Billet invité.
LA GRANDE CRISE
La crise de la dette publique va toucher les uns après les autres et sans distinctions tous les pays occidentaux, (« ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » – Jean de la Fontaine). La Grèce a eu l’honneur, dont elle se serait bien passé, d’en faire la première les frais. Les pays membres de la zone euro en sont déjà la victime, pour ne pas vouloir y faire face, succombant à la tentation de s’y dérober, et cela ne peut que se poursuivre ainsi, selon une lente et inexorable montée vers un on ne sait quoi. Quant au sort des Britanniques et des Américains, ils sont appelés à rejoindre le bal des vampires, selon de plus en plus nombreux Cassandre (jamais crue mais ayant toujours raison, selon la légende). En attendant, la crise financière, devenue économique puis politique, acquiert progressivement toute sa douloureuse dimension sociale, dans une Europe qui était encore épargnée par rapport aux Etats-Unis.
En raison de l’énormité des déficits actuels et à venir et de la politique suivie pour y faire face, nous sommes entrés – avec des variantes, mais pas davantage – dans une longue période faite d’une stagnation économique qui ne dit pas son nom et d’un surenchérissement progressif et irrésistible du marché obligataire. Celui-ci accroissant encore le coût de la dette et réduisant les marges de manoeuvre budgétaires. La croissance, condition supposée de la sortie de crise dont on ne parle d’ailleurs plus, n’a dans cet environnement aucune chance d’être au rendez-vous.
Car quel pourrait bien être son moteur ? Une relance par le crédit privé n’est pas vraisemblable, car les banques n’en ont pas les moyens et ne veulent pas en prendre le risque, dans une période de crise atteignant les entreprises et les particuliers. Par la dépense publique ? il n’en est plus question autrement qu’à la marge, en raison de la pression maximum qui s’exerce sur les Etats, afin qu’elle soit au contraire diminuée. Enfin, la voie de la création monétaire est déjà très abondamment utilisée, à considérer l’augmentation faramineuse de la taille des bilans des banques centrales (telles des bad banks n’osant pas dire leur nom, dont on serait curieux de connaître la valorisation des actifs pris en pension). Elle suscite de vives réactions des milieux financiers qui agitent l’épouvantail de l’inflation, sans s’apercevoir que le film a changé. Quant à la perspective d’une relance s’appuyant sur la croissance des pays émergents et entraînant le monde occidental dans son sillage, aucun signe tangible n’en l’accrédite la venue.
Le spectre d’une relance en « W » est réapparu, alors qu’en réalité c’est plutôt celui d’une relance en « L » – qui n’en est donc pas vraiment une – qui devrait être évoqué. Si cette hypothèse devait comme c’est prévisible se confirmer, c’est le pire facteur possible de poursuite de la crise qui s’installerait alors, probablement pour longtemps. Amenant dans l’impasse – et nous avec – ceux qui ont fondé leurs espoirs dans la perspective d’une croissance retrouvée, avec pour objectif d’évacuer progressivement les miasmes de la crise. Car une situation où seule l’activité financière serait florissante alors que l’économie resterait en détresse serait-elle tenable longtemps ?
Les gouvernements et les banques centrales ont effectué un pari. Celui de concentrer l’essentiel de leurs moyens sur un objectif prioritaire : sauver un système financier en chute libre (ce sont leurs propres termes), afin d’être à leur tour sauvés. Hélas, ils sont sommés – au nom des intérêts de ce même système – de résorber sans attendre une dette publique qui est la conséquence directe de leur choix de départ, leur interdisant de renouveler leurs programmes de relance de l’économie. Sans que le système financier soit pour autant véritablement assaini, et donc susceptible – comme selon leurs calculs initiaux – de prendre le relais. Leur pari semble avoir été perdu, la grenouille ayant voulu se faire aussi grosse que le boeuf (encore Jean de la Fontaine). En conséquence, nous sommes plantés en plein milieu du gué.
Quelle que soit la direction vers laquelle l’on se tourne, des signaux alarmants sont visibles. En premier lieu, l’épée de Damoclès des marchés hypothécaires résidentiel et commercial américain, qu’il est superflu ici de rappeler. Si l’on se tourne vers l’autre point particulièrement faible de la zone euro, l’Espagne, c’est également son marché hypothécaire qui est menaçant pour son réseau de caisses d’épargne : 70 milliards d’euros de pertes seraient déjà enregistrés, alors que le taux de défaut des ménages continue de grimper sans qu’il soit possible de l’arrêter, dans un contexte de chômage et de crise économique. Si l’on revient aux Etats-Unis, on voit venir la crise budgétaire de nombreux Etats (on parle de 180 milliards de dollars de trou pour l’année fiscale 2011), induisant des coupes budgétaires très sévères dans les programmes sociaux et des licenciements massifs. Au Japon, l’endettement du gouvernement est annoncé comme devant atteindre 226,2% du PIB fin 2010, alors que les banques sont déjà gorgées d’obligations de la dette publique, financées à tire larigot par la Bank of Japan. Ce ne sont que quelques exemple de ce qui serait sans cela une longue litanie. L’apurement du passé est loin d’être terminé. Il s’accompagne de son cortège de malheurs, pour les banques et les budgets publics en premier lieu, pour les particuliers aussi, en dernière instance.
Pour entrer en résonance avec La Grande Guerre, celle de 14-18, on devrait désormais appeler La Grande Crise celle que nous connaissons actuellement. D’évidence, ce ne sont pas les bricolages concoctés dans l’improvisation qui préfigurent les solutions qui vont devoir être trouvées pour faire face à la nouvelle dimension que La Grande Crise est en train d’acquérir. Surtout lorsqu’ils s’accompagnent de replis sur soi illusoires.
Les Européens vont soit devoir se résoudre à un éclatement de la zone euro, dont aucun pays ne sortira renforcé, soit s’engager sur la voie de son renforcement, ce qui supposera dans un premier temps de mettre au point un mécanisme de sauvegarde destiné à ses membres. Dans l’épreuve, ils pourront avoir au moins cet avantage par rapport aux Américains, aux Japonais et aux Britanniques : ne pas être seuls s’ils le décident. Mais même cela n’y suffira pas, s’ils parviennent à le maintenir. Un autre verrou devra immanquablement sauter, afin de financer une dette publique qui ne pourra pas l’être sous les auspices de la seule rigueur budgétaire, la croissance n’y contribuant pas. Puis, pour sortir de la Grande Crise, il faudra aussi croiser le fer avec le système bancaire, pour qu’il prenne toute sa part des dégâts. Vaste programme par rapport auquel les gouvernements européens ne semblent pas excessivement taillés pour le décider et le mener à bien, s’ils ne sont pas aidés…
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