Le 7 février prochain, je participerai aux Entretiens de l’Institut Diderot consacrés à L’avenir du progrès. J’aimerais connaître votre sentiment avant de composer mon exposé et je vous propose comme trame pour la discussion un texte que vous connaissez peut-être déjà parce qu’il constitue l’épilogue de mon livre La crise (Fayard 2008 : 313-328).
Les tâches et les responsabilités qui sont aujourd’hui les nôtres
Expliquer la nature en ses propres termes
On trouve sous la plume de Schelling cette pensée merveilleuse que l’Homme est le moyen que la nature s’est donnée pour prendre conscience d’elle–même. Les manifestations de cette prise de conscience ont adopté des formes diverses selon les lieux et les époques, et au sein d’une culture particulière, telle la nôtre, révèlent un processus en constante évolution. Faut-il alors reconnaître l’ensemble de ces manifestations comme également valides, la nature ayant eu autant de manières de prendre conscience d’elle-même qu’il y eut d’opinions exprimées ?
Aux débuts historiques de notre culture occidentale (la Chine est différente), un trait des représentations que l’Homme se fait de la nature et de lui–même en son sein, est que les explications produites ne parviennent pas à rester confinées dans le cadre qu’offre la nature elle–même, elles ne peuvent s’empêcher de s’en échapper constamment et invoquent un au–delà de son contexte : une mythologie d’agents inobservables et proprement « sur–naturels » La plupart des systèmes de croyance traditionnels sont de ce type, qui doivent couronner leurs chaînes explicatives par un « primus movens », un dieu introduit à un niveau arbitraire de la chaîne et censé rendre compte en dernière instance d’une famille de phénomènes liés entre eux pour des raisons essentiellement affectives.
C’est là qu’il convient de situer le critère de qualité minimum que doit présenter une conscience de la nature par elle–même : qu’elle trouve à se déployer entièrement au sein de son propre cadre, sans aucun débordement. La distinction est simple et permet d’écarter une multitude de tentatives ne présentant sur le plan conceptuel qu’un intérêt « documentaire » – même si elles jouèrent un rôle primordial dramatique dans l’histoire de la race humaine.
La pensée chinoise traditionnelle (essentiellement athée) a accompli cette tâche et, au sein de notre tradition, Aristote est le premier qui réussit cette gageure en proposant un système complet, composé d’une part d’observations empiriques de la nature, et d’autre part de « raisonnements » fondés sur celles–ci. Avec la philosophie d’abord, puis avec la « philosophie naturelle » qu’offre la science ensuite, des représentations de la nature sont produites qui ne requièrent rien d’autre comme termes d’un raisonnement, que sa décomposition en ses éléments et la description de l’interaction de ceux–ci à différents niveaux d’agrégation.
Le raisonnement, c’est évidemment pour Aristote, la faculté d’engendrer le syllogisme, c’est-à-dire, la possibilité d’associer deux concepts par le truchement d’un troisième – le moyen terme – auquel chacun d’eux est lié. La Raison s’assimile à la puissance du syllogisme d’étendre par ce moyen la « sphère d’influence conceptuelle » de chaque terme de proche en proche, de syllogisme en syllogisme, de manière potentiellement infinie. Ce pouvoir, c’est celui d’exporter une certitude acquise au–delà de son cercle immédiat. C’est dans la prise de conscience de la puissance du syllogisme par Socrate, Platon et Aristote mais aussi par leurs adversaires sophistes, Protagoras et Gorgias, que réside le miracle grec : la capacité d’expliquer la nature en ses propres termes.
Le moyen que la nature s’est offerte pour se surpasser
Notre espèce est, il faut bien le dire, mauvaise et agressive. Mal protégée dans son corps, elle n’a dû qu’à sa prédisposition à la rage de survivre aux affronts de la nature dont elle est une part mais qui aussi, l’entoure, et comme pour toute autre espèce, l’assiège. Les débuts de notre prise de conscience de la place qui est la nôtre au sein de ce monde, furent caractérisés par notre déni de cette hostilité de la nature envers nous. Les agents surnaturels que nous avons invoqués au fil des âges, dans nos religions et dans nos superstitions communes, nous permirent de construire l’image d’une nature beaucoup plus aimable à notre égard qu’elle ne l’est en réalité. En faisant intervenir dans nos explications des dieux créateurs du monde et des anges secourables, nous avons transformé les éléments qui provoquaient à juste titre notre frayeur en innocents trompe–l’oeils masquant un réel bienveillant existant au–delà des apparences. Ainsi, l’activité invisible de divers esprits signifie que la mortalité n’est qu’une illusion derrière laquelle se cache l’immortalité véritable, l’injustice mondaine cache la réalité de la justice divine, et ainsi de suite.
Ceci dit, il y eut à toutes les époques et en tous lieux, des esprits forts qui ne mirent pas tous leurs oeufs dans le même panier épistémologique et ne se contentèrent pas de consolations méta–physiques obtenues dans un univers parallèle et cherchèrent à éliminer notre inquiétude en s’attaquant de manière directe aux causes de nos frayeurs, à savoir en améliorant le monde tel qu’il nous a été offert. Et si ce monde est aujourd’hui vivable, tolérable, c’est bien parce que nous l’avons rendu tel par nos propres moyens et par eux seuls. Qu’un résultat partiel ait pu être obtenu est d’autant plus surprenant que notre hostilité à l’égard de nos congénères a toujours été extrême et que, comme l’avait déjà bien perçu l’anthropologue Johann Friedrich Blumenbach (1752–1840), nous avons été forcés, à l’instar de ce que nous avons imposé à de nombreuses espèces animales et à de nombreux végétaux, de nous domestiquer nous–mêmes à l’échelle de l’espèce tout entière.
Quelques milliers d’années plus tard, l’Homme assume aujourd’hui la place de ces agents surnaturels qu’il avait d’abord fantasmés : il s’est petit à petit, et avec une vitesse sans cesse croissante, glissé à la place où il avait d’abord situé ces esprits sans qui il s’était imaginé être incapable de vivre. Est–ce à dire qu’il est devenu par là démiurge lui–même ? Non, parce que la nature de ce dieu créateur était d’être un esprit, c’est–à–dire une fiction. Mais l’Homme est advenu lui–même à la place où il avait situé ces agents surnaturels. Or les actes secourables que ceux–ci produisaient sur le mode du miracle, il les produit aujourd’hui lui–même en guidant la nature vers la solution de ses propres problèmes. Ce faisant, il force par son industrie la nature à se dépasser. L’Homme n’est pas tellement, comme le voulait Schelling, le moyen que la nature s’est donnée pour prendre conscience d’elle–même que celui qu’elle s’est donnée pour se surpasser.
Le dessein intelligent
L’Homme permet à la nature de se surpasser de multiples manières. Il ne s’agit pas pour lui d’infléchir les lois naturelles mais de subvertir les conditions dans lesquelles elles opèrent lorsqu’elles sont laissées à elles–mêmes, en l’absence de sa propre interférence.
L’Homme a d’abord transcendé sa propre essence en échappant à l’emprise de l’attraction terrestre. Non pas comme l’oiseau qui découvre par le vol un autre continent et qui, malgré le caractère exceptionnel de cet exploit, reste fidèle à sa propre essence, mais en échappant à l’inéluctabilité de son environnement qui veut que tout corps est attiré vers le bas sur la planète où il est né. L’Homme a découvert par le calcul qu’une vitesse supérieure à 11,2 kilomètres par seconde permet de neutraliser la gravitation universelle telle qu’elle s’exerce sur la Terre ; il a ensuite construit la machine qui lui permet de réaliser cet exploit. L’Homme est désormais prêt à coloniser d’autres planètes, voire d’autres systèmes stellaires.
Un thème qui fut à la mode il y a quelques années fut celui de notre capacité nouvellement acquise à détruire un astéroïde mortel se dirigeant vers nous. Lorsque ces armes auront trouvé ainsi leur authentique destination, l’ironie apparaîtra en pleine lumière du fait que nous les avions conçues d’abord pour nos guerres intestines. C’est notre méchanceté à l’égard de nous–mêmes qui en avait constitué le motif initial. Quoi qu’il en soi, nous avons cessé désormais d’être une simple moisissure à la surface d’une planète pour être l’agent qui fait échapper celle-ci à son propre destin naturel.
De même, l’Homme a découvert par l’expérimentation que les êtres vivants sont déterminés dans leur anatomie et leur physiologie par un code inscrit au coeur de la cellule ; il a ensuite mis au point les techniques qui lui permettent de manipuler le génome et de redéfinir ce qui caractérise une espèce, assignant ainsi aux individus comme au phylum tout entier, une nouvelle destinée. Ces techniques lui ouvrent la voie vers son immortalité potentielle. L’animal, en raison de sa prudence, pourrait vivre indéfiniment, et c’est pourquoi sa mort – au contraire de celle de l’arbre – est inscrite dans son génome. L’Homme mourra toujours, bien entendu, mais comme l’arbre dont la mort n’est pas programmée : à l’instar d’une planète, sa vie est celle d’un compromis entre les influences qu’il subit et il finit par mourir accidentellement lorsque l’action d’autres corps sur lui supprime les conditions de sa perpétuation. L’Homme sera comme l’arbre qui meurt pour avoir été frappé par la foudre ou en s’effondrant sous son propre poids. Comme l’avait déjà compris Hegel, l’intelligence de la nature est de trois ordres :
- mécanique : le mouvement de corps indifférents les uns aux autres et qui se fracassent l’un contre l’autre s’il arrive à leur trajectoire de se croiser,
- chimique : les corps sont attirés ou repoussés les uns par les autres et leur combinaison débouche sur des composés aux propriétés originales,
- biologique : des corps organisés qui ne sont pas indifférents les uns aux autres anticipent leurs comportements mutuels. L’animal connaît lui aussi l’attirance et la répulsion, mais celle-ci n’est plus fondée comme pour la molécule sur une réactivité immédiate mais sur une anticipation de ce qui se passerait si l’attirance conduisait au contact qui pourrait s’avérer maléfique, ou au contraire si la répulsion interdisait un contact qui pourrait s’avérer bénéfique. Comme l’anticipation modifie le comportement et que cette modification est d’abord perçue puis anticipée par les autres créatures en interaction, les rapports entre animaux ne cessent de se complexifier avec le temps. Ainsi, l’escalade entre espèces qui se livrent la guerre et perfectionnent les moyens d’attaque et de défense, au fil des générations. (Hegel [1817/1830] 1987 : § 192 – § 298)
A cela, l’Homme a ajouté un quatrième niveau : le dessein intelligent, absent de la nature, et qui tire parti de l’analogie. Ce qui caractérise l’intelligence humaine, c’est sa capacité à l’analogie, son talent à reconnaître des formes semblables dans des phénomènes distincts, et ceci en dépit de la nécessité d’opérer souvent cette reconnaissance à un niveau d’abstraction très élevé. La nature, avant qu’elle ne prenne la forme de l’Homme, s’est révélée incapable de tirer parti de l’analogie : elle a dû se contenter de progresser en creusant des chenaux divergeant en différents branchements mais qui demeurent irrévocablement indépendants, privés de la capacité de se féconder mutuellement. Elle est obligée dans chaque cas de réinventer entièrement la solution du problème, de la forme la plus simple jusqu’à son expression la plus complexe, quitte à retomber alors, par la convergence, sur une solution unique et déjà découverte par ailleurs. Ainsi, l’oeil du poulpe, un mollusque céphalopode, est proche de celui des mammifères les plus évolués mais sans qu’il y ait eu emprunt d’une lignée vers l’autre : les phylogenèses qui conduisent à l’un et à l’autre ne se sont jamais rejointes. Chacune de ces évolutions résulte de ses propres contraintes, le résultat seulement d’une sélection naturelle due aux interactions des individus appartenant à l’espèce avec leur environnement et non à une dynamique interne – si ce n’est celle de l’ordre du ratage que constitue la mutation.
L’Homme, au contraire, fertilise des inventions parallèles en croisant leurs destins : il recycle les bonnes idées dans un produit qui en opère la synthèse ; ainsi, dans l’invention du saxophone à partir de la clarinette : divers inventeurs s’engagèrent dans des voies divergentes mais n’hésitèrent jamais à emprunter pour leurs perfectionnements ultérieurs des bouts de solution découverts par des rivaux ; dans la forme finale que prit l’instrument, diverses approches furent combinées, réconciliées. Si l’Homme permet à la nature de se surpasser, c’est qu’il est seul capable de ce dessein intelligent. L’Homme est aujourd’hui démiurgique, créature créatrice mais au sein–même de la nature, non dans son extériorité comme le serait au contraire un agent sur–naturel. Les apparences nous suggèrent qu’il est seul à disposer de cette capacité : d’autres créatures en disposent peut-être ailleurs ou au sein de ces univers parallèles dont nous parlent les physiciens, mais de cela nous n’en savons rien. Aussi, quand je dis l’Homme, je pense également à toutes les espèces qui auraient pu atteindre ce niveau de surpassement de la nature telle qu’elle leur était offerte.
Le dépassement de la nature par l’Homme n’a pas encore eu lieu dans la sphère économique
L’Homme est la conscience de la nature. Par la technologie et par le dessein intelligent qui le caractérisent et où il fait se rejoindre et se féconder réciproquement des lignées d’inventions indépendantes, l’Homme surpasse les lois de la nature telles qu’elles lui ont été offertes au moment où il apparaît dans l’histoire du monde. C’est par sa propre industrie qu’il a aidé la nature à se surpasser en forçant ses lois à se subvertir au sein d’un environnement localisé où il les a convoquées. La médecine a surpassé la nature livrée à elle–même quand elle pénètre au sein de la cellule et subvertit l’essence des espèces et du coup, leur destin. La rationalité engendre dans la technologie le dessein intelligent – absent de la nature dans sa créativité spontanée telle qu’en elle–même.
