L’Etat amnésique, promoteur des CDS, par Alain Gauvin¹

Billet invité.

Après « L’Etat schizophrène, promoteur de la spéculation », voici l’Etat amnésique, promoteur des CDS, Credit Default Swaps ou, en français, des dérivés de crédit.

« Je crois que des produits dérivés (…) les CDS, doivent être au moins très très réglementés, rigoureusement réglementés et plafonnés ou bien interdits. C’est une position personnelle sur le plan des outils financiers que je soutiendrai, que je proposerai à Michel Barnier. » Ce n’est ni J2M, pour qui « le capitalisme financier a déconné grave », ni Jean Montaldo, dont le loisir est de dézinguer les « bandits de la finance », mais notre Ministre des Finances, la Dame qui voulait mettre les Français au régime bicyclette pour faire des économies d’essence, qui a osé articuler ces courageux propos.

D’aucuns soutiennent que la volonté du Ministre d’interdire les CDS serait limitée aux CDS souverains nus, c’est-à-dire les CDS ayant pour sous-jacent la dette d’un Etat, sans que les parties aux CDS n’aient une réelle exposition sur ladite dette. En d’autres termes, le CDS est dit « nu » car aucune des deux parties au contrat de CDS ne dispose, dans son bilan, de la créance souveraine constitutive de l’actif de référence dudit CDS.

Et pourquoi ne pas, en effet, interdire les CDS, si les maux qu’on leur prête sont démontrés. Les interrogations du très sérieux président de la FSA, Lord Turner, sur ces instruments ne doivent pas laisser indifférents.

Mais là encore, comme au sujet de la spéculation, nos gouvernants devraient se garder de tromper leur monde. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils s’époumoner à prôner, dans la presse, l’interdiction des CDS, alors que, dans la loi, ils en font la promotion ? En voici la démonstration dans la lettre de la loi et dans l’esprit du législateur.

L’article 511-6 du Code Monétaire et Financier prévoit, au profit des OPCVM, le droit de réaliser des opérations de crédit, dérogeant ainsi au monopole bancaire. Pour le néophyte, cette disposition est indifférente. Pourtant, un premier élément suscite la surprise : en quoi un OPCVM, dont on rappelle qu’il a pour objet la gestion collective de l’épargne publique, peut-il être intéressé à réaliser des opérations de crédit, c’est-à-dire des prêts dont l’exécution est réservée aux banques ? La réponse n’est évidemment pas dans la loi, mais dans les travaux parlementaires riches d’enseignements sur les intentions des pouvoirs publics.

Ainsi, le Rapport du Sénat No. 206, du 12 mars 2003, nous explique, à la page 373, que si une dérogation au monopole bancaire en faveur des OPCVM est nécessaire, c’est pour leur permettre « explicitement de contracter des dérivés de crédit, dès lorsqu’ils [les dérivés de crédit ou CDS] seraient assimilés à des opérations de banque. »

Tout est dit :

– D’abord, le sénateur avoue son impuissance à définir les CDS, ce que l’on peut comprendre, même si, de cette impuissance, découle, pour partie, la crise financière. Pourtant, le député, lui, ne fait pas dans la dentelle, sûr de lui-même, il affirme que « désormais, en étant expressément autorisés à effectuer des opérations de banque, les OPCVM peuvent recourir aux dérivés de crédit. » (article 45)

– Ensuite, sénateur et député affichent clairement leur volonté d’élargir le panel des investisseurs, pouvant souscrire des CDS, à l’épargnant de la rue, c’est-à-dire le porteur de parts d’OPCVM.

Nous n’avons rien à redire à cette initiative, dès lors que l’épargnant en est clairement informé et y trouve son compte. Les CDS sont-ils nuisibles ? Evidemment non. Ils sont régulièrement fustigés dans la presse, et sur ce blog, comme les instruments du diable contribuant à la chute de la Grèce. Il s’agit d’un mensonge. On peut toujours, par des formules à l’emporte-pièce, prêcher que, souscrire une assurance incendie sur la maison de son voisin conduit le souscripteur à espérer que la maison dudit voisin brûle. Grotesque ! Aucune des belles âmes moralisatrices rend compte de la réalité grecque : le montant nominal de la dette grecque, sous-jacent des CDS, représente moins de 5% de la dette grecque totale.

On ne manque pas d’être surpris de constater, sur ce blog, dont les intervenants, anonymes ou non, pour la majorité, font preuve d’un esprit critique aiguisé et expriment de réflexions recherchées, afficher au sujet de la dette grecque une telle naïveté. Il est suspect d’être dupe, à ce point, des explications de nos politiques imputant la situation de la Grèce à d’invisibles spéculateurs, alors que les premiers responsables de cette tragédie sont les Grecs, eux-mêmes, gouvernants et peuple, mais aussi les pays leaders européens qui, par leur laxisme budgétaire, donnent le mauvais exemple aux « petits pays », ainsi que la Commission Européenne et cette farce d’Eurogroupe impuissants à imposer une discipline budgétaire aux Etats Membres.

Les CDS, qu’ils soient nus ou couverts, sont d’utiles outils qui complètent la palette des instruments d’assurance-crédit et élargissent les opportunités d’investissement en permettant à un investisseur de prendre une exposition, et d’en être rémunéré, sur un actif (une obligation par exemple) sans le détenir. Spéculation crieront certains ! Et alors ? Quel est le problème, dès lors que, ce qu’on nomme « spéculation » (et que l’on ne définit jamais), est génératrice de richesse : les spéculateurs prennent des risques qu’aucun autre investisseur n’est prêt à prendre, permettent aux assureurs d’indemniser les populations contre les grands risques (climatiques, pandémiques, etc.), créent des emplois et paient des impôts.

A vrai dire, la difficulté ne réside pas tant dans la spéculation, dont on ne se débarrassera jamais, mais dans le comportement moutonnier des marchés, l’absence de transparence, dont il est mensonger de soutenir que les CDS en font leur miel, et dans l’impuissance totale des autorités de tutelle, innocentes, pour partie : ce sont ces trois facteurs qui peuvent mettre à genou la Grèce ou l’Euro, pas la spéculation, ni les CDS, ni les dérivés.

¹ Avocat. Auteur de Droit des Dérivés de Crédit, Banque Editeur, 2003.

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  1. Les élections de mi-mandat seront truquées : comme chez Poutine. Faut suivre Gaston! 😊

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