L’actualité de la crise : LE TEMPS QUI COMPTE, par François Leclerc

Billet invité

L’annonce surprise d’un référendum en Grèce a fait hier l’effet d’un coup de semonce, éclipsant la poursuite de la guerre de la monnaie au Japon, où le yen continue de monter contre le dollar et étrangle lentement les exportations. Comme un rappel que la crise de la dette européenne, qui monopolise l’attention, n’est pas seule en cause et que celle que connaissent les États-Unis est tout autant porteuse de perturbations mondiales. Car le rendez-vous qui a été pris pour la fin du mois aux États-Unis est maintenu : il va falloir agir pour réduire le déficit, mais comment ? Entre temps, le G20, va avoir deux journées entières pour peaufiner son communiqué final, dont la savante exégèse va mobiliser l’attention.

En toile de fond, l’OCDE a préparé une note peu engageante à l’attention des participants au G20 de cette semaine, en diminuant ses prévisions de croissance pour 2012 : 0,3 % pour la zone euro (contre 2 % en mai) et 1,8 % aux États-Unis (contre 3,1 %). Comment se débarrasser de la dette n’est pas la seule question sur laquelle il va falloir se pencher, la relance de l’économie devient une préoccupation majeure et va se trouver au centre de la communication du G20.

En Europe, les marges de manœuvre déjà étroites des dirigeants continuent inexorablement à se rétrécir. Chaque jour, l’actualité apporte son lot de mauvaises nouvelles : inquiétants indicateurs économiques, craquements en Grèce, difficultés renouvelées avec les banques ou glissade qui se poursuit de l’Espagne et de l’Italie. L’euphorie boursière a duré l’espace d’une séance et un climat général de scepticisme s’est à nouveau installé à propos des décisions prises afin de tenter de cantonner la crise en sauvant la Grèce et en préservant l’Italie et l’Espagne.

La dernière adjudication de titres de la dette italienne, à l’occasion de laquelle un taux supérieur à 6 % a du être accordé pour une maturité à dix ans, sanctionne sévèrement le nouveau plan européen avant même qu’il ne soit sorti des cartons.

La situation économique continue de se détériorer, que l’on considère la croissance, l’inflation ou le chômage. Tout porte à croire que la stagflation qui règne déjà au Royaume-Uni, sans être reconnue, pourrait s’étendre au sein de la zone euro. À noter aussi que la Banque d’Espagne a annoncé pour le troisième trimestre une croissance économique « nulle », confirmant l’entrée du pays dans la récession.

Mario Draghi va entrer en fonction à la tête de la BCE sous de mauvais auspices, Eurostat estimant que l’inflation a atteint 3 % en Europe, continuant à dépasser l’objectif de 2 % fixé à la BCE alors que la récession menace. Caractérisant une situation qui aboutit, comme au Japon, à une paralysie de la banque centrale tiraillée entre des impératifs contradictoires et dépourvue de leviers pour agir.

D’où provient cette inflation dans une telle conjoncture ? L’exemple de l’Italie est éclairant : elle vient de fortement accélérer, passant de 3 % à 3,4 %, conséquence directe d’une augmentation de la TVA à 21 % dans le cadre des dernières mesures d’austérité…

Selon le même Eurostat, le chômage continue également de monter dans la zone euro, dépassant officiellement depuis cinq mois consécutifs la barre des 10 % de la population active et les 16 millions de chômeurs. L’Espagne a elle seule en comptabilise officiellement près de cinq millions, soit 21 % de la population active.

L’Europe est désormais entrée en crise politique. Georges Papandréou cherche à desserrer l’étau qui progressivement le paralyse par une manœuvre risquée de dernière extrémité, tandis que l’Italie ne parvient pas à conclure la triste équipée de son Cavaliere. Une droite espagnole revancharde s’apprête à gagner les élections, épilogue qui pourrait aussi intervenir en Grèce, son lit préparé par les socialistes. En Allemagne, la Cour Suprême vient d’imposer un vote du Bundestag en séance plénière pour débloquer toute nouvelle décision de sauvetage du FESF, rendant l’outil encore moins opérationnel.