De ce point de vue, et parmi les institutions humaines, l’économie est une exception anachronique parce que son mécanisme, celui du système aujourd’hui quasi–hégémonique du capitalisme, existe sous la forme primitive, brute, de la nature non surpassée par l’Homme, à savoir, celle de la sélection par la concurrence absolue des espèces comme des individus et leur tri par l’élimination des plus faibles. Le prix qui établit l’étalon des rapports marchands se constitue à la frontière que détermine le rapport de forces, non pas, comme on l’imagine le plus souvent aujourd’hui, entre des quantités abstraites, mais entre les groupes concrets des acheteurs et des vendeurs, tous également situés au sein d’une hiérarchie cautionnée par un système politique. Ceci, Aristote le savait déjà. En finance, le statut d’acheteur ou de vendeur peut s’inverser rapidement pour un agent particulier sans que ceci ne remette en question la détermination sociale du prix par un rapport de forces.
Au sein de l’économie donc, l’empreinte de l’Homme n’est pas encore visible et la nature y agit sous sa forme brute et brutale : au sein de cette sphère, l’Homme n’a pas surpassé jusqu’ici la nature telle qu’il y est soumis simplement en tant qu’être naturel.
L’Homme a sans doute progressé sur le plan politique, comme en témoigne la croissance dans la taille des groupes au sein desquels il a vécu au fil des âges. Les sociétés de chasseurs–cueilleurs étaient constituées de bandes, les « hordes » des anciens auteurs, comptant une cinquantaine d’individus. Aujourd’hui les États réunissent plusieurs centaines de millions de nationaux mais dans un climat qui encourage et continue d’entretenir l’agressivité de l’homme envers l’homme, contre quoi les sociétés ont dû lutter pour arriver à constituer des ensembles de la taille qu’on leur connaît aujourd’hui.
Contrairement à ce qui s’observe pour l’organisation politique, ou avec les techniques qui permettent à l’Homme aussi bien d’échapper à sa planète, qu’à toucher du doigt l’immortalité de son corps, l’économie reste encore entièrement à domestiquer. C’est pourquoi, vouloir situer le marché au centre de la société, et prôner qu’elle s’organise à son exemple, revient en réalité à proposer que les sociétés humaines fonctionnent sur le modèle de la nature à l’exception de l’Homme, en faisant fi de ce qu’il a introduit au sein de la nature comme les moyens pour elle de se surpasser. Autrement dit, c’est retourner d’intention délibérée à l’« état de nature » où, comme l’a observé Hobbes, l’Homme est un loup pour l’Homme. C’est en réponse à Hobbes que Rousseau imagine une époque, qu’il appelle « l’âge des cabanes », âge d’un Homme naturel miraculeusement abstrait des rigueurs des lois naturelles, époque qui précède la guerre de tous contre tous parce que la source de l’agressivité y est encore absente, parce que le marché n’y est pas encore au centre des institutions, parce qu’en ces temps édéniques, nul n’a encore prononcé les paroles qui suffiront à faire d’un agneau, un loup : « Ceci est à moi ! »
Le modèle capitaliste de l’économie – contenu par des rambardes que l’État construit autour de lui – n’est donc autre que celui, darwinien, de la sélection par la concurrence, celui qui règne dans la nature livrée à elle–même. À l’instar des espèces, qui sont toutes par nature opportunistes et colonisatrices dans les limites que leur impose leur environnement, les entreprises n’ont d’autre rationalité que leur tendance à enfler indéfiniment. Des équilibres provisoires et partiels s’établissent cependant, dont le seul ressort est l’agression, comme au sein de la nature en général, tel celui du système prédateur–proie. Les tentatives d’imposer à l’économie un autre ordre que l’ordre naturel se sont limitées jusqu’ici à vouloir y transposer le modèle étatique ; ces tentatives ont été au mieux peu convaincantes et au pire désastreuses. Un nouveau modèle, non inscrit dans la nature avant l’Homme, devra cependant être découvert car, même si l’on était disposé à tolérer la manière dont il régit les individus, générant d’une part la richesse excessive et de l’autre, plus tragiquement, la misère et la mort, le sort qu’il impose à la planète tout entière est en tout cas lui intolérable, l’absence de freins qui caractérise sa dynamique ayant aujourd’hui mis en péril l’existence–même de celle-ci en tant que source de vie.
Conclusion
L’Homme est non seulement le moyen que la nature s’est donnée pour prendre conscience d’elle–même mais aussi celui qu’elle a découvert pour se surpasser grâce au dessein intelligent qui, à notre connaissance, caractérise notre espèce seule au sein de l’univers. La sphère de l’économie demeure elle encore réglée par la nature laissée à elle–même, à savoir par une sélection fondée sur le rapport de forces où le plus puissant écrase le plus faible, principe agressif dont l’emprise déteint alors sur l’ensemble des rapports humains.
De manière tendancielle, les inquiétudes touchent à leur fin, les frayeurs qui avaient conduit l’Homme à croire aux dieux ont perdu petit à petit de leur urgence et finiront par s’effacer. Bien que les injonctions de ces dieux fussent, sinon totalement absentes, tout au moins, sibyllines, nous demeurions convaincus qu’une mission nous avait été confiée par eux. Notre foi dans l’existence de celle–ci s’évanouit avec le crépuscule des dieux. Il nous est néanmoins loisible de constater quel a été le destin objectif de notre espèce jusqu’ici et de tirer de ces observations une ligne de conduite pour la suite, autrement dit, de définir quelles sont, au temps où nous vivons, les tâches qui nous attendent et les responsabilités qui sont les nôtres. Il s’avère que notre responsabilité essentielle est précisément d’assumer sans états d’âme ces tâches où le sort a voulu nous appeler [1].
Constatant quelle fut notre destinée, nous ne pouvons nous empêcher de comparer le pouvoir qui est devenu le nôtre à celui que nous avions attribué autrefois aux êtres surnaturels que nous avions imaginés. Ces dieux créateurs situés à l’origine, nous apparaissent maintenant n’avoir été rien d’autre qu’une image de nous–mêmes projetée dans l’avenir, un avenir qui ne nous apparaît plus désormais aussi lointain. Il reste cependant à éliminer de nos sociétés le règne de la nature non–domestiquée en son sein telle qu’il s’exerce encore dans la sphère économique et celles autour d’elle qu’elle parvient à contaminer. Du moyen d’y parvenir, nous ne savons presque rien. Lorsque l’Homme aura réussi dans cette tâche, il sera devenu le moyen que la nature s’est donnée de créer le Dieu qui lui fit jusqu’ici tant défaut.
Références :
G. W. F. Hegel, Précis de l’encyclopédie des sciences philosophiques, trad. J. Gibelin (1817/1830). Paris : Vrin 1987
[1] « Gémir, pleurer prier est également lâche. Fais énergiquement ta longue et lourde tâche Dans la voie où le sort a voulu t’appeler, Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler. » (Alfred de Vigny, La mort du loup).
403 réponses à “L’AVENIR DU PROGRES”
Ca bourdonne beaucoup sur ce blog. « Le bourdon » de Rimsky-Korsakov.
http://www.youtube.com/watch?v=L7w8sPtXG9k&feature=related
Cette page de M. Jorion est assez belle pour que je m’essaie à la réfuter avec un peu d’effort. Je reviendrai ici ce demain jeudi.
Gagner énormément d’argent est louable et ne devrait pas être remis en question. L’argent est censé être l’aune qui mesure le service rendu à la communauté.
En revanche, nous devrions orienter nos efforts pour s’assurer du fait que l’argent acquis doit servir à bon escient en s’instruisant du fait que le plus grand plaisir reste celui de l’aide que nous pouvons contribuer à apporter aux Hommes. Qu’aucune action n’augmente notre stature personnelle dés lors qu’elle découle de l’abus d’autrui.
Capitalisme, socialisme et autres politiques ont toutes des qualités et des défauts qui peuvent nous aider à tirer de nouveaux plans, mais sans y intégrer la notion d’une entraide salvatrice, nous retardons encore l’évolution de notre humanité.
L’argent ? vous voulez parler du langage du diable !
@ P. Jorion
La première impression qu’on a en lisant votre texte c’est qu’il date. Il aurait pu être écrit il y a 100-150 ans. C’est un texte qui sent le XIXe siècle à pleins poumons. Un texte avec une idée étonnement primitive, simpliste, rudimentaire, de la spiritualité – qui rappelle celles, tout aussi binaires et naïves, de Marx, Nietzsche ou Freud.
« En faisant intervenir dans nos explications des dieux créateurs du monde et des anges secourables… »
« les frayeurs qui avaient conduit l’Homme à croire aux dieux ont perdu petit à petit de leur urgence et finiront par s’effacer ».
« nous ne pouvons nous empêcher de comparer le pouvoir qui est devenu le nôtre à celui que nous avions attribué autrefois aux êtres surnaturels que nous avions imaginés ».
« La plupart des systèmes de croyance traditionnels […] doivent couronner leurs chaînes explicatives par un « primus movens », un dieu introduit à un niveau arbitraire de la chaîne et censé rendre compte en dernière instance d’une famille de phénomènes liés entre eux pour des raisons essentiellement affectives. »
Comment pouvez-vous réduire la spiritualité du Vedanta, des religions grecques et chinoises, du judaïsme, du bouddhisme, du christianisme, du shintoïsme, du soufisme (sans parler de tous les ésotérismes) à ce genre de phrases? Comment pouvez-vous faire abstraction des idées et des expériences intimes dans ce domaine de Platon, Pythagore, Aristote, Plotin, Denys l’Aréopagite, Rumi, Eckhart, Dante, Michel Ange, Cervantes, St. Jean de la Croix, Shakespeare, Pascal, Rembrandt, Bach, Newton, Goethe, Mozart, Novalis, Holderlin, Beethoven, Baudelaire, Bruckner, Dostoievski, Yeats, Tolstoi, Pessoa, Wittgenstein ou Jung, entre des milliers d’autres grands esprits ou grands créateurs de toutes les époques et toutes les civilisations?
On sent que vos connaissances dans le domaine de la spiritualité et des religions sont de deuxième ou troisième main. D’où une erreur de taille dans votre texte: « La pensée chinoise traditionnelle (essentiellement athée) »… Avez-vous lu vraiment Lao Zi, Zhuang Zi, Lie Zi, Mozi, Confucius, Huineng, sans oublier le Yi-king et ses principaux commentateurs? Même si les Chinois ne croient pas en un dieu avec une longue barbe et un triangle sur la tête qui a tout crée d’un coup de baguette magique, toute leur pensée reconnaît des forces spirituelles supérieures à l’homme qui le dépassent et un Au-delà qui ne fait aucun doute (entre beaucoup d’autres « croyances » fondamentales). Et cela pour une raison très simple: les Chinois sont pragmatiques et donc ils ne nient pas leurs propres expériences dans ce domaine.
« La solution de l’énigme de la vie dans l’espace et le temps se trouve hors de l’espace et du temps. »
(Wittgenstein)
(J’écris ceci en écoutant sur France Musique une 9e de Bruckner dirigée par R.Norrington en juillet dernier à Stuttgart, symphonie dédiée à… Dieu. Le jour où un athée sera capable d’écrire une cathédrale sonore aussi prodigieuse, le jour où il y aura un Bach athée, la foi des athées en leurs propres croyances me paraîtra sans doute moins illogique).
Étrange synchronicité: cherchant une version sur Youtube, je découvre celle donnée par Myung-Whun Chung salle Pleyel en décembre 2009… où je me vois – assis au 2e rang derrière l’orchestre !
http://www.youtube.com/watch?v=A_4V4HlSrCw&feature=related
Une autre version du début de la symphonie qui n’était pas non plus sur Youtube il y a peu de temps (d’un autre niveau que la précédente – voir le fabuleux premier tutti vers 2′ -, dirigée par le très grand chef brucknerien E.Jochum) :
http://www.youtube.com/watch?v=9fUgwHPso3E
Beethoven ? Il me semblait pourtant qu’il était celui qui avait souverainement accordé au bon dieu des congés éternels, mais bon…
Pablo, tu confirmes – presque élégamment – la pensée des américains dont une étude de l’université du Minnesota, parue en 2006, faisait apparaître que pour une majorité d’entre ceux-ci les athées sont la « communauté » qui inspire la plus grande méfiance, devant les musulmans ou les homosexuels…
Et tu connais sûrement l’histoire de Rafael Schächter, compositeur, chef d’orchestre et pianiste tchécoslovaque d’origine juive et athée qui fit donner 15 fois le requiem de Verdi en formant 200 choristes dans le camp de Terezin, antichambre d’Auschwitz, histoire dont Josef Bor (lui même interné à Terezin à la suite de l’attentat contre Heydrich)) fit un beau bouquin, le Requiem de Terezin :
Comme le vieux mendiant du camp (probablement Kurt Otto Singer, l’ancien intendant de l’opéra Kroll de Berlin) fait remarquer à Raphaël Schächter :
@ Vigneron
Et?
@ Vigneron
« Beethoven ? Il me semblait pourtant qu’il était celui qui avait souverainement accordé au bon dieu des congés éternels »
Il faudrait quand même que tu arrêtes avec ta manie de parler avant de t’informer (sur Beethoven, lis le pavé de 850 pages de Jean et Brigitte Massin chez Fayard):
« Tout ce que créa Dieu était pur et sans tache. Aveuglé par la passion, j’ai sombré dans le mal ».
