Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Vendredi, en une seule séance des marchés à terme, l’or a perdu 5,8 % de sa valeur, et l’argent-métal, 17,8 %. Vu l’état actuel des marchés financiers et de l’économie en général, qui amorce depuis quelques semaines la deuxième branche de l’évolution en « W » ayant débuté en 2007, la chose pourrait apparaître surprenante, le métal précieux étant le prototype-même de la valeur-refuge.
En réalité, le fait que le prix des métaux précieux – et l’or en particulier – grimpait régulièrement depuis le mois de février, doit être interprété rétrospectivement comme un signe de la relative bonne santé des marchés financiers durant les trois premiers quarts de l’année. Car si le prix de l’or et de l’argent baisse en ce moment, ce n’est pas parce qu’ils ont cessé de jouer le rôle de valeur refuge, c’est parce que certains qui en possèdent le vendent en ce moment, non pas pour réaliser leurs gains mais parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement : pour payer leurs dettes qui se creusent ailleurs, ou parce que les chambres de compensation des marchés où ils sont positionnées leur adressent des appels de marge, c’est-à-dire leur enjoignent d’approvisionner leur fonds de réserve, en raison des pertes qu’ils subissent là.
Autrement dit, les ventes d’or et d’argent auxquelles on a assisté la semaine dernière et vendredi en particulier, ne sont rien d’autre que les ventes en catastrophe d’intervenants en position délicate. Une personne interrogée hier par le Wall Street Journal signalait en particulier « qu’il semble que des banques européennes vendent de l’or, peut-être pour augmenter l’argent liquide dont elles disposent et étançonner leur bilan ».
Lorsqu’on entre dans des périodes de vente à la casse sur les marchés financiers, comme les ventes de métaux précieux dans la journée de vendredi, le plongeon se transforme bientôt en chute en vrille. Gérer le risque de marché exige en effet que le prix de certains produits monte quand celui de certains autres baissent. Or, quand chacun se débarrasse de tout ce qu’il possède parce qu’il n’a en réalité pas d’autre choix, comme c’est le cas en ce moment, le prix de tous les produits s’effondre simultanément. La couverture des positions financières – leur protection contre la perte par la prise de positions sur des produits dont le prix grimpe quand le leur baisse – cesse d’être possible et la gestion du risque entre en régime chaotique. Ce fut le cas vendredi, quand les pertes essuyées obligèrent les intervenants à se délester de certains de leurs actifs, dont la quantité offerte à la vente fit alors baisser le prix, causant des pertes à d’autres intervenants qui furent obligés de faire de même, et ainsi de suite, créant une spirale infernale.
Les mésaventures de M. Adoboli à l’Union de Banques Suisses, révélées la semaine dernière, nous rappelaient de manière dérangeante celles de M. Kerviel au début de l’année 2008. Les ventes à la casse de vendredi nous replongent elles aussi dans l’atmosphère de 2008. Contrairement à ses homologues de la Société Générale qui avaient choisi de se maintenir à la barre, M. Oswald Grübel, P-D.G. d’UBS a préféré démissionner aujourd’hui samedi. Comment interpréter son geste ? Retour en force du sens de l’honneur à la tête des banques ? Ou jet, beaucoup plus troublant, de l’éponge ?
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