L’actualité de la crise : TROP GROS POUR ÊTRE AVALÉ, par François Leclerc

Billet invité.

L’Espagne est un trop gros poisson, c’est ainsi qu’est généralement appréhendée la suite des événements, alors que le Portugal connaît une grève générale massive et que le gouvernement irlandais de Brian Cowen rend public son plan d’austérité pour les 4 années à venir.

Fait nouveau, jusque là réservée aux banques, l’expression too big to fail (trop gros pour faire défaut) est désormais utilisée pour un pays. L’Espagne, quatrième économie européenne, représente deux fois la taille additionnée de la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Ce qui suscite pour le moins quelques inquiétudes, au vu des estimations du coût de son sauvetage qui circulent déjà, car elles tournent autour de 500 milliards d’euros. Celui de la Grèce a déjà représenté 110 milliards d’euros et celui de l’Irlande, pas encore définitivement chiffré, oscille entre 80 et 90 milliards. « Un abîme nous sépare de l’Irlande » a déclaré à El Pais José Manuel Campa, le secrétaire d’Etat à l’économie, le genre d’intervention qui fait sortir les calculettes à défaut de rassurer !

L’entrée de l’Espagne dans la zone des tempêtes créerait non seulement un choc considérable pour la zone euro, mais elle assécherait les ressources potentielles du fonds de stabilité financière, y compris avec l’apport du FMI, et impliquerait de mettre au point en complément un autre montage. A la manière de ce qui se fait déjà pour l’Irlande, le Royaume-Uni, la Suède et le Danemark accordant des prêts bilatéraux. L’Allemagne et la France seraient nécessairement alors mis à contribution.

Cette perspective explique probablement l’énervement constaté outre-Rhin, ainsi que les dernières déclarations de la chancelière Angela Merkel, qui a déclaré en faisant référence à la situation irlandaise – qui est loin d’être réglée – que la zone euro était « dans une situation extrêmement sérieuse ». La veille, Wolfgang Schäuble, son ministre des finances, avait estimé que l’avenir de l’euro était « en jeu ». En mettant ainsi les points sur les « i », les responsables allemands ne se préparent-ils pas à des décisions difficiles ?

Un signal a en tout cas été donné aujourd’hui, là où on ne l’attendait pas. Une émission obligataire d’obligation souveraines à 10 ans, les Bund, n’a été que partiellement souscrite. 4,76 milliards d’euros ont été alloués sur un volume prévu de 6 milliards. Ce qui exprime, disent les analystes, l’extrême volatilité du marché, sans plus de conséquence pour l’Etat allemand.

Les nouvelles fortes tensions sur le marché obligataire dont font les frais les Portugais, les Espagnols, ainsi que les Italiens, ne donnent pas un signal encourageant aux dirigeants européens, même s’ils continuent d’affecter de l’ignorer. Olli Rehn, le commissaire aux affaires économiques de la Commission, s’étant fait ces derniers temps une spécialité des déclarations apaisantes, appelant à ne pas céder à « l’alarmisme ». Quant à l’euro, si sa glissade vis-à-vis du dollar s’est interrompue aujourd’hui, les analystes le mettent sur le compte des mauvaises nouvelles enregistrées aux Etats-Unis.

Du côté irlandais, que peut-il être retenu du plan d’austérité qui a été présenté ? Moins l’augmentation de la TVA et la diminution du salaire minimum, la suppression de 25.000 emplois publics et la baisse des dépenses sociales, ainsi que les différentes augmentations d’impôts que la prévision de croissance sur lequel le plan est bâti. Elle est prévue en moyenne à 2,75% de 2011 à 2014, alors qu’elle devrait être tout juste positive cette année, si cela se confirme. Au vu des réactions immédiates des marchés, il se confirme que tout espoir de les voir se calmer doit être abandonné, en dépit ou à cause de cette publication, son équilibre final reposant sur des prévisions de croissance difficilement crédibles.

Par ailleurs, si l’expression nationalisation des pertes n’avait pas encore trouvé sa parfaite illustration, celle des banques qui devrait se poursuivre arrive à point nommé. Il est prévu que la totalité du secteur bancaire sera nationalisé, la descente aux enfers des valeurs boursières ayant porté un dernier coup à la banque qui se portait le moins mal, la Bank of Ireland, dont les actions ont perdu 90% de leur valeur.

Le plan d’austérité portugais devrait être adopté vendredi prochain, mais comment croire que son annonce pourrait lui permettre d’éviter de vite se présenter au guichet de l’aide européenne ? Pris entre la hausse qui se poursuit de ses taux obligataires et une grève générale portée par le pays, le gouvernement portugais n’a plus aucune marge de manœuvre.

C’est une situation qui ne lui est pas propre. La crise européenne entre progressivement dans une nouvelle dimension, celle de la protestation sociale. Non sans déstabiliser les gouvernements en place. Le Pasok grec n’a du son relatif succès aux élections locales qu’à une abstention massive de l’électorat, qui ne veut pas du retour de la droite. Le Psoe espagnol est en chute dans les sondages, mais les Espagnols ne souhaitent pas d’avantage d’élections anticipées ramenant la droite au pouvoir. Le gouvernement irlandais du Fianna Fail est moribond, tandis que les socialistes portugais, minoritaires, se maintiennent au pouvoir faute d’alternative. Faut-il poursuivre cette liste en y ajoutant l’Italie, où le berlusconisme continue sa longue glissade vers la fin ?