(Beethoven. Carnets)
« Après avoir longuement expié et m’être purifié je suis revenu à la source originelle, pure, noble, à la Divinité et à mon art ».
(Id)
« Ici-bas, le fait seul est évident, le pourquoi sera révélé au jour suprême de la Résurrection ».
(Id)
À part ça:
« Au printemps de 1818 lui vient l’idée d’une grande œuvre religieuse qu’il envisage d’abord comme une messe d’intronisation pour l’archiduc Rodolphe, qui doit être élevé au rang d’archevêque d’Olmütz quelques mois plus tard. Mais la colossale « Missa Solemnis en ré majeur » réclame au musicien quatre années de travail opiniâtre (1818-1822) et la messe n’est remise à son dédicataire qu’en 1823. Beethoven étudie longuement les messes de Bach et Le Messie de Haendel durant la composition de la Missa Solemnis qu’il déclarera à plusieurs reprises être « sa meilleure œuvre, son plus grand ouvrage. » (Wikipedia)
Oui, tu as bien lu: la Missa Solemnis, les messes de Bach, le Messie de Haendel… De l’athéisme pur et dur.
En aparté…
Même si je partage probablement une partie de vos goûts musicaux …
Votre clivage musique profane musique sacrée m’apparait moins évident que vous le suggérez.
La sacralité peut se fabriquer.
http://alainbonte.over-blog.com/article-12712542.html peut se fabriquer
@pablito
Et ?? Nada, rien, nihil.
@ Piotr
Oui, on peut fabriquer de la musique sacrée en étant athée. Mais de la grande musique? Vous en connaissez des cas? Moi pas. Le plus grand compositeur vivant de musique sacrée est aujourd’hui Arvo Part, un mystique…
Comment se permettre de juger de la spiritualité de Paul ou la mienne ?
Il faudrait beaucoup, beaucoup d’intimité, qui n’existe pas, manifestement.
Pourquoi ce sectarisme?
Pourquoi avoir besoin de jouer au décompte de qui en a le plus en inventaire:
hommes célèbres croyants d’un côté et hommes célèbres incroyants de l’autre…
A ce jeu ridicule, c’est évidemment Pablo qui perdrait au fil des siècles passés.
Mais soyons bon prince, et laissons le jouer tout seul…
Pourquoi amputer l’être humain en ne lui reconnaissant pas le droit à la poésie
et à la spiritualité au delà de la croyance en un grand architecte?
Chez moi, la spiritualité et la jouissance poétique a commencé avec la fin de la croyance religieuse…
Je n’y peux rien.
Je ne suis pas croyant et n’ai pas plus besoin de nier l’existence de Dieu que celle des anges, des sirènes, des fantômes, et petits hommes verts…
« La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans coeur, comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. »
(Karl Marx / 1818-1883 / avec Engels, Critique de « La philosophie du droit » de Hegel, 1844)
Petit commentaire de texte:
« À un enfant qui meurt, et aux parents de cet enfant, ferez-vous, si la religion les console, l’éloge de l’athéisme ? Qu’on ne se méprenne pas : cela, à mon sens, ne prouve rien contre l’athéisme et beaucoup contre la religion. « L’âme d’un monde sans âme, disait Marx, l’esprit d’un monde sans esprit… » C’est la misère qui fait la religion, et c’est pourquoi celle-ci est misérable. Qui interdirait l’opium au mourant ? Et que sommes-nous d’autres, hors l’oubli ou le divertissement, que des mourants ? »
(André Comte-Sponville / né en 1952 / Une éducation philosophique / 1989)
@ Pablo
« Parole de mystique ou de religieux ? »
À cette question à laquelle je renvoyais il y a une quinzaine le statut de votre parole, j’ai finalement, à vous lire depuis, trouvé une réponse : parole de religieux qui s’ignore, qui n’atteint pas au mystique mais en reste fasciné. Un mystique intervient avec discrétion pas à discrétion : cf. votre pente à proposer votre « savoir » sur le défaut supposé de l’autre. Voir la blague du Rabbin : « j’ai les réponses, vous avez des questions ? ». Comme il y a des partageux sur ce blog, je partage mon opinion. Charles A. trouvera que c’est encore se permettre de juger de vous caser ainsi. Il aura raison.
@ Charles A.
Déjà il faudrait d’abord que vous appreniez à lire, c’est-à-dire à comprendre un texte, ce que visiblement vous avez du mal à faire. Démonstration.
« Comment se permettre de juger de la spiritualité de Paul ou la mienne? »
De la vôtre?? Mais qui a parlé de vous? Mais vous croyez vraiment que ça intéresse quelqu’un sur ce blog votre spiritualité? Et c’est quoi cette façon d’entrer par infraction dans le champ de la caméra sans qu’on vous ait sonné, de sauter comme les gosses avec les bras ouverts derrière la personne à qui on parle pour montrer qu’on existe?
Quant à la spiritualité de P.J., qui la juge? Je juge son jugement sur la spiritualité de l’être humain, en donnant 4 exemples de son texte. Mais avez-vous compris son texte? Vu comment avez-vous lu le mien j’en doute fort.
« Pourquoi ce sectarisme? »
Là on a la confirmation que vous comprenez à l’envers ce que vous lisez, puisque si sectarisme il y a (ce dont je ne suis pas sûr) il est plus dans le camp de ceux qui parlent « d’anges secourables », « d’êtres surnaturels que nous avions imaginés » ou des dieux introduits « à un niveau arbitraire de la chaîne » que dans celui qui dit aux athées militants de regarder l’histoire des religions, de lire les mystiques ou de penser aux exemples des grands personnages.
« Pourquoi avoir besoin de jouer au décompte de qui en a le plus en inventaire: hommes célèbres croyants d’un côté et hommes célèbres incroyants de l’autre. »
Voilà encore une preuve que vous n’avez rien compris à ce que j’ai écrit. Mais qui fait l’inventaire? Je dis que si des grands esprits n’ont pas été des athées c’est que les croyances spirituelles méritent plus que quelques arguments simplistes contre elles. Où est le décompte – surtout celui « d’hommes célèbres incroyants »?
« Pourquoi amputer l’être humain en ne lui reconnaissant pas le droit à la poésie et à la spiritualité au delà de la croyance en un grand architecte? »
Mais vous avez un grave problème de logique, vous (et encore je suis gentil). Parce qu’on dit que tous les grands poètes ont été croyants on nie « le droit à la poésie » des athées? Mais c’est quoi ce délire?
« Mais soyons bon prince, et laissons le jouer tout seul. »
Mais où est le jeu là-dedans? Non seulement vous ne savez pas lire mais en plus vous avez des visions étranges en lisant. Je ne veux pas vous inquiéter, mais je vous assure que voir des doubles décomptes et des jeux qui n’existent pas ce n’est pas très normal.
« Chez moi, la spiritualité et la jouissance poétique a commencé [sic] avec la fin de la croyance religieuse. »
Passons déjà sur la distinction entre religion et spiritualité, puisqu’on ne sait pas très bien de quoi vous parlez en écrivant « croyance religieuse », mais imaginons que vous voulez parler de foi en l’Au-delà tout simplement. Donc, si vous nous parlez de votre cas j’imagine que c’est par générosité, pour nous indiquer la marche à suivre. Si je comprends bien, il faut que tous les croyants arrêtent de croire sur le champ pour pouvoir « jouir poétiquement ». C’est vraiment gentil à vous de nous donner un tuyau de ce calibre. Vous en auriez d’autres du même genre pour qu’on puisse « jouir prosaïquement »?
Mais ce n’est pas fini. Parce que si on suit jusqu’au bout votre logique de 3e ou 4e type selon laquelle il faut arrêter de croire pour jouir de la poésie, cela veut dire que Rumi, Dante, St. Jean de la Croix, Shakespeare, Novalis, Holderlin, Baudelaire, Yeats ou Pessoa étaient des poètes frigides, puisque croyants. C’est ça, ou votre façon de raisonner est trop subtile pour mon pauvre petit cerveau de croyant en quelque chose de supérieur à l’être humain?
Pour finir, dans votre générosité infinie, vous nous donnez une citation de Marx que personne n’a jamais lue (« La religion […] est l’opium du peuple ») et qui montre bien l’idée extraordinairement complexe que ce grand économiste se faisait de la spiritualité humaine depuis 4 000-5 000 ans. Et comme elle est tellement difficile à comprendre, étant donné surtout son caractère inédit, vous nous offrez un « petit commentaire de texte » de l’autre grand génie vivant de la philosophie française (le premier étant, bien sûr, BHL), ce penseur révolutionnaire sorti de l’ENS de la rue d’Ulm et membre du Comité consultatif national d’éthique, ce Victor Cousin de la trivialité la plus niaise, idole des bourgeoises de province tourmentées par les questions d’adolescent attardé qu’il se pose sans cesse (« Comment vivre?, Comment être heureux ?, La vie a-t-elle un sens?, Comment trouver la sagesse sans se soumettre aux religions?, Comment être libre?, La vertu est-elle encore possible?, Jusqu’où va la tolérance? » et surtout Comment avoir des substantiels droits d’auteur en écrivant des réponses triviales à des questions du Bac philo), ce commentateur des commentateurs des philosophes qui n’a jamais eu une seule idée à lui tout seul, qui est Comte-Sponville: « C’est la misère qui fait la religion, et c’est pourquoi celle-ci est misérable ».
Merci, Charles.
Et pardonnez-moi si j’abuse de votre gentillesse en vous demandant pour finir une petite faveur: oubliez-moi sur ce blog, ne lisez pas mes commentaires et surtout n’y répondez pas. Je vous assure que c’est vraiment pas la peine.
@ Rosebud1871
« Un mystique intervient avec discrétion pas à discrétion ».
Mais qui s’est pris pour un mystique? Depuis quand les mystiques se promènent sur des blogs en répondant aux objections des gens qui ne savent pas lire, comme Charles A. ou vous? Vous ne savez pas faire la différence entre un lecteur des mystiques et un mystique? Ou vous, quand vous les lisez, vous lévitez et vous croyez que tout le monde fait pareil?
La vieille technique de l’Inquisition (modernisé par les stalinistes) qui consiste à répondre à des choses que l’autre n’a jamais dites ou même à des choses exactement contraires à celles qu’il a dites, ne marche pas avec moi. Si vous lisez ce qu’il y a dans votre tête au lieu de lire ce qu’il y a sur l’écran, ou si vous comprenez de travers, ce n’est pas de ma faute: achetez-vous un écran meilleur, changez des lunettes ou rincez-vous les neurones de temps en temps.
Pablo disait du texte de Paul Jorion qu’il contenait « une idée étonnement primitive, simpliste, rudimentaire, de la spiritualité – qui rappelle celles, tout aussi binaires et naïves, de Marx, Nietzsche ou Freud. »
J’ai demandé comment l’ont pouvait juger ainsi de la spiritualité de Paul ou de tout autre, la mienne par exemple, qui se fonde sur autre chose.
Merci pour la bile polémique sans importance, c’est une réponse…
@ Charles A.
« J’ai demandé comment l’ont pouvait juger ainsi de la spiritualité de Paul ou de tout autre, la mienne par exemple, qui se fonde sur autre chose. »
Mais non, vous avez demandé: « Comment se permettre de juger de la spiritualité de Paul ou la mienne ? »
Vous avez un vrai problème de lecture, vous. Ou alors de traduction mentale, puisque pour vous « de Paul ou la mienne » signifie « de Paul ou de tout autre, la mienne par exemple, qui se fonde sur autre chose ».
Si à chaque fois que vous écrivez 5 mots il faut en lire 16, dont 11 invisibles, on est mal barrés ici avec vos messages…
P.S. Si on « déploie » votre phrase « Merci pour la bile polémique », on trouve quoi à lire?
J’avais oublié un trait du message de Pablo (St Paul vu le ton de père fouettard…)
Après avoir jugé les idées de Paul Jorion de simpliste, voilà ce qu’il rajoute:
si sectarisme il y a (ce dont je ne suis pas sûr) il est plus dans le camp de ceux qui parlent « d’anges secourables », « d’êtres surnaturels que nous avions imaginés » ou des dieux introduits « à un niveau arbitraire de la chaîne ».
Interdit de plaisanter sur les anges…
Puis une bordée d’attaques personnelles, provocations toute aussi impuissantes que les arguments, mai qui ont le mérite d’informer sur leur auteur.
Heureusement que nos ancêtres ont descendus de leurs trônes le Roi de droit divin et ses ecclésiastiques…
@ Charles A.
Vous avez toujours de problèmes de lecture, vous. Dans la phrase « si sectarisme il y a (ce dont je ne suis pas sûr) » vous lisez « interdit de plaisanter ». Pour vous le doute « (ce dont je ne suis pas sûr) » équivaut à la certitude qui interdit.
Vous avez une logique très étonnante (en plus d’un sens de l’humour ravageur: « message de Pablo (St Paul vu le ton…).. Non seulement vos phrases veulent dire beaucoup plus de choses que ce qu’elles disent (voir ma réponse antérieure) mais en plus vous traduisez, par je ne sais pas quelle magie, les doutes écrits en certitudes lues.
À propos de ton: vous trouvez le mien « de père fouettard », moi je trouve le vôtre légèrement stalinien (PCF années 50-60). Je me trompe si s’imagine que vous aimiez bien « le petit père des peuples » au moins dans votre jeunesse?
