Billet invité.
Pour revenir à la question centrale de ce qu’est la monnaie, l’insistance que je peux avoir sur le statut spécial de la monnaie fiduciaire, cela vient d’une autre observation que je n’ai pas encore exposée et qui apportera, je l’espère, un éclairage nouveau!
0) Tout d’abord, ce n’est pas la monnaie qui est à la base, mais le fait que l’être humain travaille et doit ensuite partager le fruit du travail ! Jusque là, tout le monde suit.
1) Ensuite, l’invention de la monnaie, ancienne et toujours nouvelle, a radicalement changé les rapports humains. Pour étendre cette réflexion à la nature même de l’être humain, on peut dire que le fait que l’être humain parle, le « parlêtre » de Lacan, change tout.
Par analogie, j’affirme (Lacan le dit aussi, d’ailleurs, mais peu importe ici!) que le signe monétaire est le « signifiant à tout faire », qu’il organise comme rien d’autre la société comme telle. Aujourd’hui, on peut affirmer, selon moi, que l’économie est monétaire ou n’est pas ! On peut encore dire que les divergences sociales sont solubles quand elles sont « monnayables », c’est-à-dire quand on peut mettre de la monnaie (d’échange) sur la table. Par ailleurs, la monnaie est d’Etat ou n’est pas, car sa crédibilité dépend de ce que tous l’acceptent ! D’où, pour l’essentiel, les difficultés de la monnaie locale tant qu’aucune autorité crédible ne la cautionne !
Dans le quotidien des échanges économiques, nous « parlons » euro ou alors, cela ne compte pas ! Ou dollar, etc…
A partir de ce moment-là, on peut dire, d’une façon lapidaire, que la monnaie n’existe que l’instant où elle est sur la table !
Tant que le billet est dans ma poche ou, plus loin, tant que la somme est créditée sur mon DAV, l’échange n’est pas réalisé, et il est impossible de savoir quand et où il va avoir lieu !
En toute rigueur, la monnaie n’est monnaie que l’instant de l’échange pour devenir un objet l’instant d’après.
Il me semble que c’est cette réalité-là qui fait qu’il est à ce point difficile, pour beaucoup, de définir ce qui est monnaie et ce qui n’est pas monnaie !
Pour radicaliser encore, la monnaie est échangeante ou n’est pas ! En même temps, elle a un caractère « permanent ». Juste avant l’acte de l’échange, c’est un trésor précieux, et juste après aussi ! Pour les comptes bancaires, y compris les DAV, cela reste des promesses de monnaie non réalisées ! Même si l’échange de ces promesses est souvent satisfaisant.
Mais je ne souhaite pas plus que cela insister sur ce point du débat pour avancer, car, à mon sens, cela est tout à fait secondaire pour saisir ce qu’est la monnaie et s’éclairera mieux dans la suite.
Cette logique binaire qui fait que l’objet monnaie est à la fois un objet qui passe de main en main et que l’on thésaurise plus ou moins indéfiniement (que l’on cache!) comporte en elle-même toute la difficulté de ce qu’il y a à saisir !
2) Considérant le monde des biens et services offerts (que j’appellerai marchandises pour le débat qui suit) en échange de la demande incarnée par la monnaie au moment de l’échange, nous constatons le fait suivant : la marchandise apparaît sur le marché, y reste le temps d’être vendue, puis disparaît, en principe, à tout jamais, via la consommation et la destruction. Autrement dit, nous n’avons pas, comme pour la monnaie, une réapparition sur le marché.
3) J’en déduis, d’abord, que le mouvement de la monnaie pourrait alors être qualifié de circulaire, un mouvement de réapparition, fréquente ou rare, sur le marché, pour opérer l’écoulement de la marchandise engagé ainsi dans un mouvement linéaire de la production vers la consommation. Selon cette approche, c’est le point de rencontre de la monnaie circulante avec la ligne droite effectuée par la marchandise, autrement dit, le point où la tangente touche le cercle pour s’en éloigner à nouveau qui peut être considéré comme le moment de l’échange.
