L’actualité de la crise: une politique par défaut, par François Leclerc

Billet invité.

UNE POLITIQUE PAR DÉFAUT

Faute d’une alternative qui suppose des mises en cause inconcevables à ce stade de la crise, un mauvais chemin est emprunté en Europe, dont on ne sait où il mène. Les commentaires ont beau se multiplier sur le thème  : « ça ne passera pas », « les objectifs ne sont pas réalistes », « nous allons entrer dans une spirale dépressive », les gouvernements de la zone euro persistent et signent par défaut.

Ce sont les Allemands qui impriment leur marque, ne voyant leur salut que dans le maintien de leurs acquis, voulant l’imposer aux autres au nom de la préservation de leur hinterland : plus ils contribuent au financement potentiel des pays en difficultés, plus ils craignent ne pas être remboursés, creusant par leur intransigeance accrue leur propre tombe. L’absurdité voulant qu’ils accroissent eux-mêmes ainsi les chances que la situation qu’ils redoutent survienne.

Une réunion des ministres des finances de l’Eurogroupe s’est tenue hier à Bruxelles, dont peu a filtré, si ce n’est des informations laissant à penser qu’elle a été plus consacrée à serrer les derniers boulons du plan de sauvetage européen (dénommé plan de stabilisation financière), de nouveaux obstacles ayant été dressés au déblocage de chaque éventuel versement d’une aide, qu’à faire face à la débandade de l’euro.

A ce propos, Jean-Claude Junker, son chef de file, a bien reconnu que si son niveau n’était pas en soi problématique – des cris de victoire retentissant même, faisant de nécessité vertu et saluant sa baisse qui favoriserait les exportations (à condition que les acheteurs se manifestent) – la rapidité de sa chute faisait par contre problème. Pour autant, rien n’a été annoncé afin de la combattre, signe que face aux marchés, la BCE faisant elle-même le gros dos, car il n’y a pas grand chose à faire sur ce terrain-là…

Une remarque assassine de David Bloom, en charge des marchés de devise d’HSBC, rapportée par le Financial Times, résumé la situation : nous pensions que l’euro allait devenir une sorte d’euromark, il est train de tourner à l’eurodrachme a-t-il constaté, sarcastique. Mohamed El-Erian, grand manitou américain du marché obligataire, faisant ce commentaire désabusé : à nouveau, on essaye de régler un problème de solvabilité par des injections de liquidités.

Les deux indicateurs du moment que sont l’euro et le Libor (overnight ou à trois mois) continuent d’être en berne, signalant qu’en dépit des démentis, la crise européenne n’est pas réglée et que la confiance n’est pas de retour. Ni au sein du système bancaire, dont les acteurs se soupçonnent les uns les autres – sachant à quoi s’en tenir pour leur propre compte ou connaissant les usages de la profession – de taire leurs gros bobos, ni sur le plus grand marché du monde, le Forex, où la loi de la jungle monétaire règne en maître.

L’excellence de la coopération franco-allemande est célébrée par Christine Lagarde, ministre française des finances, mais cette grossière pirouette ne dissimule pas que les uns ont une politique qui ne mène nulle part, les autres n’en ont même pas. Les Allemands étant par ailleurs actifs et déterminés sur le sujet de la régulation financière, leurs banques durement éprouvées, tandis que les Français continuant d’affecter que tout va pour le mieux de leur côté et traînent la patte lorsque l’on rentre dans le concret, afin de préserver leurs banques.

Wolfgang Schäuble a eu ce mot magistral, afin de marquer sa détermination: « ce sont les politiques qui font les règles, pas les marchés ». Passant de la parole aux actes, Berlin vient d’ailleurs d’annoncer son intention de taxer les transactions financières – sans plus de détails – rejoignant en cela les Autrichiens. Mais cela en dit long sur sa compréhension générale de la situation, de manière alarmante.

L’extension de la crise à toute l’Europe menace pourtant, comme le lait qui déborde sans crier gare. Au Royaume-Uni, où la trêve électorale est terminée, un projet de budget étant annoncé pour le 22 juin prochain. Dans les pays de l’Europe de l’Est, un ensemble très hétérogène, pour lesquels la BERD vient de réaliser préventivement une forte augmentation de son capital, afin de les aider à faire face à la crise qui sévit en Europe de l’Ouest et qui les atteint plus ou moins durement.

Pendant ce temps-là, les Américains sont en passe de boucler leur réforme financière, le Sénat mettant avec force amendements de dernière minute la dernière main à son projet de loi, qui va devoir encore être confronté à celui de la Chambre des représentants avant d’être promulgué par Barack Obama. Cela ne saurait tarder, comme à la fin d’une course d’obstacle, lorsque les participants donnent un dernier coup de collier.

Les Européens, qui se manifestent tardivement sur différents sujets scabreux – la réglementation des hedge funds et des CDS nus – arrivent après la bataille en dépit d’une mission à Washington de Michel Barnier, le commissaire au marché intérieur, auprès de Tim Geithner, le secrétaire au Trésor. Le prochain G20 de Toronto, les 26 et 27 juin prochains, est attendu comme pouvant être le lieu de derniers arbitrages, mais les Américains vont avoir beau jeu de dire qu’ils ont fait le travail, ne peuvent y revenir, et qu’il n’y a qu’à s’en inspirer.

Anticipant cette rebuffade, les Européens se sont déjà engagés sur la voie du compromis, c’est à dire de la dénaturation de leurs propositions. A propos des hedge funds comme des CDS nus. Il serait question, les concernant, non plus d’une interdiction, mais de la possibilité de mesures temporaires.

Il est difficile de faire le tour d’une loi qui ne demande pas moins de 1.600 pages pour être exposée. Certes, le très important sujet de la réglementation des produits dérivés va être l’objet de derniers réglages qui donnent lieu à des batailles acharnées des lobbies financiers. Mais sa tonalité d’ensemble n’a pas changé : cette loi reste une illusoire tentative de contenir les futurs errements de l’industrie financière, ses gardes-fous comme autant de murailles pleines de trous béants, contournables à la faveur d’une virgule manquante dans un alinéa, de l’omission d’un détail dans un autre. Car c’est ainsi que procèdent les financiers, soucieux de la légalité en façade et n’hésitant pas à solliciter celle-ci abusivement, voire à la bousculer, au nom du vieux principe « pas vu, pas pris ! ».

Qu’est-ce que les Européens vont finalement obtenir comme lot de consolation ? De premières constations faisant pudiquement état de l’actuelle application imparfaite de la vieille réglementation de Bâle II, issues d’un rapport du FMI portant sur l’économie américaine, en disent long à propos de la portée de la réglementation internationale lorsqu’elle dérange, alors que Bâle III continue de faire l’objet de tractations serrées dont rien ne filtre. Ce couvercle qui devrait chapeauter toute l’activité financière mondiale, aussi imparfait soit-il à l’arrivée, connaîtra-t-il donc le même sort outre-Atlantique que son prédécesseur ?

Est-ce faire preuve d’un pessimisme outrancier que de voir dans la situation actuelle la victoire de deux politiques dont chacune mène dans le mur  ? Celle du gouvernement allemand, qui dirige l’Europe tout droit dans la récession, et celle des Etats-Unis, qui laisse largement ouvert le terrain de jeu de la finance  ?

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