Parce que Paul ne fait pas de génuflexion devant les superstitions religieuses,
pire relate les progrès de l’esprit humain face aux croyances religieuses,
Pablo l’accuse d’avoir ‘une idée étonnement primitive, simpliste, rudimentaire, de la spiritualité ! »
Notre inquisiteur se permet même de ranger Paul dans le camp du sectarisme
pour ses allusions à la sainte doctrine sur les anges.
Et voilà qu’en défendant le texte de Paul Jorion, on se fait insulter, y compris de stalinien.
Comme d’habitude, l’insulte informe sur son auteur…
Décidément, je préfère la spiritualité de Paul,
et celle que je partage avec tous les esprits ouverts et non prosélytes.
@Pablo 30 décembre 2010 à 01:18
Ah bon vous avez des garanties, sur ce que l’autre dit et bien entendu sur ce que vous dites…Quelle compagnie vous assure ?
Ça doit être dans le cadre de votre franchise que sincère votre interrogation à Charles A :
Je vous offre une lecture à défaut d’une assurance tous risques :
Des classiques du blog.
@ Charles A.
Toujours les mêmes problèmes de lecture, qui deviennent graves:
J’écris: « si sectarisme il y a (ce dont je ne suis pas sûr) ».
Vous traduisez: « Notre inquisiteur se permet même de ranger Paul dans le camp du sectarisme ».
J’écris: « Je me trompe si j’imagine que vous aimiez bien « le petit père des peuples » au moins dans votre jeunesse? » (donc, il s’agit d’une question à laquelle il suffit de répondre « non » si ce n’est pas le cas).
Vous traduisez: « Et voilà qu’en défendant le texte de Paul Jorion, on se fait insulter, y compris de stalinien. »
À part ça, ne vous inquiétez pas, vos efforts pour aller au Paradis seront récompensés, vous l’aurez bien mérité (Luc 23:42-43).
Pour le reste, vous commencez à me fatiguer sérieusement avec vos problèmes de lecture, de logique, d’égocentrisme (« se permettre de juger de la spiritualité de Paul ou la mienne ») et maintenant de paranoïa (« on se fait insulter »). Hier, après avoir parlé de votre idole Comte-Sponville, je vous avais demandé de m’oublier, de ne pas lire mes commentaires, de m’éviter ici. Je vous le redemande, Charles.
Merci d’avance.
(Ou alors répondez comme Rosebud1871 de façon totalement incompréhensible et avec un humour bien à lui qui ne donne aucune envie de lui répondre, et comme ça vous m’éviterez de perdre encore du temps à vous faire remarquer pour la 5e fois que vous avez des gros problèmes de lecture).
« Lorsque l’Homme aura réussi dans cette tâche, il sera devenu le moyen que la nature s’est donnée de créer le Dieu qui lui fit jusqu’ici tant défaut. »
Premier selon l’être, dernier selon la génération (Aristote, Métaphysique).
Je suppose qu’il faut prendre ce dernier renversement ,comme une conclusion humoristique.
Dieu n’existe pas ,inventons le.
Une sorte de retour à la case départ.
Tiré du 4ème de couverture de « Et l’homme créa les dieux » de Pascal Boyer.
Dieu comme marchepied. (Attention les déistes, j’ai pas dit paillasson ! Je vous laisse grande échelle, si vous y tenez…)
« Et l’empreinte de son chant est restée sans paroles ».
L’ Ange
Dans les cieux aux heures de minuit, un ange planait
Et il chantait un chant doux.
Et la lune, et les étoiles, et les nuages en foule
écoutaient la chanson divine.
Il chantait les extases des esprits immortels
À l’ombre des jardins du paradis…
Il chantait le Grand Dieu ; et sa louange
N’était pas feinte.
Dans son étreinte il portait une âme jeune
Au monde de tristesse et de pleurs,
Et l’empreinte de son chant est restée sans paroles
Dans l’âme jeune ! mais vivante.
Longtemps dans ce monde elle languit.
En proie au désir merveilleux.
Et les chansons ennuyeuses de la terre
Ne purent remplacer les sons célestes.
Mikhail LERMONTOV (1831)
@ Ando
Je donne toute l’oeuvre de Husserl, Heidegger, Sartre et autres Levinas pour ce seul vers de Lermontov (poète mort à 26 ans): « et l’empreinte de son chant est restée sans paroles ».
Comme en espagnol je donne toute l’histoire de la philosophie ibérique plus celle de sa théologie pour un seul vers, peut-être le plus beau de la littérature espagnole (hendécasyllabe au son parfait – accent en 6e syllabe – et au sens inépuisable) écrit par J.E.Cirlot (1916-1973), poète féru de mystique et d’ésotérisme: « sólo lo que es eterno está en la vida » (seul ce qui est éternel se trouve dans la vie).
« L’Homme a découvert par l’expérimentation que les êtres vivants sont déterminés dans leur anatomie et leur physiologie par un code inscrit au coeur de la cellule. »
C’est sans aucun doute la pensée dominante. Mais pas universelle.
« Le rôle du génome apparait finalement comme un dépôt « culturel » des modes de fabrication des substances nécessaires à la morphogénèse. Il n’est peut-être guère plus nécessaire à l’embryogénèse que ne l’est la consultation des livres de cuisine aux réalisations gastronomiques d’un grand chef (ou en tout cas guère plus que l’ensemble de ses fournisseurs…). » René Thom.
À ce propos, un documentaire à voir: « The Living Matrix – The Science of Healing » (2009)
Lisant ,M.Jorion j’ai pensé un certain temps qu’il était agnostique d’essence chrétienne.Non seulement il est athée,mais son athéisme est quasi-militant.Là je suis un peu étonné.De même que je n’ai pas compris son aversion pour les joggeuses à queue de cheval…
Il faudrait vérifier si par hasard ce genre d’aversion n’est pas le plus souvent couplé à l’athéisme.
Personnellement je n’ai pas ce genre de problème et il se trouve que je suis agnostique.
On avance.
@ Piotr
LOL !
Moi aussi j’ai cru que P.J. était agnostique et ouvert à la spiritualité. Mais il est peut-être trop philosophe pour ça, il croit trop aux mots, aux concepts, aux idées…
Pas du tout, c’est la raison qu’il vénère. Peut-être en Verlan?
En même temps, il a foi en la psychanalyse et doit savoir par exemple, que l’amour a des raisons que la raison ignore.
Oooh pour certains c’est vit penser, vit dit, vit fait.… Y s’font une raison quoi.
Parce que le terme de « nature » et celui d’ « Homme » au genre neutre, sont très présents dans le billet, j’étais amusé de lire quelques commentaires tels :
Michel Martin : la première fois de l’histoire que les femmes ne vont peut-être plus subir la domination masculine
Juan Nessy : Ma référence pour mesurer le « progrès » est plutôt la relation homme/femme , aussi extraordinaire que la relation homme /nature .
Lisztfr : je ne vois pas d’autre solution que de confier le sort politique de l’espèce aux femmes
etc…
Je viens de lire la préface à « Surveiller et jouir » de Gayle Rubin et ça m’a rappelé quelques commentaires…l’intérêt de cette longue préface est double : survoler une partie de 30 ans de travaux made in USA produits par des universitaires et de trans-percer les cloisons des spécialités…
« NOTRE AMIE GAYLE RUBIN… » Préface de David M. Halperin et Rostom Mesli
[ Gayle Rubin est une légende vivante des études sur la sexualité et de la queer theory. « Le Marché aux femmes », qu’elle écrivit lorsqu’elle était étudiante de premier cycle à l’Université du Michigan et qu’elle publia en 1975 lorsqu’elle y était doctorante, eut vite fait de devenir l’article d’anthropologie sociale le plus cité ; on considère qu’il a fondé les champs de la théorie féministe et des études de genre, et qu’il est à la base de tous les travaux ultérieurs sur la construction sociale du genre. En fait, Rubin semble avoir été la première anthropologue féministe à employer le mot de « gender » dans un texte imprimé. À « Penser le sexe », autre article qu’elle écrivit dix ans plus tard, on attribue la fondation des études sur la sexualité, des études gaies et lesbiennes, et de la queer theory. Les universités d’Amérique du Nord ont été le théâtre, ces dernières années, de plusieurs colloques destinés à célébrer les vingt-cinquièmes et trentièmes anniversaires de ces deux textes.
Par la suite, Rubin publia une série d’articles – dont beaucoup paraissent ici pour la première fois en traduction française – qui l’ont confirmée dans son statut de représentante la plus éminente de ce qu’elle a elle-même appelée « une théorie radicale de la politique de la sexualité ». Au cœur de cette théorie, l’idée que voici : ce qui, dans nos sociétés, passe pour la morale sexuelle dissimule l’opération sous-jacente d’un système illégitime de stratification sexuelle que l’on accepte sans l’interroger ; cette morale sexuelle recouvre une façon d’organiser la vie sexuelle en fonction d’une hiérarchie de privilèges et de prestige qui veut que certaines formes de comportement sexuel (hétérosexuel, monogame, dans le cadre du mariage, libre, gratuit, ayant lieu dans l’espace domestique, intra-générationnel, vanilla , génital, à deux, procréatif, sans sex toys, et sans usage de pornographie), soient approuvées et promues comme allant de soi, tandis que les autres, aussi bien que les personnes qui les pratiquent, sont considérées comme problématiques, mauvaises, inacceptables, et sont non seulement critiquées, mais aussi persécutées, pénalisées, et vouées à l’élimination au nom de l’hygiène morale et sociale.
Il n’y a, pourrait-on penser, pas grand-chose de radical dans cette perspective. Ce serait oublier qu’elle fut produite dans un temps où de nombreuses formes de comportement sexuel restaient pénalisées. D’ailleurs, jusqu’en 2003, année où la Cour Suprême des États-Unis déclara de telles lois contraires à la Constitution, l’État du Michigan a continué d’interdire tout rapport sexuel anal, oral, ou manuel entre deux personnes, quel que soit leur sexe, et considérait de tels actes comme des crimes passibles d’amendes et de peines qui pouvaient aller jusqu’à quinze années de prison ; et ces lois étaient parfois appliquées. La clarté et la rigueur de ses conférences comme de ses écrits ont fait de Rubin le principal porte-drapeau, dans le monde intellectuel, de la libération sexuelle « radicale » aux États-Unis.
Au cours des trois dernières décennies, Rubin s’est aussi consacrée à l’écriture d’une histoire, monumentale et minutieuse, de l’émergence et de la formation, aux États-Unis, d’une subculture sexuelle spécifique qui n’avait jamais été étudiée par un anthropologue de métier – à savoir les communautés gaies dites « cuir ». Ce travail est passé par la description et l’analyse des identités sociales (et pas seulement des pratiques sexuelles) produites par les homosexuels sadomasochistes. La tâche était de grande ampleur. En effet, au moment où Rubin commença son travail sur le sujet, les documents dont elle avait besoin pour étayer sa recherche n’existaient pas : elle dut constituer les archives mêmes sur lesquelles fonder son étude. Il lui fallut repérer, assembler, et dans une large mesure créer les sources les plus élémentaires nécessaires à son projet – ce qu’elle fit par la conduite d’innombrables interviews, la pratique de l’observation participante, et la mise au jour de matériaux supplémentaires, jusques là dispersés dans diverses archives et documents.
Cette tâche n’était pas seulement ardue : elle était aussi dangereuse. Non pas du tout parce que les communautés parmi lesquelles Rubin travaillait lui étaient hostiles, mais parce que le contexte politique plus large dans lequel elle a œuvré – la société étatsunienne en général, aussi bien que le mouvement féministe en particulier – s’opposaient parfois violemment à son approche, laquelle envisageait les différences de pratiques sexuelles d’un individu à l’autre comme de bénignes variations du comportement humain. Le sadomasochisme en général, et le sadomasochisme gai en particulier, étaient souvent vus comme des perversions, des formes d’agression, des exemples de fascisme érotique, des abominations morales, des atteintes à la dignité de la personne, des menaces contre le bien-être des femmes et des enfants, des facteurs de diffusion du SIDA, et des dangers pour l’humanité en général, aussi bien que pour la société américaine en particulier. Nombreuses étaient les militantes féministes qui considéraient Rubin comme l’ennemi – comme la représentante la plus importante, la plus puissante, et par conséquent la plus menaçante, d’une perspective qu’elles tenaient pour anti-féministe. Certaines estimaient que Rubin promouvait la violence contre les femmes. Pendant une bonne dizaine d’années au moins, depuis le début des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990, chaque déplacement de Rubin fut guetté et dénoncé par de nombreuses féministes qui tentaient de l’empêcher de s’exprimer publiquement, boycottaient les organisations qui l’invitaient, essayaient de la faire exclure des groupes de recherche auxquels elle appartenait et, souvent, usaient de la menace personnelle ; pour finir, elles réalisèrent des alliances stratégiques avec le Parti Républicain et l’extrême-droite pour s’opposer à l’éthique sexuelle défendue par Rubin.
La polémique n’a pourtant jamais vraiment cessé: dans The Professors, livre qu’il a publié en 2006, le journaliste et militant de droite David Horowitz compte Rubin parmi les « 101 universitaires les plus dangereux aux États-Unis ».