4) Cette image assez simple permet de déduire que le mouvement circulaire de la monnaie, quand il est régulier et constant, quand la rotation du cercle s’effectue toujours à la même allure, opérera l’écoulement de la marchandise d’une façon constante. Et quand, par contre, ce mouvement circulaire est dérangé, ralentit, l’écoulement de la marchandise ralentit à son tour ! Inversement, une accélération du circuit produit une accélération de l’écoulement de la marchandise.
Ce changement du mouvement circulaire est décrit aussi comme la « vitesse de circulation » (ou de transaction) de la monnaie.
5) On peut, sans peine, étendre cette image à tout ce que la monnaie achète, y compris les biens d’équipement, les maisons, etc…
6) Il y a un autre élément qui frappe dans cette image : la réapparition continuelle de la monnaie sans rien perdre de son pouvoir d’échange (hors inflation ou déflation pour le moment) lui confère un singulier pouvoir ! En effet, ce pouvoir d’achat constant, cette bonne résistance au temps qui passe, tranche singulièrement avec la mauvaise résistance au temps qui passe qui affecte la marchandise. La marchandise est engagéé, dès qu’elle est produite pour le marché (imaginons des fraises par exemple, ou un journal quotidien), dans une course contre la montre ! Si elle n’est pas échangée pour être consommée, elle se « consomme » toute seule et sur place ! Cela s’applique même aux biens durables, à l’exception sans doute de l’or des diamants et de la terre en principe, ainsi que quelques autres articles particulièrement « durables ». Mais pour l’essentiel des marchandises, le principe de l’usure du temps s’applique. Pour les biens d’équipement et les maisons, cela s’appelle « amortissement », voire « obsolescence » parfois, en tout cas, ce sont des événements qui ne frappent en rien le signe monétaire.
7) En cela, d’ailleurs, le signe monétaire se révèle être un objet (ou un « signifiant ») bien particulier, à savoir un objet qui n’est pas « atteint » par le temps qui passe ! Cette qualité est certainement un héritage de la monnaie or qui, du fait que l’or résiste bien au temps qui passe, a donné le modèle et le cadre règlementaire à la monnaie telle qu’elle est. Cet objet, de fabrication humaine et absolument primordial dans le fonctionnement économique, a ainsi un comportement et un fonctionnement pour le moins baroque ! Un objet d’échange qui résiste au temps qui passe !
8) Il résulte de ce caractère baroque de la monnaie des conséquences :
* Sa résistance au temps qui passe lui confère un pouvoir qui lui permet, à sa guise, de retarder les échanges, autrement dit, la monnaie se retire plus ou moins longtemps de son mouvement circulaire, en fonction de ce que décide son détenteur. Le ralentissement, via des thésaurisations, est parfois à ce point massif que l’on doit parler alors de véritables modifications de la monnaie circulante (M0) que la BC compense comme elle peut par une émission supplémentaire, car, sinon, nous assisterions à une déflation violente !
* Le détenteur agit ainsi parce que cette façon de faire lui confère un avantage et un pouvoir : celui de la maîtrise du temps qui passe, en tout cas face au producteur de marchandise qui ressent toujours une « urgence » à vendre !
* L’intérêt monétaire net, une fonction stricte du temps, est ainsi la racine même du système capitaliste !
9) Il s’ensuit aussi qu’il suffirait de construire une monnaie qui résiste moins bien au temps pour trouver une sortie du capitalisme et de la crise systémique dans laquelle nous sommes.
10) Le pouvoir capitaliste de cette monnaie se transmet, via les banques, chargées de remettre la monnaie dans le circuit, à l’épargne, puis au crédit et puis à tout ce qui se constitue comme capital !
11) Si je réaffirme que les banques ne créent pas de monnaie, cela vient de cela aussi : elles sont largement occupées, déjà, à remettre la monnaie dans le circuit en collectant l’épargne et à éviter ainsi des thésaurisations massives, afin de maintenir le circuit monétaire fonctionnel ! Elles ne créent pas de la monnaie, car cela contredirait radicalement le fonctionnement circulaire de la monnaie. Elles ne le prétendent d’ailleurs nullement !
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