Les banques, frappées d’étranges pudeurs, manifestent à leur manière leur mécontentement. La Fédération bancaire européenne vient de refuser que soient assimilées à un « sauvetage du secteur financier » les mesures de recapitalisation prises par les dirigeants européens, car « elles ne sont et ne peuvent être comparées à des aides étatiques ». « Les gouvernements ne sont pas en train de sauver les banques ; celles-ci sont en train d’être dotées d’un matelas supplémentaire pour amortir les chocs », a-t-elle asséné pour toute vérité.

Effrayées par l’addition qui leur est présentée, les banques italiennes protestent du sort qui leur est réservé, criant au favoritisme dont bénéficient leurs consoeurs françaises, en application selon elles de la méthodologie qui a retenu la valorisation au prix du marché des titres de la dette souveraine dans les bilans des banques. Ce que Giovanni Bazoli, président du conseil de surveillance d’Intesa Sanpaolo, a traduit à sa façon : « Il est vrai que les banques italiennes présentent un niveau de capitalisation inférieur à [leurs concurrentes de] certains pays européens mais cela est justifié par un bilan beaucoup moins risqué ». ll veut dire par là qu’elles sont gorgées de titres de la dette italienne, dont la valeur diminue au fur et à mesure que leur taux monte.

Tout le monde bancaire est parcouru d’un même frisson, en attendant que soit prise une discrète décision technique qui tarde à propos de l’éligibilité des obligations convertibles à leurs fonds propres. Ce qui diminuerait sa peine et le coût de l’opération. Si la recapitalisation des banques grecques représente 30 % des 106 milliards d’euros annoncés, celle des espagnoles émarge pour 26,2 %, des italiennes pour 14,8 % et des françaises pour 8,8 %.

Pour sa part, Charles Dallara, le négociateur en chef des banques au nom de l’Institute of International Finance, vient de prévenir à propos de la nouvelle restructuration de la dette grecque que « c’est unique, ce n’est pas fait pour être répété. Et nous n’avons certainement aucune intention de le refaire ». Qui pourrait en douter ? Personne ne se hasarde à soulever un lièvre, celui de la participation de la BCE, du FMI et du FESF à l’opération, eux qui possèdent une grande partie de la dette grecque et qui pourraient la soulager.

Le doute est vite apparu, par contre, à propos du pare-feu destiné à protéger l’Italie et l’Espagne. Non pas en raison des imprécisions de son montage financier et des interrogations à propos de la participation des pays émergents sollicités pour le financer, mais à cause de l’inadéquation manifeste qui se révèle entre l’énormité du financement nécessaire et ce que ces derniers pourraient mettre au pot. Les Russes atteignent 10 milliards d’euros de promesse de prêt et tout est à l’avenant quand des chiffres sont énoncés. Des dizaines de milliards de dollars sont additionnés alors que l’addition finale se chiffre en centaines.

Par ailleurs, les négociations viennent à peine de commencer à propos des garanties et contreparties qui pourraient être offertes, en compensation du transfert de risque que les Européens sollicitent, ne pouvant plus l’assumer à eux seuls. Présentée par certains comme un épouvantail et la nouvelle maîtresse du jeu, la Chine va chercher à gagner sur deux tableaux, analysent les connaisseurs, en réclamant que lui soit accordée le statut d’économie de marché qui favoriserait ses exportations, et en obtenant que son rôle au sein du FMI soit réévalué. Deux domaines complexes de négociation qui risquent de prendre du temps.

Or, ce temps est décidément compté pour les Européens !

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108 réponses à “L’actualité de la crise : LE TEMPS QUI COMPTE, par François Leclerc”

  1. Avatar de Alain A

    La bourse de Milan perd 7% à 14h30. Le krach n’est plus une hypothèse mais une donnée factuelle dans l’équation à résoudre….