Dans son article pionnier de 1975 sur « Le Marché aux femmes » – il ouvre le présent recueil – Rubin proposait une théorie pour expliquer la subordination sociale des femmes aux hommes, dans « les variations infinies et la monotone similitude qu’elle revêt à travers les cultures et à travers l’histoire ». Elle situait les causes de l’oppression des femmes dans le système de parenté et dans la division genrée du travail, ainsi que dans les formations fantasmatiques et érotiques collectives qui soutiennent, reflètent, et reproduisent cette structuration des relations sociales. S’appuyant sur les travaux de Claude Lévi-Strauss et les utilisant dans une perspective féministe (ce qui n’était pas une mince affaire), Rubin remarquait que « les structures élémentaires de la parenté » produisent des asymétries de genre dans la mesure où elles imposent la circulation des femmes entre les hommes à travers l’institution du mariage – une institution dont la fonction consiste, dans de nombreuses sociétés, à lier des familles, des foyers, et des unités de parenté par le moyen des femmes données et reçues en mariage. Cette institution est plus connue sous le nom de tabou de l’inceste : Rubin (à la suite de Lévi-Strauss), a interprété le tabou de l’inceste, non comme une prohibition spécifiquement sexuelle, mais plutôt comme l’expression d’un impératif social plus fondamental : l’exogamie. C’est cette dernière qui interdit la consommation sexuelle des femmes à l’intérieur de la famille, et qui, à la place, exige que les femmes soient échangées – comme des mots et comme de l’argent – entre hommes de différents foyers ou différents groupes de parenté. (Le tabou de l’inceste aurait pu, en théorie, donner lieu à l’échange des hommes, au lieu de l’échange des femmes, mais ce n’est pas ce qui s’est produit – ce qui n’est qu’une autre façon de dire que c’est la domination masculine, non la domination féminine, qui est la règle dans les sociétés humaines). En bref, le tabou de l’inceste, les structures de parenté qui lui correspondent, et le marché aux femmes mariables qui en résulte, donnent aux hommes des droits sur les femmes, que les femmes n’ont ni sur les hommes, ni sur elles-mêmes (le droit, par exemple, de disposer de quelqu’un dans le mariage). Les hommes, dans ce système, sont des agents culturels – dans la mesure où ils échangent les femmes – tandis que les femmes sont des véhicules culturels, la marchandise qu’on échange. Ce système culturel asymétrique, cette division genrée entre les échangeurs et les échangées, a notamment pour effet un important degré de subordination des femmes aux hommes dans l’ordre social.
Le modèle théorique de Rubin, dont le raffinement et l’audace vont bien au-delà de ce qu’on peut en rendre ici, a l’avantage d’expliquer l’inégalité de genre dans des termes féministes. C’est-à-dire que Rubin traite l’inégalité de genre comme une forme de stratification sociale – ce qui permet de l’analyser en termes d’oppression politique. Cela peut sembler une idée toute simple, mais elle était révolutionnaire à l’époque – et elle conserve aujourd’hui encore une grande portée. Rubin, en effet, place l’origine de la domination masculine, non dans une nature présentée comme fixe ou inaltérable, ou dans une essence de la féminité ou de la masculinité, mais dans des modalités d’organisation sociale et dans des pratiques institutionnelles. Cette façon de concevoir le genre comme une catégorie sociale est, aujourd’hui encore, loin d’être universellement admise. Ainsi le modèle de Rubin reste-t-il politiquement progressiste dans la mesure où il défie les idéologies modernes qui présentent le genre comme une hiérarchie naturelle plutôt que comme une injustice sociale – idéologies qui sont elles-mêmes liées à des pratiques institutionnelles d’oppression de genre et qui fonctionnent également comme des éléments du dispositif d’oppression de genre, dans la mesure où elles font passer la domination masculine pour une donnée naturelle, indépassable, et non idéologique – qui, par conséquent, ne peut pas faire l’objet d’une critique politique.
Mais le modèle de Rubin est politiquement efficace en un autre sens : en constituant effectivement le genre en construction socio-culturelle, il vient légitimer le féminisme – conçu désormais comme champ de recherche interdisciplinaire dont l’objet principal est de mener l’analyse et la critique intellectuelles de la construction socio-culturelle du genre. Pour le dire autrement, le modèle de Rubin constitue un objet que le féminisme est fondé à revendiquer comme son domaine de recherche propre. Et plus encore, en formulant l’idée d’un « système sexe-genre », et en proposant que l’on envisage ce système comme tout aussi fondamental à l’organisation des sociétés humaines que le « système politique » ou le « système économique », Rubin a inventé les nouvelles études sur le genre et la sexualité, en même temps qu’elle en a délimité l’objet. C’est en ce sens que l’on a souvent dit que Rubin avait fourni un fondement théorique à la théorie féministe, aux études sur le genre et sur la sexualité. Il serait probablement plus exact de dire que Rubin a inventé le champ, plus large et aux contours moins aisés à délimiter, qui sous-tend nombre de ces disciplines : à savoir l’économie politique du sexe.
Une autre réussite du « Marché aux femmes » a consisté à donner, d’un phénomène universel, une analyse constructionniste sociale. L’article, en effet, examina une structure sociale – la domination masculine, la subordination des femmes – observée dans la plupart des sociétés humaines, sinon toutes, et fournit une façon de la comprendre qui ne l’essentialisait pas, qui ne l’attribuait pas à la nature, qui refusait de la considérer comme un destin humain sur lequel on n’aurait aucune prise, ou comme une « nécessité de la culture », pour la seule raison que la vie humaine aurait toujours, ou presque toujours, reposé sur cette structure. Autrement dit, comme les psychologues évolutionnistes, Rubin interprétait la vie sociale contemporaine comme le produit d’une configuration du sexe et du genre qui, « dans un obscur passé humain », « organisait la société », mais qui a depuis perdu nombre de ces fonctions. À la différence des psychologues évolutionnistes, cependant, Rubin ne pensait pas que les relations qui lient les femmes et les hommes de nos jours soient la conséquence inéluctable d’une subjectivité figée, ancrée dans une domination masculine de souche préhistorique. Si l’inégalité de genre, quelque généralisée qu’elle soit, était le résultat d’arrangements sociaux archaïques de moins en moins justifiés, elle pouvait faire l’objet de contestation sociale. À la fin de son article, Rubin appelait en effet à une « révolution de la parenté ». La révolution n’eut pas lieu, mais même les plus petits pas faits dans cette direction ont eu des conséquences importantes, donnant en ce sens raison à Rubin lorsqu’elle entrevoyait les larges effets sociaux qu’auraient des changements dans les structures de la famille et de la parenté.
Rubin ne se satisfit pas longtemps des formulations contenues dans son article, vite devenu un classique. Elle y revint dix ans plus tard, dans « Penser le sexe », où elle introduisit une deuxième innovation capitale. Dans ce nouvel article, elle se proposait de contester l’idée que « le féminisme est ou doit être le lieu privilégié d’élaboration d’une théorie de la sexualité ». « Le féminisme, y écrit-elle, est la théorie de l’oppression de genre », et s’il est vrai que « le féminisme sera toujours une source de réflexion passionnante sur le sexe », Rubin considérait qu’il n’avait, ni ne devait avoir le monopole de la question. Au contraire, « bien que le sexe et le genre soient reliés, ils ne sont pas la même chose, et ils forment le fondement de deux aires différentes d’interaction sociale ».
Rubin présentait cette idée comme une critique directe de ce que, dix ans plus tôt, dans « Le Marché aux femmes », elle avait baptisé le « système sexe-genre » : « Par opposition à ma perspective dans “Le Marché aux femmes”, je soutiens aujourd’hui qu’il est essentiel de séparer analytiquement le genre et la sexualité pour mieux refléter leur existence sociale séparée ». La sexualité, selon Rubin, était liée au genre, mais elle n’était pas « un produit dérivé du genre ». Il fallait en faire l’étude et la critique de façon autonome. Cette position conduisit au développement et à la consolidation des études gaies et lesbiennes, et c’est l’analyse politique que fit Rubin de la mise en œuvre des normes sexuelles qui, plus tard, servit de fondement à la queer theory. La préface du Lesbian and Gay Studies Reader, le premier manuel universitaire dans ce champ, publié en 1993 – et qui était justement ouvert par « Penser le sexe » – témoigne clairement de l’importance du travail de Rubin : « Ce que les études gaies et lesbiennes font dans le domaine du sexe et de la sexualité correspond à peu près, écrivent les directeurs du volume, à ce que les études féministes font dans le domaine du genre. » « Les études gaies et lesbiennes cherchent à poser la centralité analytique du sexe et de la sexualité à l’intérieur de différents champs de recherche ». Ces formules ne sont quasiment rien d’autre que des paraphrases de Rubin. On ne saurait mieux reconnaître son impact sur la façon dont les études gaies et lesbiennes formulèrent leur objet.
Rubin est toutefois la première à nier avoir fondé quoi que ce soit. L’importance de ses travaux n’a d’égal que la modestie personnelle et intellectuelle avec laquelle elle en parle. Elle a d’ailleurs récemment appelé à adopter un « éthos de l’humilité » pour tempérer les prétentions démesurées de certains chercheurs féministes ou queers qui s’imaginent parfois être sur le point de changer la face du monde avec deux ou trois théories dont, souvent, l’originalité et la portée sont bien plus modestes qu’ils ne voudraient le croire. Rubin n’a eu de cesse, au cours des dernières années, de resituer son travail dans les courants intellectuels et politiques de son temps ; elle a constamment rappelé les nombreuses personnes, les nombreuses idées, et les événements qui ont contribué à former sa pensée. Elle cherche ainsi à rappeler qu’il n’y a de pensée et de politique progressistes que collectives – ce qu’à trop insister sur le rôle de quelques « grandes femmes », l’on risque de perdre de vue ; elle cherche aussi à sauver de l’oubli d’obscurs mouvements qui ne sont peut-être plus très chics, mais qui ont encore quelque chose à nous apprendre. Rubin, bien sûr, n’a pas tout à fait tort quand elle dit qu’elle n’était pas aussi originale qu’on l’a parfois prétendu, notamment parce qu’on avait oublié les traditions intellectuelles et politiques qui ont formé sa pensée. Il n’en reste pas moins vrai que les articles rassemblés dans ce volume donnent une idée très claire du rôle crucial qu’elle a joué, à titre personnel, par ses travaux et ses contributions conceptuelles et théoriques, dans la formation du paysage intellectuel qui est aujourd’hui le nôtre.
Dans ses travaux ultérieurs, Rubin s’empara du sadomasochisme consensuel, qu’elle défendit contre les attaques venues de la droite aussi bien que de la gauche. Elle critiqua les travaux des féministes anti-porno et fut, par voie de conséquence, associée à la gauche pro-sexe du mouvement – même si Rubin est la première à rejeter toute tentative de réduire les luttes politiques des dernières décennies à un affrontement qui opposerait des féministes « pro-sexe » et « anti-sexe ». À y regarder de plus près, il est quelque peu impropre de qualifier de « pro-sexe » la position de Rubin : celle-ci, en effet, n’a jamais nié l’existence, dans la sphère du sexe, de mécanismes de domination sociale – et de domination des femmes notamment. Rubin contestait, en revanche, l’idée que le sexe soit par nature anti-féministe, et plus encore l’idée que c’est du sexe ou de la pornographie que (comme certaines intellectuelles l’écrivirent) découle l’oppression des femmes. En ce sens, Rubin a pu dire, parfois, qu’elle n’était pas tant « pro-sexe » que « anti-anti-sexe ».
Pour comprendre les travaux de Rubin sur la subculture sadomasochiste gaie, il importe d’avoir à l’esprit le contexte historique dans lequel elle a entrepris cette partie de son travail. En 1978, elle quitta le Michigan pour s’installer à San Francisco afin d’y mener ses recherches sur les homosexuels sadomasochistes. À peine trois ans plus tard, la communauté qu’elle étudiait commença à être ravagée, comme toutes les communautés homosexuelles urbaines, par ce qui allait bientôt s’appeler le SIDA. Dans le cas de San Francisco, comme le montre l’« Élégie pour la Vallée des rois », un autre facteur venait achever de mettre en péril l’existence même de la communauté cuir : en même temps que celle-ci enterrait ses morts, elle voyait ses institutions disparaître les unes après les autres, victimes des politiques de renouvellement urbain menées par la municipalité sous la pression de grands intérêts financiers. Ces politiques, qui lorgnaient directement sur le quartier cuir et qui vinrent ajouter leurs effets à la dévastation semée par le SIDA, mettaient en péril l’existence même de la communauté cuir locale. En effet, si l’on pouvait espérer que l’épidémie de SIDA s’arrête un jour, il y avait tout lieu de penser en revanche que ces changements opérés par le renouvellement urbain seraient irréversibles. Ce contexte explique le ton élégiaque si particulier des articles de Rubin sur le cuir. Mais il explique peut-être aussi, en partie du moins, le changement sensible qui s’opère dans le travail de Rubin dans les années 1990.
À partir de 1991 et de son article sur « Les Catacombes » en particulier, Rubin sembla s’éloigner de l’anthropologie générale qui avait caractérisé ses premiers travaux, pour se consacrer de plus en plus à l’ethnographie d’espaces plus circonscrits et à l’étude de subcultures sexuelles : elle écrivit désormais sur tel bar, tel club, tel petit segment de rue, tel quartier. Ce changement présente une dimension sentimentale évidente. On aurait tort, cependant, de l’y réduire, ou de ne pas en saisir les implications politiques aussi bien qu’épistémologiques. Sur le plan politique, il s’agissait d’abord d’affirmer publiquement ce que beaucoup auraient aimé ne pas voir : la disparition de la communauté cuir n’était pas un événement trivial ou négligeable ; ce n’était pas non plus un heureux retour à l’ordre que les excès supposés des années 1970 avaient rendu inévitable. Pour Rubin, au contraire, la disparition de la communauté cuir était d’abord le signe d’une réorganisation néolibérale du capitalisme et de ses structures urbaines ; et c’était aussi, bien sûr, une tragédie personnelle et politique majeure pour de nombreuses personnes. Dans ce contexte, il importait au plus haut point de conserver la mémoire de la communauté. En même temps qu’elle fut témoin de la disparition de son « terrain », Rubin prit une conscience aiguë du fait qu’il n’existait quasiment aucune institution chargée d’en recueillir l’histoire et d’en conserver les traces. Les articles (et l’appartement…) de Rubin devinrent ainsi les archives mêmes dont était privée la communauté cuir.
