que le prix résulte d’un mouvement stochastique (au hasard) tel celui qui s’observe dans la diffusion d’un gaz dans un volume, la diffusion de la chaleur dans un corps solide ou la percolation d’un liquide dans un corps poreux (dont les cavités ont une forme fractale). Dans de tels cas, le mouvement est d’une nature semblable à celui qui a lieu dans le mouvement brownien (mouvement d’une impureté suspendue dans un liquide, déterminé entièrement par l’influence extérieure de molécules en vibration).

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