    1. Avatar de johannes finckh
      johannes finckh

      évidemment!

  2. Avatar de george
    george

    Voici quelques possibilités de formulation du referendum:

    1.Etes vous d’accord de vous serrer complétement la ceinture pour que quelques oligarques puissent s’enrichir à bon compte?

    2.Sachant que dans la Grèce Antique(celle qui est vénérée comme le berceau de la démocratie) il existait des esclaves ,
    Sachant que tout débiteur est assimilable à une condition d’esclave quand le remboursement ne porte que sur les intérêts et non le principal ,
    Voulez vous chers compatriotes , retourner vers ce passé glorieux?

    3.Sachant que notre illustre Platon a indiqué (en substance)que le mensonge était possible , pour autant que cela soit dans l’intérêt supérieur,
    Que nous avons grâce au talent divin de Goldman Sachs(talent autoproclamé), maquillé nos comptes pour être éligible à l’entrée dans la zone Euro,
    Vous sentez vous apte à dire un autre gros mensonge: nous vous rembourserons!

    PS: une formulation courte semble préférable.La 1.?
    Bien que mois argumentée , cette solution conduira (en cas de oui) de se serrer tellement la ceinture…qu’il faudra bien finir par la vendre.
    Plus de ceinture…plus de culotte qui tienne.

    Avec plus de deux siècles de retard nos valeureux Grecs retrouvent ….nos Sans-Culottes.

    R comme Referendum ou comme Révolution?

    1. Avatar de Cassandre
      Cassandre

      Est-ce qu’on pourrait oublier un peu le « berceau de la démocratie » ? Il y a tout de même plus de 2 millénaires qu’il n’a pas servi, ce berceau, et lui sont passés dessus les démagogues athéniens, les Spartiates et Thébains, les Macédoniens, les Romains, les Byzantins, quelques Croisés, les Turcs, quelques rois et une fournée de colonels.

      A la chute de ces derniers, je doute qu’on en ait retrouvé quoi que ce soit, et les Grecs se sont fournis ailleurs d’un berceau tout neuf, qu’ils n’ont d’ailleurs, visiblement, même pas encore fini de roder.

    2. Avatar de Alexandria
      Alexandria

      @ 32 George :
      À l’encontre de votre PS, lu sur le panneau d’un manifestant indigné (à Madrid ou à Athènes, je ne sais plus…) :

      « À force de nous serrer la ceinture, il ne sera plus question de nous faire baisser notre pantalon ! »

      Une autre formulation, mais le même appel à la révolution !

  3. Avatar de Youpla
    Youpla

    Ne vous faites pas d’illusions, si vous pensez que les « élites » vont se laisser éliminer par un petit réferendum, vous risquez un gros coup de blues.
    Toutes les options seront utilisées, même les plus extrêmes, pour maintenir le système tel qu’il est.
    Ce réferendum n’est qu’une péripétie de plus dans la mascarade de démocratie dans laquelle l’UE nous fait vivre.

    1. Avatar de Terry31
      Terry31

      Les grecs vont subir une énorme pression, c’est là où va voir toute la puissance de propagande de l’euro-oligarchie se déployer.
      J’espère que les grecs ne seront pas dupes des mensonges qu’on leur servira.

  4. Avatar de kertugal
    kertugal

    Préalablement, quelques considérations sans age : Roland Topor => Le bas de gamme

  5. Avatar de danmaru touvabien
    danmaru touvabien

    on va faire voter les gueux ?
    mais de quoi se mêlent-ils !

    1. Avatar de CROC
      CROC

      Envoyons les chars en Grece! Comme Churchill en 44!

      1. Avatar de Un grain de sable
        Un grain de sable

        Trop tard, plus de crédit pour l’essence !

  6. Avatar de Un Belge
    Un Belge

    Grand roque des noirs. Echec.
    Cavalier Draghi au centre.
    Pions du G20 en soutien.
    Sacré timing !