Mais ce tournant recouvre aussi des enjeux épistémologiques très importants. Il s’agit d’abord de lutter contre la marginalisation des sciences sociales au sein des études gaies et lesbiennes : c’est là l’enjeu d’« Étudier les subcultures sexuelles ». Alors qu’en France, c’est d’abord dans les départements de sciences humaines que se sont développés les travaux sur le genre et la sexualité, tandis que les départements de lettres ou de philosophie se montraient plus conservateurs, c’est l’exact inverse qui s’est produit aux États-Unis. À partir de 1985 en particulier, avec le développement de la queer theory, c’est principalement dans les Humanities que les travaux gais et lesbiens se sont produits – notamment parce que c’était de là qu’étaient venus les premiers grands travaux théoriques, et c’était donc vers ces départements que les étudiants avaient intérêt à se diriger. Rubin ne méconnaît certes pas l’importance de la philosophie ou de la critique littéraire. Elle affirme en revanche que ces disciplines réalisent quelque chose de très différent de ce que font les sciences sociales et que les unes ne sauraient remplacer les autres.
Il y a là plus qu’une querelle de disciplines. Au-delà de la marginalisation des sciences sociales, et de façon plus fondamentale, Rubin cherche à lutter contre le désintérêt croissant manifesté, au nom du prestige de la Théorie, à l’égard du matériau social lui-même. En conséquence, une large part de son travail va désormais consister à mettre ce matériau au premier plan, tandis que les cadres théoriques dans lesquelles Rubin inscrit son travail se font plus implicites. Il importe de toujours se laisser guider par une observation aussi exacte et critique que possible des faits empiriques, car cette observation, et elle seule, peut fournir à l’élaboration théorique le substrat solide qui en garantit la pertinence. N’en concluons pas que l’armature théorique devient plus lâche : dans les articles les plus récents de Rubin, la puissance théorique de ses premiers travaux a tout sauf disparu. Et il n’est guère difficile de déceler, derrière la simplicité apparente du propos, la rigueur et l’inventivité du cadre théorique.
Le travail qui occupe Rubin aujourd’hui, qui consiste à retracer l’histoire des communautés cuir homosexuelles masculines de San Francisco, se situe à la confluence de plusieurs champs et thèmes : l’urbanisme et la géographie urbaine, l’économie politique, les théories de l’espace, la désindustrialisation et les sociétés post-industrielles, l’anthropologie des groupes contestataires, la sexologie et l’histoire de la psychologie sexuelle, la post-modernité, la sociologie de la déviance, l’archéologie urbaine et l’ethnographie. Les articles ici rassemblés reflètent la façon qu’a Rubin de toucher à chacun de ces domaines, et témoignent de la variété des implications thématiques et méthodologiques de son projet.
La publication de ce volume est un événement heureux. Le travail de Rubin n’a pas été totalement ignoré en France, mais il y est resté méconnu. Et pourtant, Rubin elle-même n’est pas sans lien avec la culture française. En 1976, elle écrivit une introduction pour la traduction américaine du roman de Renée Vivien, Une femme m’apparut. Au début des années 1970, c’est-à-dire à une époque où Jacques Lacan restait encore assez peu connu aux États-Unis, elle assista à une séance de son séminaire ; elle fut aussi la première théoricienne du genre et de la sexualité à accorder au travail de Lacan une place prépondérante. Quand Michel Foucault se rendit à San Francisco à la fin des années 1970, il prit contact avec Gayle Rubin qui s’était présentée à lui quelques années plus tôt à la Bibliothèque Nationale. Dans sa découverte de la vie homosexuelle san franciscaine, et de la subculture sadomasochiste, Foucault bénéficia grandement de la connaissance qu’avait Rubin de la ville. Foucault reconnut d’ailleurs sa dette à la fois personnelle et épistémologique dans une interview où il évoque « notre amie Gayle Rubin » . La parution du présent recueil va enfin permettre aux lecteurs français de relire les réflexions que livre Foucault, dans les interviews de ses dernières années, sur la politique et sur l’éthique du sadomasochisme homosexuel masculin , à la lumière des écrits si marquants de Rubin sur le même sujet et à la même époque – et de goûter quelque chose de la saveur électrique de ces années enivrantes qui produisirent les pensées les plus audacieuses de notre temps sur le sexe, l’éthique et la politique, élaborées par des individus qui faisaient collectivement l’expérience physique et intellectuelle des limites des possibilités humaines. ]
bonjour Rosebud.
merci pour votre message. Il me parait tout à fait digne d’intéret.
Toute reflexion est digne d’intéret, toute théorie bonne ou mauvaise se doit d’être comprise.
Cependant comme tout model, il convient ensuite de le mettre sur terre et d’observer les résultats à court et long terme.
je crois que la lecture de Nietzsche peut être utile à comprendre ce qu’est le flux vital et l’energie . En effet toute la philosophie très christique de ce penseur, à mon avis très profond et fort peu naîf, correspond à la critique de la chair à l’instard de celle de la raison par Kant.
Regardons le passé et le futur d’un groupe homosexuel et vérifions si ce groupe possède un être propre ou si ce groupe ne fait que lutter contre un groupe dont il dépend. Cela rejoint le questionnement de la sur nature et du sur homme.
Au plaisir de vous lire attentivement et lentement.
Ps:Attention à bien différencier les niveaux de normalité.
Pour la grâce de Dieu, pas la foi…
La psychalyse n’est pas pour lui un récit religieux de plus…
@ Piotr
Foi en la psychanalyse mais pas en celle de Jung, lequel n’avait aucune foi en celle de Freud.
Au fond tout est une histoire de foi: on croit qu’il y a quelque chose qui nous dépasse (parce qu’on le sent au plus profond de soi-même ou parce qu’on a fait certaines expériences qui tendent à le prouver) ou on se croit à soi-même en pensant qu’il n’y a rien.
La grande différence entre ces deux fois c’est que la Beauté est du côté de la première.
Hilarion Alfeyev: St Matthew Passion. No 1
http://www.youtube.com/watch?v=bsUbmCoMP1Y
Hélas NON.
Freud (oncle de Berney le créateur de la propagande civile appelée aujourd’hui « marketing ») a tout fait pour évincer Jung.
A la lecture de l’un et de l’autre on prend vite conscience de la « facilité » de l’un aux « subtilités » profondes de l’autre.
L’un est plus vendeur tout simplement.
@ tilton
Chuuuut… !
En 33 et jusqu’en 40, Jung était très vendeur et bien en cour chez ses voisins germaniques, parait-il…
Point de vue – d’un freudien, me direz-vous ? certes, néanmoins pertinent – de Dominique Bourdin (La Psychanalyse, de Freud à aujourd’hui) en 2007 sur « le bon père Jung » :
Au préalable, le progrès est à mes yeux la poussière qui aveugle ceux de mes congénères.
Quant à Dieu, si celui-ci se réduit à une chimère, à rien ou à un fétu de paille, qui pour autant, aide l’homme à être (soi-disant) Maître de la nature en la dépassant (de combien de mètres?), tout ceci est bien paradoxal… Ce qui est préoccupant pour un rationnaliste. A moins que manger la queue du serpent, quand on est homme, ça rend plus intelligent?
Enfin le syllogisme. En aucun cas pour moi le syllogisme est source de savoir. C’est seulement un raisonnement qui permet à la Loi d’avoir Force. Si l’on prend le théorème de Pythagore, le syllogisme permettra à l’architecte de prendre les mesures nécessaires pour obtenir un angle droit.
Pythagore a tiré sa Loi de l’expérience. Il se trouve en effet que son théroème (les carrés de la longueur des côtés de l’angle droit du triangle rectangle…) est tiré de la découverte des égyptiens qu’un triangle dont les côés sont l’un de trois unités, l’autre de quatre, permet d’obtenir un angle droit. Par abstraction, Pythagore en a tiré le théorème.
Mais l’abstraction ne découle pas nécessairement de l’expérience: les égalités remaquables en mathématiques, (a+b)² par exemple, proviennent de nul part autour de nous…
Le syllogisme est un raisonnement qui n’est bon que si la Loi à laquelle il s’applique est Juste.
Quant à l’intuition, même si ça relève de la conscience, ça n’est pas raisonnement.
PS: Très beau texte de GIONO cité ci-dessus par FUJISAN, et un enchantement de lire Jacques LAROCHE ainsi que PABLO 75. DISSONNANCE, SYLLA, MOI, sont également des sources à revigorer la flamme, en tout cas la mienne.
« le moyen que la nature s’est donnée de créer le Dieu qui lui fit jusqu’ici tant défaut », c’est le Surhumain. Encore heureux !
« Il reste cependant à éliminer de nos sociétés le règne de la nature non–domestiquée en son sein telle qu’il s’exerce encore dans la sphère économique et celles autour d’elle qu’elle parvient à contaminer. » : oui. L’économie est la manière dont nous nous sommes organisés en société. « Les frayeurs qui avaient conduit l’Homme à croire aux dieux » sont les mêmes qu’il a voulu fuir en entrant en société. Ces peurs se retrouvent logiquement dans l’économie.
« L’Homme est la conscience de la nature » : il n’en a pas conscience.
Cette lutte vaut quand même mieux que d’autres !
«Les frayeurs qui avaient conduit l’Homme à croire aux dieux » sont les mêmes qu’il a voulu fuir en entrant en société. »
Et pourtant la société existe… 😉
Autrement dit: ce n’est pas parce que l’homme découvre l’Au-delà à cause ou grâce à ses frayeurs que l’Au-delà n’existe pas. Avec cet mauvais argument on peut aussi « descendre » la philosophie.
C’est quand les gens se cassent la g… dans la vie qu’ils découvrent l’Essentiel. C’est pour ça d’ailleurs que souvent « les rues glissent »…
Le seul problème métaphysique digne de ce nom: le Mal (ou « les frayeurs »).
« Au fond, deux notions antinomiques nous agitent plus que tout: la vie et la mort, le bien et le mal. Tout s’ordonne autour d’elles, toute la philosophie accessible à l’homme. Pourquoi est-ce ainsi? Sans doute parce que ces deux notions contiennent l’essentiel de notre existence. Le sens et le secret du principe de notre mouvement. (…) L’existence humaine exige un constant effort moral dans l’accomplissement du bien, pour que chaque vie se réalise et contribue en même temps à l’évolution de l’humanité tout entière.
La notion du bien et du mal (et le conflit entre eux) est aussi nécessaire à la vie éternelle que la différence de potentiels à l’apparition de l’électricité, ou que la différence de pressions atmosphériques à la naissance du vent. C’est pourquoi la lutte du bien et du mal subsistera tant que l’homme vivra sur cette terre. L’homme doit naviguer et aller s’amarrer à l’autre rive d’un océan. L’eau marine, c’est le mal; la barque et les avirons, le bien. Rame de toutes tes forces et tu arriveras à bon port! Lâche les avirons et tu sombreras! »
(A.Tarkovski. Journal 1970-1986)
pablo75,
Et la croyance aussi… 🙂
Relisez le fond.
J’ai lu et relu votre billet qui a beaucoup interrogé et occupé quelque peu les réflexions d’un novice comme moi en philosophie.
Le texte m’a semblé quelque peu complexe mais j’y perçois cependant du pratico-pratique et surtout des aspects majeurs qui engagent l’avenir de notre modeste humanité.
Ma première réaction fut : qu’en pensent Hubert Reeves et ses pairs, qu’en pensent nos biologistes comme « le bourlingueur de la science » Didier Raoult (voir article du Monde du 19/11 et son interview dans la tête au carré).
Je vous livre les derniers articles qui m’ont interpellé et qui sont plus ou moins en rapport avec ce sujet.
Le Monde diplomatique de décembre 2010 « Qui expertisera les scientifiques ? »
Les sachants seuls, les différentes associations & ONG, un bon équilibre des 2 ?
Opposer aux experts d’autres savoirs, faire participer les citoyens, refuser les pressions des lobbies industriels.
« Une expertise au service des citoyens nécessite, en amont comme en aval, une vigilance soutenue vis-à-vis des groupes d’intérêt ». Ne pas être juge et parti.
Ma conclusion par rapport à mes expériences terrain en matière de sécurité dans le domaine informatique : on est dans une problématique classique d’analyse des risques et où le pragmatisme doit étouffer les idéologies.
http://www.monde-diplomatique.fr/2010/12/TESTART/19928
Et aussi dans le Monde diplo « Anti-Lumières de tous les pays…. »
Lumière ou obscurantisme ? Dieu résoudra tout !!!
Loin des théoriciens néo-conservateurs que l’on retrouve dans la droite US, israélienne, chez les islamistes, totalement opposés aux Lumières et pour qui la Révolution française est un phénomène diabolique !