Ceux qui continuent de préconiser comme seule stratégie de sortie de la crise européenne la réduction très rapide des déficits et de la dette publics sont un peu le dos au mur. Car, que l’on considère l’Irlande, le Portugal ou l’Espagne, force est de constater que leur principal point de faiblesse n’est pas le montant de leur dette publique, mais bien celui de la dette privée. C’est le renflouement des banques qui a ainsi mis dans le rouge l’Etat irlandais, pour ne prendre que cet exemple.

Ajouter un volant à cette stratégie en prévoyant de faire participer les créanciers à des futures restructurations de dette, après 2013, comme ne cesse d’en marteler la nécessité Angela Merkel, est certes une manière indirecte de reconnaître que le dispositif actuel, qui ne le prévoit pas, ne fonctionne pas. Devant le Bundestag, la chancelière n’a pas mâché ses mots. « Ceux qui gagnent de l’argent avec les taux élevés, avec les obligations souveraines doivent supporter aussi les risques » a-t-elle dit, appelant ses partenaires européens à « avoir le courage » d’imposer « des limites au marché », concluant : « Il s’agit ici de la primauté de la politique, des limites du marché ».

Des détails commencent à filtrer sur les propositions allemandes. Un mécanisme de « clauses d’action collective » est proposé, qui permettrait d’imposer à l’ensemble des créanciers ayant souscrit à une émission donnée une décote de leurs obligations, ou un rééchelonnement de la dette, une fois les propositions de l’émetteur adoptées par une majorité qualifiée. Mais tout ce dispositif ne pourrait intervenir qu’une fois le Traité de Lisbonne modifié, mi-2013 est-il au mieux prévu, et ne pourrait s’appliquer qu’aux obligations émises après cette date.

La conjonction de la poursuite de la crise obligataire avec l’émergence de la protestation sociale et la déstabilisation des gouvernements rend ce calendrier beaucoup trop lointain et ces mesures déjà dépassées, alors qu’elles sont à peine en discussion.

Va-t-on voir resurgir les projets de FMI européen ou d’agence européenne de la dette ? Tous ces mécanismes ont un double défaut : s’ils permettent de gagner du temps, ils impliquent des abandons et des partages de souveraineté ; s’ils permettent à priori d’étaler les dettes, ils ne les réduisent pas. Ils achoppent tous sur le même problème, celui de ne prendre en considération que la dette publique et de laisser de côté la dette privée. Sauf à totalement faire préalablement prendre en charge cette dernière par la première.

Le cas de l’Irlande est en train de démontrer l’inanité d’une telle démarche, celui de l’Espagne imposera, s’il se présente, de la remettre en cause d’une manière ou d’une autre. La discussion a déjà été publiquement lancée à propos des restructurations des banques irlandaises et de la participation des créanciers à celle-ci, sans attendre 2013.

Mais il ne faut pas aller plus vite que la musique et rester à l’écoute de la situation irlandaise, car tout n’y tient qu’à un fil. Les tractations doivent aller bon train, afin de gérer le calendrier de la finalisation du sauvetage en cours. S’il reste incertain, et comment pourrait-il en être autrement ? une incitation de plus sera donnée aux marchés pour qu’ils manifestent leur impatience et la reportent sur le Portugal et l’Espagne.

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218 réponses à “L’actualité de la crise : TROP GROS POUR ÊTRE AVALÉ, par François Leclerc”

  1. Avatar de M

    Nous sommes tous des PIGS !

    – pour les statistiques, je sais pas ….

    mais un aperçu musical au hasard :
    – « En la fuente del rosel » / Juan Vasquez XVI°s. / Teresa Berganza ( Mezzo Soprano) & Narciso Yepes
    http://www.musicme.com/#/Teresa-Berganza/titres/En-La-Fuente-Del-Rosel-t39156.html?play=0028947754893-03_29

    –  » El lagarto esta llorando » / Federico Garcia Lorca / Paco Ibañez ( chanson pour une petite fille )
    http://www.musicme.com/

  2. Avatar de M

    désolée, « Mon lezard qui pleure » n’étant pas passé =) plus d’actualité :
    P.Ibañez ,de Miguel Hernandez :  » Andaluces de Jaén »

    http://musicspot.cnetfrance.fr/artiste/paco-ibaez-10111871/videos/paco-ibaez-en-el-olympia-2-11-andaluces-de-jaen,iiD0d2IqO5o/

  3. Avatar de Johannes Finckh
    Johannes Finckh

    puisque rien ne marchera dans ce qui est proposé, c’est le « fou du roi », à savoir monsieur Cantona, qui agit.
    Peut-être pas le 7 décembre, mais, dans les faits, et face aux évidentes insolvabilités déjà là, les créanciers n’achèteront même plus le Bund allemand.
    Alors? Si la BCE n’intervient pas en achetant les actifs toxiques, les créances pourries, privées ou publique, on s’en fout totalement, une violente déflation menacera. C’est pourquoi, le dos au mur et en reniant tous ses principes, la BCE interviendra comme l’a fait la Fed et comme le fait constamment la Banque du Japon depuis vingt ans.
    Cela ne résoudra pas grand’chose au sens ou cela réduirait la dette, mais cela est une impossibilité mathématique, avec ou sans croissance, avec ou sans rigueur.
    Sans l’introduction du SMT – qui, de toute évidence est ignoré- il n’y aura aucune possibilité paisible d’en sortir. C’est vrai que les crises sociales succéderont aux crises sociales, et cela finira dans le sang, hélas!

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