    1. Avatar de Tigue
      Tigue

      C’ est pas ça du tout.
      C’ est une variante de ça : http://fr.wikipedia.org/wiki/Othello_(jeu)#R.C3.A8gles_du_jeu
      « La capture se traduit par le retournement des pions capturés. Ces retournements n’entraînent pas d’effet de capture en cascade : seul le pion nouvellement posé est pris en compte.  »

      Mais avec 30 coups d’ avance et pleins de chevaux de troie.
      La fin de partie est importante, c’est l’ effaçage des traces du mécanisme pour que la partie suivante soit possible.
      C’ est là que le grabuge et la discorde entrent en scène.

      Et que s’ apprête t’ on a faire ici, tout de suite , là, maintenant , urgemment ..Je vous le donne en mille : un fait sociétal ayant trait aux usages, aux coutumes, sans préparation , sans garanties de reciprocité, dont le dénouement va se faire selon le seul outil du droit ! :
      http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/11/01/le-senat-va-se-prononcer-sur-le-droit-de-vote-des-etrangers-aux-elections-locales_1596755_823448.html
      Gagné !
      Voir ci après la méthode du libéralisme pour uniformiser dans le cas general selon Michéa : http://www.dailymotion.com/video/xfnts4_entretien-avec-jean-claude-michea_news

      1. Avatar de Tigue
        Tigue

        Ce qu’ il faudrait faire c’ est déjà réussir à nous parler entre nous citoyens français avec nos différences avant d’ espérer nous parler mieux ou plus, en ajoutant un facteur déstabilisant en ce moment même ou la cohésion autour du roc des valeurs communément et largement admises est crucial .

  7. Avatar de Cavalier Ponzi
    Cavalier Ponzi

    C’est un sirtaki Islandais, à la place de Gpap je file ma dem et démerdez-vous!
    D’une part ce plan b n’aurait pas tenu, il est visiblement infinançable sans la planche à billets de la BCE, d’autre part les autres Piggs vont réclamer aussi d’autres Haircuts.

    Si c’est perdu d’avance, autant ne pas être celui qui a condamné son peuple à 10 ou 15 ans de misère, l’a raison le Gpap!

    Je voudrais bien voir la tête de nos banksters nationaux!

    1. Avatar de CROC
      CROC

      je pense aussi que Papandreou essaie de se laver les mains avec ce referendum

  8. Avatar de Super Mario Bros
    Super Mario Bros

    La saisons des feuilles est terminée. Il n’y a plus de feuilles dans les arbres. Elles sont toutes tombées au sol. Toutes? Non. Je regarde tomber les banques, les courtiers, les fonds de retraite, la fonction publique mondiale, les propriétaires, les pays… comme autant de feuilles mortes qui étaient encore hier accrochées à l’arbre tordu de la dette universelle. Mais le vent s’est levé…

    Qui se penchera pour ramasser ces feuilles mortes, une fois tombées. Les cigales ou les fourmis?

    Les cigales vont les ramasser pour aussitôt jouer dedans et s’amuser à s’enterrer dans les beaux tas multicolores. Les fourmis vont aussi les ramasser, mais pour en faire du compost ou… les brûler tout simplement, histoire de ne plus jamais les avoir en pleine face. S’il reste des cigales dans le tas, eh bien, tant pis! La fourmis n’est pas prêteuse et n’a pas de temps à perdre.

    Voyez-vous la fumée monter droit au ciel dans cette belle journée de novembre?

  9. Avatar de schizosophie
    schizosophie

    … et l’Ifi sortit du bois.

    1. Avatar de schizosophie
      schizosophie

      … et la Fbf fouetta.

  10. Avatar de Jean-Claude
    Jean-Claude

    Est-ce là, une preuve par l’incongru, que démocratie et finances font mauvais ménage?

  11. Avatar de frédéric
    frédéric

    hypothèse : le gouvenement grec actuel tombe, puis le nouveau gouvernement abandonne le projet de référendum. On remet 100 balles dans la machine et c’est reparti pour un tour de manège. Il est possible que le grand soir se fasse encore attendre 😉

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