« Les hommes ont besoin du sacré et besoin d’obéir »
Conclusion de l’article :
« Malgré l’expérience désastreuse du XX° siècle, l’affrontement entre les 2 traditions politiques se poursuit »
« La défense de l’universalisme et du rationalisme reste aujourd’hui une tâche urgente et complexe, à la mesure de ses enjeux : maintenir ce qui fonde une nation composée de citoyens autonomes »
http://www.monde-diplomatique.fr/2010/12/STERNHELL/19952
Pour terminer, une annonce récente d’un progrès en cours et qui devrait révolutionner nos rapports avec la médecine à travers le domaine de la bio-informatique.
Article du Monde du 28/12 » Génome en poche »
Nous disposerons donc de notre génome sur notre smartphone après avoir tout simplement craché non pas dans la soupe mais dans un sachet et dont le contenu sera disséqué pour bientôt une centaine d’euros.
Epoustouflant, une innovation française qui sera mise au point aux USA car rejeté en France pour cause de bio-éthique.
« La médecine est sur le point de basculer dans un nouveau monde, affirme M. Merel, celui du diagnostic moléculaire in vitro et in silico. »
On n’arrête pas le progrès.
Mes quelques pistes pour un avenir plus clément :
Respect des droits de l’homme, éducation non dogmatique pour tous, Culture, avancer ensemble, moins d’inégalités, respect de la nature, partage des ressources et des innovations, ……
Compassion, altruisme, générosité, respect, tolérance, modestie, …….
Le minimum vital pour chacun au moins, pas d’individualisme effréné, fin du néo-libéralisme sauvage et du capitalisme débridé et stérile
Sus aux prédateurs et parasites de tous ordres.
==> s’inspirer de la civilisation grecque, du Nouveau Testament, du Siècle des Lumières et pas des usurpateurs rétrogrades. Avancer ensemble et non régresser.
Ou alors revenir à l’age des huttes, zut ?
Monsieur Jorion, vous devriez jeter un œil sur cet article de Pour la science, « Persuader de son savoir sans le transmettre », qui dit en substance :
S’il est facile de vérifier, il est donc facile de contredire un texte, surtout s’il est aussi bien construit que votre billet. (Il a dû vous coûter pas mal de temps, non ? C’est en tout cas l’impression qu’il m’a laissé.) Donc, pour ne plus être contredit par les crapauds qui traînent sur votre blog, évitez de vous exprimer avec trop de clarté, et optez sans hésitation pour le célèbre « côté obscur ». 🙂
Beaucoup de temps ? mais dans du multitâche : sous la douche essentiellement.
Alors faudrait voir à frotter un peu plus fort derrière les oreilles patron ! ….
J’ai aimé ce texte que je ne connaissais pas. Je viens de le lire une seconde fois. Je suis d’accord avec votre démonstration quant aux effets subversifs et créatifs de l’Homme sur la nature. Mais tout cet exposé ne semble être que le fondement par lequel vous voulez prouver en conclusion que l’économie capitaliste est un anachronisme néfaste.
Or, bien qu’affectivement enclin à partager votre point de vue, il a réveillé en moi cette question dérangeante : la compétition n’est-elle qu’une prédation destructrice ? la compétition n’est-elle pas aussi le ressort d’une émulation créatrice qui a décuplé la vitesse à laquelle l’Homme a subvertit la nature… en bien et en mal ?
Au delà de cette question qui n’est pas moindre à mes yeux, il y a je pense un autre écueil à votre raisonnement au sens où il est très ethnocentrique. Je ne suis pas suffisamment instruit en ces matières, mais je m’interroge sur la possible existence de sociétés humaines dont l’histoire contredirait pour partie vos thèses ? En tout cas, merci pour tout, et pour ce moment d’introspection.
Donc l’homme serait cet élément cosmique enfin capable de s’affranchir du « déni de l’hostilité de la nature envers lui », de balayer d’un revers de pensée sa propre moisissure à la surface de la planète pour devenir l’agent qui fait échapper cette même planète à son propre destin naturel, enfin dépassé, enfin surpassé
Surpassé vers quel avenir? Il me vient parfois des nostalgie, des regrets de ne pouvoir rejoindre cette héroïne de Cosmicomics d’Italo Calvino qui décide de son retour dans l’océan primitif vers les poissons nos ancêtres.
Mais bon, je suis là, avec mes provisions bien au frais dans le réfrigérateur, ma machine à laver, mon automobile, et l’accès Internet qui me propulse immédiatement aux antipodes.
Cet ultra-capitalisme insinueux et foudroyant, cette économie non encore domestiquée que nous alimentons de nos désirs souvent fourvoyés, sont-ils de la même nature que l’arbre ou le chat qui dort sa vie sur le canapé ?.
« Au sein de l’économie donc l’empreinte de l’homme n’est pas encore visible et la nature y agit sous sa forme brute et brutale. L’économie reste encore à domestiquer » C’est là où je bronche. Je n’arrive pas à situer cette économie ravageuse dans le cours naturel de l’histoire, sinon par la constatation d’une perversion innée du développement humain.
Je frémis, je préfère croire et balbutier ici, aux côtés des éminents spécialistes dont je m’efforce de grignoter ou d’avaler les écrits, que la domestication devrait plutôt s’appliquer à l’homme enfin mis en mesure de balayer pour de bon ses propres élucubrations sources de dévastation de la nature primordiale et qui sait d’anéantissement..
.
Bonjour,
L’expression « domestiquer l’économie » me fait penser aux quelques grandes mutations qu’a connues l’activité humaine au cours des âges, et me conduit à proposer à votre critique la vison suivante :
– Le néolithique a inventé la domestication de la faune et de la flore, avec pour résultat, comme le montre Jared Diamond dans Guns, Germs and Steel, que l’homme a vécu moins bien : plus malade (du fait de la cohabitation avec le bétail et de l’appauvrissement de la diversité de son alimentation), plus agressif (du fait de l’accumulation de biens), au final avec moins de temps libre. La seule conséquence (ou est-ce une cause) « positive » a été l’accroissement de la population, par accroissement du nombre
d’enfants par femme (par une moindre euthanasie des bébés?)
– L’accroissement de la taille des groupes humains semble d’ailleurs chez Diamond la variable clé d’une sélection naturelle s’exerçant au niveau des groupes humains: les groupes les plus nombreux accumulent de plus en plus d’inventions qui accroissent leur efficacité par rapport aux autres groupes.
– Les Grecs ont développé l’usage de la monnaie, qui avait été inventée par les phéniciens. Dans le même temps, leur centre d’intérêt est passé de la politique (la gestion des conflits dans la cité) à des préoccupations plus individuelles, plus intéressées : de l’accumulation de biens concrets et hétérogènes, on est passé, grâce à la monnaie, à l’accumulation d’une valeur virtuelle homgène.
– Selon Aldo Schiavone (L’histoire brisée), ni les Grecs ni les Romains n’avaient dégagé la notion d’économie, dans la mesure où l’économie productive, qui reposait largement sur l’esclavage, était quasiment refoulée dans une sorte d’inconscient collectif, dans le cadre d’un mépris du travail « servile ».
– L’Empire Romain s’est effondré sous sa taille : limite du principe de l’avantage sélectif au groupe le plus nombreux ? Toujours est-il que ce fut un effondrement cataclysmique. Aux villes prospères et à l’espace organisée de l’Empire Romain succédèrent des villes fantômes et un espace chaotique.
– A la sortie de la période obscure du Moyen Age européen, dans lequel le servage avait remplacé l’esclavage, avec la Révolution industrielle apparaissent concomitamment (sans que nous en ayons je crois d’explication de type causal) 1)une attitude plus positive vis-à-vis du travail productif, 2) la transition de l’esclavage/servage au marché du travail, 3)la prise de conscience de l’économie comme une activité humaine en soi, autonome;
– Avec la Grande Transformation de Polyiani, l’économie devient l’activité dominante, la marchandisation envahit progressivement l’ensemble des activités humaines .
– Depuis les origines, l’homme multiplie les inventions, organise sa perception du réel, invente des artefacts de plus en plus abstraits (dont le langage, l’écriture, la monnaie, sont sans doute les plus beaux exemples), et des moyens de déplacement et de communication de plus en plus rapides (le cheval, l’imprimerie, internet …) et de domestication de l’énergie (du feu aux centrales nucléaires, qui demandent une organisation du contrôle de plus en plus sophistiquée et donc d’un certain point de vue de plus en plus vulnérable).
– L’une des conséquences de cet accroissement de la vitesse est l’accélération de l’histoire, et la progression du court-termisme.
– Les inventions sont bien sûr le fruit de la créativité humaine, mais leur succès, c’est à dire leur utilisation, correspond rarement à l’intention de l’inventeur. Diamond montre par exemple comment l’invention de la roue a révolutionné les civilisations où existait le cheval, mais est restée sans effet là où celui-ci n’existait pas. L’élevage selon certains anthropologues aurait été inventé pour fournir non pas de l’alimentation, mais des victimes pour les sacrifices.
En synthèse, le progrès apparaît plutôt comme un processus aléatoire, à l’image de l’apprenti sorcier, la sélection résultant non pas de l’intention humaine mais de l’environnement. Ce n’est que par des rationalisations a posteriori qu’il est satisfaisant pour l’esprit de parler de « domestication ».
La crise financière et la montée du court-termisme ne sont-ils pas de bons exemples de cette course d’apprentis-sorciers : il n’ y a ni complot organisé ni maîtrise des évènements, mais une course dans laquelle certains tirent quelques marrons du feu.
Si ‘on reprend l’exemple de Diamond, notre qualité de vie n’a, peut-être bien, pas cessé de se dégrader. Les seuls « progrès » concrets, c’est la taille du village planétaire actuel, supérieure à celle des tribus, des chefferies, des royaumes, des empires, et la vitesse. L’individualisme est sans doute la contrepartie de l’anonymat croissant des groupes humains résultant de leur taille.
Le progrès dans tout cela apparaît plutôt comme notre capacité d’adaptation à un milieu dont la logique nous échappe, et dont la complexité croissante cumule la taille du groupe humain, notre accumulation d’inventions dans tous les domaines (matériel et organisationnel), les nouvelles contraintes qui se font jour, voire si l’on en croit Julian Jaynes, l’interconnexion croissante de notre cerveau.
A partir d’une telle vision…il vaut sans doute mieux imaginer Sisyphe heureux (et régulateur) que le contraire ?
Vous dites:
Et oui et que faites vous de :ceci
Nous ne connaissons rien de la nature sinon le fait que nous en sommes dépendant et que tôt ou tard si nous n’y prenons garde, elle va se rebeller et bonjour les dégats.
Si le méthane s’y met pour le réchauffement climatique, au revoir l’humanité.
Quand je dis « rien », c’est bien entendu en rapport avec que veut bien nous divulger le système qui nous supplante, à nous d’explorer d’autres voies si nous en avons la volonté.
Vous dites également ceci
Et oui, mais comment est-on y arrivé?
Avec de l’énergie que la nature a mis des millions d’années à mettre de côté ( Bonne année Jducac)
Sans l’ère industrielle et sa croissance exponentielle d’énergie ce n’est pas possible.
@ michel lambotte dit : 4 janvier 2011 à 23:10
Merci à vous Michel Lambotte, merci aussi à Crapaud Rouge qui a posté hier et a fait ressortir ce grand billet de Paul Jorion que j’avais laissé passer. Bonne année à tous.
C’est vrai que l’énergie m’apparait jouer un grand rôle. Elle me préoccupe au point de me faire souvent parler d’elle et ainsi, vous amène à penser à mon pseudo quand vous l’évoquez. Bien évidemment il n’y a pas qu’elle qui compte mais sans elle pas de vie et sans vie que reste-t-il ?
Les religions que PJ aborde dans son billet, ont résolu le problème en imaginant une vie après la mort, sous une autre forme, essentiellement spirituelle ou sous forme d’une réincarnation.
Le site vers lequel vous nous renvoyez montre que certains travaillent sur des pistes du même ordre. Ils visent à montrer qu’il n’est pas impossible qu’il existe quelque chose là où il nous est matériellement impossible de le prouver. Cela rejoint un peu les mystères de la médecine homéopathique et de l’effet placébo. Cela fonctionnerait même chez les animaux pourtant maintenus dans l’ignorance des traitements qu’on leur fait subir en incorporant des doses homéopathiques de médicaments dans leur alimentation.
L’hypnose parfois utilisée pour éviter la douleur lors de certaines interventions chirurgicales est un peu à ranger dans la même catégorie.
Quand on voit s’épuiser nos stocks d’énergie non renouvelable et de métaux, on peut se demander ce que l’humanité va bien pouvoir faire pour poursuivre son aventure si elle n’arrive pas à développer une nouvelle forme d’énergie abondante.
La solution consistant à s’éloigner du matérialisme est-elle viable ?
Une population de 7 milliards d’individus, qui s’est gavée jusqu’à l’écoeurement de matériel, tout en s’éloignant du spirituel, pourra-t-elle se faire à l’idée de changer d’un seul coup de mode d’évolution ? (Répondez Fab)
L’homme a beaucoup travaillé hors de lui-même depuis quelques millénaires. Il a beaucoup modifié son environnement pour changer ses conditions de vie. Mais ne s’est-il pas trompé de voie pour assurer son avenir ?
N’aurait-il pas dû travailler davantage sur lui-même et sur ce qu’il croit le distinguer des animaux. N’aurait-il pas dû travailler plus sur ses facultés à dépasser les limites en prenant mieux en considération le spirituel et les croyances ?
Il semblerait que dans ces domaines il n’y a pas de limite à l’expansion, donc pas de limite pour progresser. Ce qui pourrait donner ainsi un avenir au progrès.
