LIBERTÉ, ÉGALITÉ, OCÉANITÉ, par Michel Martin

Billet invité

L’enfer est pavé de bonnes intentions, mais le ciel est garni d’étoiles.

C’est en écoutant le débat avec Alain Badiou sur son livre « L’hypothèse communiste » le soir du 23 Novembre dernier à Citéphilo que m’est venue l’idée de proposer une nouvelle devise. Ce texte prolonge aussi un début de discussion au sujet de la filiation du care entre fraternité et solidarisme qui s’est amorcé suite à mon intervention à Citéphilo le 23 novembre, en compagnie de Geneviève Fraisse, Jean Gadrey et Alain Lhomme. Il fait aussi écho au billet Liberté-égalité-Fraternité/Gratuité par Jean-Luce Morlie le 1er novembre ainsi qu’à une remarque de Paul Jorion dans sa vidéo du vendredi  26 novembre sur les libertariens.

Tout d’abord, devrions-nous dire devise, ne devrions-nous pas plutôt dire constellation ou firmament, idéel ou forme. C’est que dans une devise, il y a déjà un programme et qu’au contraire, nos trois mots fétiches sont des étoiles situées dans le ciel. Saint Bernard nous a enseigné que l’enfer était pavé de bonnes intentions, je pourrais ajouter que le ciel est garni d’étoiles. J’aurais tout aussi bien pu proposer Liberté, égalité, communisme plutôt qu’océanité. Car le communisme est une étoile qui s’est couverte de sang et de larmes. À devenir une bonne intention, à vouloir trop s’incarner, elle s’est tout de suite corrompue jusqu’à ne plus susciter que haine et nostalgie, jusqu’à déchaîner l’enfer. Alain Badiou se propose de ramasser cette étoile déchue dans le ruisseau, afin de tenter de réchauffer le coeur de ses compagnons de route, orphelins depuis qu’elle gît ainsi, près des détritus. Un œil attentif comme celui d’Alain Badiou a vu qu’elle est d’une autre nature, d’un autre destin, d’un autre éclat.

La parenté du care et de notre fraternité Pest pourtant évidente, mais le care est sur terre et la fraternité est au ciel. Le care est concret et la fraternité est au firmament, accompagné de sa parente, la gratuité. Pourtant le care ne nous dit rien, en tout cas rien qui vaille, et la fraternité a mauvais genre, le genre dominant, et c’est inscrit dans son nom. Sa compagne l’égalité n’était pas mieux servie que la fraternité, il s’agissait aussi de l’égalité des hommes. Avant la révolution, les femmes n’étaient pas encore nées au firmament. Mais comme l’égalité n’est pas marquée au fer rouge de son genre initial, elle a pu se faufiler dans le temps et parvenir jusqu’à nous et épouser les deux sexes. Qu’en est-il de la liberté ? Sans doute un parcours voisin de celui de l’égalité, mais son histoire est moins claire en ce qui concerne ses relations avec le genre. Gardons cette étoile toujours aussi scintillante et ne laissons pas les libertariens se l’approprier ici-bas pour justifier leur forfait, pour justifier leur cupidité. Cette liberté là se retrouve aussi vite dans le ruisseau en compagnie de ce pauvre communisme qui avait cru pouvoir engendrer le paradis sur terre en devenant programme, appuyé sur l’infaillible dialectique matérialiste. Le livre noir du communisme est aujourd’hui rejoint par le livre noir du libéralisme. Le care porte en lui l’attention aux autres humains, et aussi l’attention à notre milieu, notre écosystème. Si l’étoile de la fraternité ne couvre que la moitié des humains, elle ne couvre en rien l’écosystème. Alors je me suis interrogé sur le mot qui correspondrait à une expérience et qui nous évoquerait l’attention, une sensibilité universelle. Et c’est alors que le sentiment océanique m’a paru être un bon candidat. Ce sentiment est une expérience, pas vraiment une construction d’idée, c’est le sentiment qu’on peut éprouver devant une nature vierge ou devant le spectacle des astres. C’est le sentiment vertigineux d’être de ce monde, de cet univers, pleinement. Océanité est un candidat possible pour figurer dans notre triade et répondre à notre faculté de coopération et d’empathie avec nos frères, nos sœurs, notre écosystème et jusqu’au cosmos tout entier.

Dans la grille de trifonctionnalité de Dumézil, la fraternité est dans le pôle de l’ordre, du pourquoi, alors que le solidarisme est dans le pôle de la fécondité, des nourritures et des biens, du comment.

Je me demande seulement si l’expérience du sentiment océanique est assez partagée par tous les peuples, les naturalistes que nous sommes, les totémistes, les analogistes et les animistes. Si un anthropologue pouvait me le dire, je lui en serais reconnaissant.

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