LA DÉMOCRATIE EN VOIE DE CONFISCATION, par Michel Leis

Billet invité.

Si la pression qu’exerce le monde de la finance sur les institutions politiques est au cœur du débat actuel, elle ne me semble être que l’expression particulière d’un rapport de force plus généralisé entre pouvoir économique et pouvoir politique. La place dévolue à l’économie dans le débat public a cru au fur et à mesure que les moyens à disposition du pouvoir politique se réduisaient comme peau de chagrin, de par la propre volonté du pouvoir politique.

La période de l’après-guerre et de la guerre froide avait engendré une politique de type keynésienne, marquée par une intervention massive de l’État au travers de projets de prestige, de dépenses militaires massives, d’une intervention dans le social. Quand le financement des déficits américains par la planche à billets a rendu impossible de maintenir la fiction de la convertibilité du dollar, quand le choc pétrolier a renchéri le coût de l’énergie, et que la consommation de masse a commencé à donner des signes d’épuisement, les lampions de la fête se sont éteints un à un. Le dernier feu d’artifice fut la guerre des étoiles qui a donné une victoire temporaire à l’Amérique après bien des batailles perdues. Il a signé la fin de la guerre froide, tout du moins sous la forme d’une rivalité entre blocs.

Ce triple choc en moins d’une décennie a laissé le monde politique face à une dégradation continue des différents indicateurs économiques et sociaux : inflation, chômage, croissance réduite, etc… Sous l’influence de la renaissance libérale, les partis de pouvoir sont passés un peu partout dans le monde d’une politique économique par l’action et l’intervention (qui étaient contraintes par le contexte international) à une nouvelle politique fondée sur les conditions. Pour contrer cette dégradation constante des grands indicateurs économiques et sociaux, il s’agissait de créer des conditions plus favorables pour que l’économie s’épanouisse. Baisse des impôts, cadeaux fiscaux en échange de promesses d’embauches plus ou moins vérifiables, ouverture des frontières, privatisation, la liste est longue.

Dans cette régulation de l’espace collectif par les conditions, le monde économique s’est trouvé extrêmement vite en position de maître chanteur. Si les résultats espérés ne sont pas au rendez-vous, c’est que les conditions ne sont pas encore assez favorables à l’économie, il est donc nécessaire que le monde politique continue ses « efforts » dans cette direction… Probablement jusqu’à aligner les salaires sur ceux du Bangladesh comme le dit Paul Jorion…

L’erreur fondamentale du monde politique, c’est de confondre le discours à portée locale des entrepreneurs et des investisseurs avec celui de l’intérêt général. Les succès accumulés par une entreprise ne signifient pas un gain global. Sans la croissance et les gains de productivité, l’économie serait un jeu de confrontation des rapports de force à somme nulle. Les conditions favorables et l’amélioration du rapport de force né de la régulation par les conditions ont permis au monde économique d’accaparer les gains nouveaux, mais aussi les gains antérieurs qui avaient été souvent partagés de manière un peu plus équitable pendant l’âge d’or.

On aurait pourtant tort de faire porter le chapeau à la seule interaction du monde politique et du monde économique. Les conditions de notre confort matériel (notre déclinaison personnelle de la norme de consommation) nous conduisent à un rapport tout aussi déséquilibré avec nos employeurs. Alors que les pyramides de pouvoir tendent à se rétrécir dans les entreprises et les miettes de pouvoir qui avaient été concédées au middle management et au personnel se trouvent peu à peu grignotées, le maintien dans son emploi et l’accession à une hypothétique promotion passe par une adhésion sans faille au discours des conditions. Par notre acceptation tacite, voire notre soumission, nous ne faisons que renforcer cette confiscation de la démocratie par le monde économique, mais avons-nous toujours les moyens de faire autrement ?

Les « Pigeons » et autres représentants visibles du monde économique continuent à clamer combien les conditions restent difficiles dans des conditions de concurrence exacerbée. Les yeux fixés sur le compte de résultat où des attentes élevées sont devenues la règle, ils scient la branche sur laquelle ils sont assis sans en avoir conscience. L’écoute complaisante du personnel politique face à ces doléances participe à cette confiscation progressive de la démocratie qui risque d’être inéluctable si nous n’y prenons garde.

Partager :

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. @Alex, Mélenchon critique souvent la gauche pour ses compromis avec le capitalisme, se positionnant ainsi de manière plus radicale. C’est…

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote bancor BCE Bourse Brexit capitalisme ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grands Modèles de Langage Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon Joe Biden John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta