GRAVITY – DE LA SURVIE DANS L’ESPACE À LA SURVIE DE L’ESPÈCE, par Annie Fortems

Billet invité.

Duo de mécanos en combinaison de travail pressurisée, la scientifique Dr Ryan Stone, et le cosmonaute Matt Kowalski, l’apprentie malhabile et l’expert goguenard de l’espace, nagent en apesanteur affairés à bricoler le télescope Hubble. Dans cet atelier spatial, les gros boulons d’acier qui s’échappent de leurs mains lourdement gantées volent dans le vide, silencieusement, vers le spectateur qui, par la magie de la 3D, est tenté de tendre la main pour les rattraper. Cet environnement macroscopique qui réduit les personnages à de la poussière d’étoiles exsude l’inquiétude.

De la beauté grandiose, semblant inaltérable, va surgir une cruelle réalité : la pollution spatiale. Un ouragan de déchets issus des poubelles de l’espace, lancés à une vitesse vertigineuse, va déchiqueter menu la station spatiale et décimer l’équipage. Seuls, les 2 scaphandriers mécanos en sortiront rescapés mais condamnés à mort : le cordon vital qui les reliait à la station matrice est coupée. La terre ne répond plus. L’oxygène est compté.

Les voilà tous deux, en cordée, errants dans le vide, vagabonds de l’espace en quête d’abris de fortune. Entités masculine et féminine sauves, réunifiées mais en sursis. On comprend que le manque d’air n’est pas seul responsable de l’asphyxie de la scientifique qui depuis longtemps déjà survit en apnée …

Matt contraint Ryan à accepter son legs : la confiance en soi et la pulsion de vie qu’il a acquises dans un monde fait par les hommes, pour les hommes. Son décrochage semble dire que l’heure est venue de mettre un terme à ce type d’organisation. En ultime héritage, il lui suggère un paradoxe pour changer de système et survivre : detourner l’énergie disponible vers un but inversé.

Scènes préfigurant de futures dévastations climatiques. Allégories d’un monde à bout de souffle et d’un autre à inventer d’urgence, au prix de rupture radicale, sous peine de destruction. Un mille-feuille de lectures du film s’offrent à nous.

Le psychanalyste saluera l’élaboration du clivage mortifère au profit d’une unification des parties féminine et masculine, libératrice pour la personne. Le spécialiste des neurosciences verra à l’oeuvre les deux parties du cerveau, la gauche et la droite, et l’alliance féconde de la science et de la rationalité avec l’intuition, l’émotion et la spiritualité. L’helléniste aimera cet hymne à Métis, déesse de la ruse adaptative qui ouvre la voie aux chemins de traverse menant à la créativité, au-delà des procédures et du formatage. Le géopolitique, l’écologiste, le climatologue décèleront un appel à la coopération lancé aux grandes nations (américaine, russe et chinoise) pour relever les grands défis auxquels est confrontée l’humanité. Le féministe et le poète y verront la confirmation que la femme est l’avenir de l’homme.

Les interprétations s’empilent, s’entrecroisent et se complètent. L’économiste hétérodoxe et anthropologue, y verra, comme Ryan, les preuves que, seul un changement radical de système, des solutions simples plutôt que l’excès de complexité, une vision spatiale et transdisciplinaire, la détermination, le courage, permettront l’avènement d’un nouveau paradigme dont l’enjeu ne serait rien d’autre que la « survie de l’espèce ».

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