Réflexions pour un mouvement néodémocratique (IX) – L’atmosphère sociale avant le tournant politique actuel, par Francis Arness

Billet invité.

Durant la période néolibérale qui est en train de s’achever, s’est cristallisée, dans l’ensemble de la société, une atmosphère sociale fondée principalement sur l’inertie, le pessimisme du moindre pire, le scepticisme, le laisser-faire pour ceux dont les comportements sont les plus égoïstes et destructeurs. La production d’une telle atmosphère sociale a été en bonne partie permise par les médias dans leur versant manipulateur et communicationnel (car il existe des médias qui jouent leur rôle démocratique). Ces médias ont en effet une puissance de « captation de l’attention » (Christian Salmon, Bernard Stiegler) et de « capture » (Paul Jorion, Frédéric Lordon) de nos manières de vivre.

Dans ce règne des apparences trompeuses, la dégradation de l’énergie vitale du corps social et l’asphyxie de la vie se déploient librement. Dans un cercle vicieux, elles entraînent le déclin tout à la fois de la créativité, de la capacité de révolte féconde, comme celui du désir et de l’espoir de vérité, de liberté et de bonheur véritable. Pourtant ce sont cette créativité et cette révolte, ce désir et cet espoir qui permettent que notre existence et notre vie collective se confrontent au réel et l’inventent dans le sens le meilleur. Ce sont d’ailleurs cette créativité et cette révolte, ce désir et cet espoir que le système cherche à asphyxier. Il le fait justement en produisant cette atmosphère sociale d’inertie, de pessimisme existentiel, de scepticisme, de laisser-faire pour ceux dont les comportements sont les plus égoïstes, lâches et destructeurs.

De plus, l’apparence trompeuse et l’asphyxie de la vie sont avant tout les caractéristiques existentielles de ceux qui veulent le pire et mettent celui-ci en œuvre méthodiquement, poussant ainsi en dehors du système, ou plongeant dans des contradictions paralysantes, les personnes de bonne volonté. C’est en fait leur ruse et l’auto-asphyxie de leur propre existence que ces gens répandent dans le corps social, en une véritable contagion.

C’est bien cette lutte des contagions, l’une dans le sens du pire, l’autre dans le sens de la vie, qu’il nous faut penser. Et nous devons le faire contre tout jugement superficiel considérant que ce type de raisonnement est manichéen ou pessimiste. C’est en premier lieu le réel de notre situation historique qui relève d’un tel conflit et d’une telle dureté, non notre réflexion. Qui travaille vraiment à assimiler le réel verra ce conflit et cette dureté incrustés en tant que tels dans la chair du monde, et ne prêtera donc plus à ceux qui perçoivent le réel un prétendu « manichéisme » ou « pessimisme ».

Qui, dès lors, pâtit de cette contagion – et de la puissance des manipulations pour occulter le réel qui va de pair ? Ce sont l’ensemble des personnes de bonne volonté, qui courageusement font de leur mieux – même parfois dans le cadre de compromis problématiques – et souffrent de cette situation. Souvent sans s’en rendre compte du fait de la ruse du système, ces personnes sont en effet mises en contradiction avec elles-mêmes. Elle sont dès lors prisonnières d’un sentiment d’impuissance, assaillies par la perte de l’espoir de pouvoir agir véritablement dans le bon sens, avec tout ce que cela signifie comme affaiblissement de leur énergie, de leur désir, de leur espoir, de leur inventivité, de leur capacité à la révolte féconde et à l’assimilation d’un réel déjà bien difficile et complexe.

De plus, la production d’une telle atmosphère d’asphyxie est d’autant plus nécessaire au système que la puissance de notre inventivité, de notre capacité de révolte, et de notre désir de vérité, de liberté et de bonheur véritable, est dans les faits telle que, si elle se déployait de manière assez généralisée, elle montrerait à la face du monde que cette toile d’araignée s’avère en fait, même si elle est puissante et inquiétante, plus fragile qu’on nous le fait croire. C’est en tout cas ce que nous révèle la crise actuelle, ainsi que le courageux travail d’établissement de la vérité de certains – dont la presse la plus vivace (en premier lieu Mediapart).

Un point fondamental est aussi que cette toile d’araignée du système, et l’atmosphère sociale qu’elle crée, étaient avant la crise systémique pour beaucoup dans l’efficacité économique de la majorité silencieuse. En effet, celle-ci, pour essayer de faire au mieux avec beaucoup de bonne volonté, utilisait son inventivité et sa vitalité ainsi atténuées et canalisées dans le sens quasi-unique de la « production de richesses », et particulièrement voire uniquement de la richesse des classes dirigeantes. La participation généralisée à l’enrichissement général et la « croissance » sous la forme qu’elle prenait alors étaient le signe d’un compromis problématique de notre collectivité avec la logique de concentration des richesses et du pouvoir.

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