J’ai fait un rêve (et Laurence Parisot un cauchemar), par Michel Leis

Billet invité.

Après avoir écrit des billets sur la concurrence fiscale et appelé au retour de l’interventionnisme de l’Etat dans l’économie, peut-être est-il temps de proposer quelques pistes de réflexions sur le rétablissement des marges de manœuvres budgétaires. La difficulté de cet exercice réside dans la nécessité de peser sur les décisions des individus et des entreprises au travers d’une politique fiscale adaptée, alors même que la perception qu’ont ces individus et ces entreprises de leurs intérêts particuliers s’opposent aux indispensables réformes collectives.

Encore faut-il au préalable redonner un sens aux dépenses de l’Etat. Au nom d’une définition de plus en plus restrictive du domaine public, celui-ci a  réduit son périmètre d’intervention et les domaines qui restent dans son giron ne peuvent répondre aux critères d’efficacité et de rentabilité, pourtant érigés en dogme. En l’absence d’une vraie politique économique, l’Etat providence est dépassé. Ayant renoncé à guérir, il se contente de mettre des baumes pour calmer les douleurs les plus vives en quantité toujours plus dérisoire. Pire encore, une partie des Diafoirus politiques viennent de découvrir la saignée et ne s’en prive pas. L’Etat qui soigne n’est en aucun cas un Etat qui cherche à guérir, c’est bien là que ce trouve sa plus grande faiblesse. Cette réalité perçue par le plus grand nombre conduit à des comportements contradictoires, depuis l’égoïsme assumé (pourquoi payer pour une situation qui est amenée à perdurer) jusqu’au réflexe citoyen. C’est peut-être là une opportunité pour l’Etat : donner une cohérence entre la politique fiscale et des objectifs, c’est redonner la lisibilité qui manque à son action, c’est quitter la logique de simple financement pour faire des impôts un vrai levier d’action, au-delà des « gadgets » divers qui font pour le moment office de politique et dont l’effet est difficilement mesurable.

J’évoquais en conclusion de mon essai la difficulté à faire évoluer la situation actuelle, tant sont prégnantes les normalisations collectives qui servent de références aux acteurs du système. L’enjeu est pourtant bien celui-ci : orienter les comportements des consommateurs et des entreprises. Si l’on considère que la baisse de la fiscalité initiée à partir des années 80 a joué un rôle important dans l’élévation de la norme de profit, la politique fiscale vis-à-vis des sociétés doit être l’un des instruments clés de cette réorientation.

C’est un sujet peu présent dans le débat public, à l’exception des charges sociales. Dans ce domaine, le discours des instances patronales trouve un large relais dans les médias. On ne peut pourtant limiter la discussion à une réduction sans fin des charges au nom du maintien de la sacro-sainte compétitivité. Une nouvelle approche de la fiscalité devrait refléter la responsabilité des entreprises vis-à-vis du fonctionnement de la société dans son ensemble. Une première piste serait donc de refléter cette responsabilité au travers d’un bilan écologique et d’un bilan social qui s’ajouteraient au traditionnel bilan comptable.

Le bilan social tracerait la situation et l’évolution d’un certain nombre d’indicateurs sociaux. Le temps de travail, les variations de l’emploi, la politique salariale (entre autre les augmentations salariales, l’égalité homme femme, les écarts de salaires entre les employés les mieux payés et les moins payés), la pyramide des âges, la non-discrimination, le respect des règles sociales exigées des sous-traitants pourraient être des éléments de ce bilan social dont la complexité irait croissante avec la taille des entreprises.

Le bilan social servirait à déterminer le montant des cotisations patronales payées sur la base de la valeur ajoutée, du moins pour une part qui peut être dissociée du statut du salarié. Pour ne pas handicaper les entreprises soumises aux vicissitudes de la mondialisation, différents taux de base seraient appliqués suivant le degré d’exposition à la concurrence internationale, Ce taux de base serait majoré ou minoré en fonction des résultats et de l’évolution du bilan social. Si l’on imagine un taux de base à 12% (première approche hors charges liées au statut du salarié), la plage de variation pourrait s’étendre entre 6 et 18% en fonction des situations et du bilan social.

En dissociant les charges sociales de l’emploi, les gains de productivité réalisés contribueraient aux financements sociaux. On peut aussi imaginer que les objectifs du bilan social fassent partie de négociations tripartites par branche où, plus que le taux de prélèvement, c’est l’ambition portée par le bilan social qui serait l’enjeu et permettrait de moduler le montant des charges perçues.

On ne peut pourtant pas faire totalement l’impasse sur les charges sociales liées au salaire, du moins pour les régimes complémentaires de retraite ou de santé dans la mesure ou une partie des prélèvements sont liés à des statuts individuels et ne peuvent faire l’objet d’un traitement global.