Comment expliquer l’évolution physique des êtres vivants sans imaginer qu’il existait en eux-mêmes une volonté innée de s’adapter aux conditions d’évolution de leur environnement, une croyance en la possibilité de changer en soi pour survivre ?
Les ailes qui se sont formées sur les membres antérieurs des êtres qui sont devenus des chauves-souris sont nées de quelle imagination ? Sont-elles le fait d’une intense volonté de l’animal lui-même, de sa croyance en la possibilité de changer pour survivre ? Ou bien résultent-t-elle d’une volonté, d’un souhait, d’un pouvoir extérieur ?
Il semble que l’état actuel de nos connaissances ne permet pas de répondre. http://desencyclopedie.wikia.com/wiki/Chauve-souris
@Jducac :
l’ironie de l’histoire veut que ces braves chauve-souris , après s’être donné tant de mal pour croître et embellir , sont en train d’être exterminées par les parcs d’éoliennes que notre race développe pour obtenir cette précieuse énergie !
Péché bénin ou péché mortel ?
Pour moi le marché, même le plus primitif est déjà un dépassement de la nature. Quels sont les animaux qui se spécialisent dans une activité, échangeant le produit de celle-ci contre d’autres par le troc ou la monnaie, tissant des liens de dépendances vitaux car aucun ne produirait à lui tout seul tout ce qu’il a besoin pour vivre ? Les fourmis et les abeilles sont certes spécialisées mais il n’y a aucun marché dans leur essaims ni entre essaims. Et dans les immenses colonies d’oiseaux on ne s’échange aucun service : chacun doit aller chercher sa nourriture et défendre seul ses œufs contre les reptiles. Et malheur aux faibles, ils mourront seuls parmi la foule. Si les marchés actuels engendrent la misère, ce n’est pas parce qu’ils sont dans un état de nature mais par choix politique, fait consciemment par les riches et vendus comme naturels et indépassables aux pauvres. Les marchés actuels sont aussi primitifs, archaïques, que la justice lorsque celle-ci punissait par châtiments au lieu d’emprisonner et d’œuvrer à la réinsertion. Mais il a certainement déjà existé dans l’Histoire des sociétés avec des marchés où il n’y avait pas de pauvres, comme en Amérique avant 1492 ou en Afrique où le mot de pauvre n’existe pas dans leur vocabulaire.
Deuxième point, l’homme n’est pas foncièrement mauvais, il est même fondamentalement sociable, comment vivre ne serait-ce qu’en hordes sinon. Vivre en hordes implique que la sélection naturelle a éliminé les moins sociables, sinon nos ancêtres auraient vécus solitaires comme des tigres. Or tous les primates sont bien des animaux sociaux. Seulement l’hormone de la sociabilité (entre autres effets), la sérotonine, engendre dans certains cas l’agressivité, par exemple envers les autres clans. Il serait donc plus juste de dire que le groupe d’hommes est un loup pour le groupe d’hommes, ou bien que la classe sociale est un loup pour la classe sociale. Et puis la capacité d’adaptation de la sélection naturelle a été prise de cours par la croissance exponentielle de nos communautés car on est passé en quelques dizaines de siècles de petits hameaux à des mégalopoles alors que le renouvellement des générations de l’espèce humaine est certainement le plus long de la nature. Et de plus l’homme peut en partie se soustraire à la sélection naturelle grâce à la technologie. Et si l’on regarde les statistiques criminelles entre le Moyen-Age et aujourd’hui, on perçoit bien une tendance à la baisse : 1000 crimes par an en France seulement pour 60 millions d’habitants. Mais il est vrai que nos jours l’abondance d’énergie a permis un relâchement des tensions sur les ressources disponibles.
Réflexion faite, et après relecture, je suis d’accord avec ce billet. Puisqu’il vise le progrès, il est tout à fait légitime qu’il retienne le « côté hard » de la nature pour justifier qu’il reste de gros progrès à faire dans l’ordre économique.
Reste que la solution préconisée, « Un nouveau modèle, non inscrit dans la nature avant l’Homme, devra cependant être découvert », n’est probablement pas la bonne. Je crois que l’espèce humaine ne peut rien inventer qui ne soit déjà « inscrit dans la nature avant l’Homme ». Exemple avec ce théorème du libre-arbitre qui dit que, « si un expérimentateur dispose du libre arbitre, alors les particules elles-mêmes disposent aussi de libre arbitre » ! Cela n’implique pas que le libre-arbitre existe à l’état naturel, seulement que, si l’espèce humaine prétend en disposer, alors elle ne peut qu’en découvrir l’origine dans la nature. Si l’on généralise ce théorème, nous ne pouvons rien créer ex nihilo, pas même les concepts. (Il est donc probable qu’il en aille de même pour l’analogie.)
C’est pourquoi j’ai avancé l’idée de prendre « plus habilement modèle sur la nature ». (Ce qui m’a valu une « volée de bois vigneronesque » dont je me rappellerai toute ma vie.) En effet, si nous ne pouvons rien créer ex nihilo, tout ce que nous faisons ne peut être qu’imitation. D’où la leçon : imiter mieux au lieu d’imiter mal en croyant ne pas imiter.
@Paul : au cœur de votre thèse, il y a la phrase sur le prix qui se termine ainsi : « tous également situés au sein d’une hiérarchie cautionnée par un système politique« . Il reste à montrer que cette hiérarchie émane de la nature et non de la politique. (Ci-dessus, Moi a fait l’objection suivante : « Ce que je vois, c’est tout comme Aristote des rapports de forces politiques, donc rien de naturel« .) Pour établir solidement la thèse, il faudrait montrer que les règles qui régissent les prix sont formellement identiques à celles qui régissent les signaux de domination/soumission des animaux à hiérarchie sociale, des signaux motivés par la crainte et le respect. Si l’on peut montrer, de surcroît, que ces règles sont irrationnelles eu égard aux intérêts bien compris des agents économiques, alors il ne fera plus de doute que l’état naturel de l’économie est imputable à l’origine naturelle de ces rapports de force qui dictent les prix.
@Paul, dernière critique et puis j’arrête : vous ne cherchez pas à savoir pourquoi l’espèce humaine n’a pas surpassé la nature dans l’ordre économique. Serait-ce que vous craignez d’y découvrir une impossibilité ? J’ai l’impression que les règles de l’économie en font un jeu : très sérieux bien sûr, mais jeu quand même, c’est-à-dire activité faisant des gagnants et des perdants. (Ce qui se manifeste de façon évidente dans l’accumulation de capital pour les uns, et dans le maintient dans la pauvreté pour les autres.) Avec cette hypothèse, il faudrait, pour que l’humanité surpasse la nature, qu’elle imagine des règles avec lesquelles personne ne pourrait jouer. Seule une économie entièrement planifiée répondrait à ce critère.
Votre critique est excellente, avec humour en plus, pourquoi vous arrêter en si bon chemin !?
Et si au final, planifié déplaçait le problème sans le résoudre, car les planificateurs aussi doivent aussi ce projeter sur l’avenir pour que la planification est un sens et sachant qu’on ne peux maitriser toute les variables de nos économies (plus ou moins de malade cette année, de naissance, de décès, …), une planification est aussi un pari, non?
@Fab : merci pour le compliment. Je ne me suis pas arrêté, et continue de réfléchir à ce sujet. Mais plus j’avance, plus ça se complique…
Crapaud Rouge dit :
13 janvier 2011 à 22:36
@Paul, dernière critique et puis j’arrête :
Il risque difficile pour crapaute rouge d’arrêter pour la bonne raison qu’elle ne sait rien faire d’autre elle s’accroche systématiquement sur les blogeurs souvent les plus cools pour les mettre en pièces. C’est ça façon à elle d’exister que voulez vous.
Ben oui, idle, Crapaud Rouge cache une mante religieuse : ce n’est que l’un de ces incroyables pièges du mimétisme dont la nature est remplie.
J’avais dit « dernière critique et puis j’arrête », mais idle a raison : je ne peux pas m’en empêcher… Parce que je viens d’apprendre qu’un dauphin a fait une analogie, l’espèce humaine n’en n’aurait donc pas l’exclusivité. C’est dans L’âge de l’empathie de Frans de Waal qui raconte :
Et qu’est-ce que cette « correspondance » si ce n’est une analogie ? Autre article intéressant sur Frans de Waal : cette interview dans Libé où il reprend mon argument principal : dans la nature, il n’y a pas que la compétition. Lui y ajoute l’empathie comme j’y ajoutais la symbiose.
L’espèce humaine « surpasse » aussi la nature pour atteindre ses fins économiques. En particulier, il y a « surpassement » quand elle fore des mines profondes pour extraire des minerais qui sont inaccessibles à l’état naturel. C’est donc ailleurs ou autrement que se révèle l’état naturel de l’économie, au-delà des prix qui expriment les rapports de forces : il faut le voir dans les sanctions que ces rapports de forces impliquent, c’est-à-dire une pauvreté qui peut aller jusqu’à la déchéance et l’exclusion sociale, et qui pousse certains à rejoindre des organisations mafieuses. Pour dépasser le stade de la « sanction naturelle », il faudrait faire preuve d’intelligence pour donner à tout un chacun la possibilité de collaborer, ie de travailler, même s’il en résulte pour conséquence une baisse statistique de la productivité individuelle.
Hello Crapaud rouge…Adam Smith est effectivement un auteur à revisiter d’urgence et merci pour ce lien interview…Par ailleurs le site sur l’empathie est fort intéressant…Néanmoins je m’en teindrais à votre exemple sur les dauphins pour ce qui nous rapproche …Il est de loin le plus esthétique…Mais je sais qu’au plus profond de moi-même qu’ils existe plus de choses qui nous rapprochent que de choses qui nous éloignent…C’est probablement pour cette raison que fût inventée la Fraternité…Dont seul l’amour universel en est le moteur…Sur ce coup là les économistes devraient pouvoir se retrouver pour un meilleur succès futur d’une carrière plus douce, reposante et harmonieuse.
idle, ne seriez-vous pas un grand sentimental ? C’est l’impression que vous me donnez quand vous écrivez : « Mais je sais qu’au plus profond de moi-même qu’ils existe plus de choses qui nous rapprochent que de choses qui nous éloignent… » C’est très sympathique de votre part, et je me demande un peu ce qui me vaut une telle considération. La seule chose qui compte, du fait qu’on doive communiquer sans ce voir, c’est simplement d’exprimer sincèrement ses idées, même si certains (ou tous !) ne sont pas d’accord. (Et puis, ne pas être sincère, c’est tenir ses propres idées par le mépris, et donc se mépriser soi-même.) Cela dit, je suppose que nous partageons au moins la sincérité, non ?
La concurrence entre personnes amène une course à la performance (vertueuse) mais en cas d’injustices ou bien d’atteinte du niveau maximum, conduit à des frustrations puis des conflits et enfin à l’utilisation de méthodes « non loyales ».
Sans compter que l’esprit d’équipe et la richesse qu’il apporte est mis à mal par cette focalisation sur l’individuel.
Le merite est une valeur essentielle et juste, il faut la préserver.
Il faut simplement viser à reduite les écarts entre les différentes niveaux hiérarchiques/sociaux/professions en terme de pouvoir et de richesse.
bligblogalain, le mérite est une valeur morale qui s’évanouit dès lors qu’elle est matériellement récompensée. Avec des salaires « au mérite », on est comme des animaux dans un cirque, dans un comportement de type action/réaction bien plus complexe que le réflexe de Pavlov mais procédant du même principe.
@Crapaud Rouge
« idle, ne seriez-vous pas un grand sentimental ? C’est l’impression que vous me donnez quand vous écrivez : « Mais je sais qu’au plus profond de moi-même,il existe plus de choses qui nous rapprochent que de choses qui nous éloignent… »
Sentimental peut-être…Mais pas dans cette phrase que je vénère comme la clée de la fraternité, elle n’est pas de moi, mais elle raisonne en moi comme la phrase de la réconciliation entre les humains.
« progrès » et « civilisation » allant souvent ensemble, je mets ici une remarque de Chomsky qui lui est venue incidemment dans cette interview.
Il est clair que les US s’identifient à « la communauté internationale » dont elle se pose en leader. Mais ce qui attire ma curiosité, c’est que l’on pourrait fort bien remplacer la locution utilisée par « la civilisation » ou « le progrès », voire « le monde ». La phrase serait un peu curieuse mais en ajoutant « les représentants de », elle tient la route. D’où ma question : la civilisation m’a tout l’air d’être la faculté à s’identifier au monde, à être « les seuls », tout les autres étant indignes de représentation.
Merci pour la correction Julien ! 😉
Je crois bien que c’est Paul qu’il faut remercier sur ce coup !
Je ne vous remercierai jamais assez de toute façon. Depuis quelques jours, et grâce à ce blog, je me suis débarrassé de mon obsession, (le paradoxe EPR et les fentes d’Young bien sûr), je me sens enfin libre de penser à bien d’autres trucs rigolos. Et je ne plaisante pas, comme disait Chomsky. Je vois maintenant plein de choses qui s’emboîtent, un puzzle se dessine tout seul dans ma tête. Ce qui me fait flipper, c’est que le boulot en vue risque fort de m’obliger à tout ranger dans le placard à balais. Je me demande si je ne vais pas me mettre délibérément au chômage…
Crapaud
Je vous conseille les concertos pour piano de Mendelsson. ou tout simplement une térrasse de café au soleil, c’est parfois quant on pense le moins qu’on réfléchit le mieux, qu’on recharge ses batteries/ Bien à vous