En ce qui concerne l’impôt sur les sociétés, c’est le comportement environnemental et énergétique qui déterminerait le taux de base. Il serait tracé dans un bilan spécifique dont les critères seraient déterminés par branche et par taille ; simples pour les petites entreprises : lutte contre le gaspillage, recherche d’une consommation moins élevée, calcul d’une émission globale de CO2. Pour les grandes entreprises ou l’industrie, les critères seraient évidemment plus complexes et on pourrait passer par des systèmes de certification environnementaux. Un taux moyen de 40% sur le résultat pourrait regrouper une variation importante entre 25 et 60%, suivant le bilan environnemental.

Ces règles se substitueraient à la multitude de règles et de niches qui permettaient aux plus grandes entreprises de pratiquer l’optimisation fiscale avant même d’aller dans les paradis du même nom. A la complexité d’établissement des bilans social et écologique répondrait la simplicité dans l’établissement des montants à payer. Pourtant, jouer sur les prélèvements sociaux et le taux d’imposition ne peut suffire pour infléchir les comportements des acteurs. Il est nécessaire de s’appuyer sur d’autres éléments.

Concernant la nécessaire baisse de la norme de profit, on peut imaginer une taxation des revenus mobiliers pénalisant le surprofit. Un taux de rentabilité sur capitaux propres élevé par rapport à une référence définie par secteur d’activité entraînerait une taxation plus élevée des dividendes et des plus-values réalisées sur les actions. C’est une manière d’infléchir la norme de profit puisque la distribution de résultats basés sur le surprofit serait pénalisée. L’investisseur serait responsabilisé par rapport à une recherche de profit à court terme ou trop élevé. Cette approche devrait venir en complément d’une interdiction des instruments spéculatifs largement évoquée sur ce blog.

Les dérives de la norme de production sont un puissant moteur à la destruction du travail et son transfert vers le moins disant social. C’est aussi un domaine où une taxation adaptée peut infléchir le calcul économique des investisseurs. En imposant un amortissement linéaire sur une longue durée dans certains secteurs non directement exposés à la concurrence internationale, on pourrait combattre certains investissements conduisant à une diminution du travail alors que rien ne le justifie sinon la recherche du surprofit. L’augmentation du résultat qui en résulterait serait immédiatement visible et rentrerait dans le périmètre taxable.

Dans le même ordre d’idée, on pourrait taxer les transports de marchandises au-delà d’une certaine distance parcourue. Le taux serait établi sur une triple base : le moyen de transport utilisé, la distance et la valeur du produit transporté. En ce qui concerne ce dernier point, la taxation serait inversement proportionnelle à la valeur du bien, les biens les plus chers étant supposés être les plus soumis à une concurrence internationale ou nécessitant des investissements importants, ce qui justifie leur transport sur de plus longues distances. Un bien où le prix unitaire est peu élevé devrait pouvoir trouver une alternative locale compte tenu d’une taxe proportionnellement plus élevée. Cette taxation pourrait jouer aussi sur les services dématérialisés, l’établissement d’un gros accès de communication couvre probablement une sous-traitance de service. Cette taxation sur les transports jouerait aussi à la marge sur la norme de consommation.

Deux éléments devraient permettre d’accentuer la pression sur les consommateurs. Des taux de TVA basés sur l’empreinte écologique du produit (à la fabrication pour les produits consommables ou à la fabrication et l’utilisation pour les biens durables). L’ancien taux de luxe à 33% pourrait être rétabli pour des biens dont l’empreinte écologique est la plus forte.

Enfin, un dernier élément en faveur du partage du travail : taxer chaque transaction réalisée par le consommateur sur un automate ou Internet : pompe à essence, caisse de supermarché, distributeur de billets de transport, achat en ligne, la liste n’est pas limitative.

Bien sûr, cet ensemble de pistes aurait des impacts. On peut ainsi imaginer que les budgets sociaux et de transferts soient de par leur fiscalisation transformés en une dotation annuelle : plus de déficits sociaux en tant que tels mais une composante parmi d’autres du budget de l’Etat. La question du financement y gagnerait ce que la transparence y perdrait.

Si ces quelques pistes de réflexion trouvaient le moindre écho dans les instances politiques, il est probable que la machine médiatique patronale nous expliquerait combien celles-ci sont irréalistes et tueraient toute velléité d’entreprendre et nuiraient à la compétitivité des entreprises. Mais le risque de troubler le sommeil de Madame Parisot est pourtant bien faible. La question de la compétitivité fiscale est sous-jacente dans le discours, sinon la pratique des entreprises. Elle pose la question du territoire. Si chaque Etat est libre de fixer sa politique fiscale en Europe, les instances communautaires laissent se développer une concurrence interne qui rendra bientôt obsolète le problème des paradis fiscaux. Autrement dit, la seule solution pour mettre en œuvre de telles propositions serait la fermeture des frontières, mais dans l’état de déliquescence actuel de l’Europe et du débat politique, cela pourrait être un choix entre la peste nationaliste et le choléra libéral.

 

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