LE VOTE BLANC NOUS PRIVERAIT DU CHOIX D’UNE ALTERNATIVE POLITIQUE, par Patrick Duprez

Billet invité, en réponse à la proposition de manifeste de Zébu

Cher Paul Jorion,

Je ne sais pas si je fais partie de ceux qui « désespèrent » auxquels (entre autres déçus de la politique), s’adresse le manifeste qui est paru sur votre blog le 14 novembre 2013, mais je suis d’accord pour l’essentiel avec le  « programme » pour sortir de la crise que « Zébu » a exposé à notre critique.

J’ai été particulièrement interpellé par l’appel pour le vote blanc contenu dans ce manifeste tant la tentation pour moi,  vieil électeur socialiste, de ne plus participer aux simulacres de démocratie qui nous sont régulièrement offerts dans les pays occidentaux, est grande.

Pourtant, réflexion faite et au vu de la situation politique française présente, il est peu probable que je franchisse un jour le pas. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette attitude favoriserait la venue au pouvoir en France de la droite extrême et rajouterait à la crise socio-économique actuelle, une composante anti-démocratique bien éloignée de la fraternité et de la morale que prônent tous les Républicains authentiques.

Est-il nécessaire d’être grand visionnaire pour constater que tous les éléments pour la venue au pouvoir de la droite dure ou extrême sont actuellement réunis dans notre pays ? Crise économique majeure, chômage massif, sentiment d’insécurité (réel ou supposé), peur du déclassement accentuée par la panne de l’ascenseur social, montée d’un fort sentiment irrationnel d’envahissement, etc. L’ensemble de ces éléments produisant au mieux du désespoir ou du repli sur soi et au pire, une montée de l’intolérance, de la xénophobie et du racisme le plus décomplexé.

Je constate aussi que la droite classique (de moins en moins républicaine à mon avis), faute de pouvoir seule « fédérer » tous les conservateurs nationaux, est engagée dans une surenchère dangereuse avec les thèses de la droite extrême, lorsqu’elle ne joue pas aux « apprentis sorciers » par sa démagogie partisane en oubliant ses responsabilités prégnantes dans la non résolution de la crise économique actuelle.

À ces éléments inquiétants pour la cohésion sociale de notre pays et la démocratie, je rajouterai l’instrumentalisation par la droite et les médias à sa solde d’un « ras le bol fiscal » ou l’irrationnel et la bonne foi cachent l’égoïsme des nantis. Loin de moi l’idée  que l’écotaxe soit un bon impôt mais je pense que les actions des commandos qui brûlent les biens de la Nation sont plus proches de celles de la grève des camionneurs au Chili en 1973, que de celles de citoyens légitimement en colère.

Suite à ces constats qui deviennent chaque jour un peu plus évidents, je ne peux partager l’opinion d’Emmanuel Todd qui déclare dans le n°865 de Marianne que la révolte des « bonnets rouges » est une chance pour la France, alors que les intérêts et les buts des participants aux manifestations (allant de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par les agriculteurs, les opposants au mariage pour tous, etc.) sont pour le moins incompatibles et contradictoires.

Je crois aussi que les expressions haineuses ou racistes qui accompagnent chaque sortie du chef de l’État et des membres du gouvernement – et que certaines personnalités très médiatiques légitiment – ne soient davantage du harcèlement factieux que l’expression d’un combat politique sincère !

Sans pour autant exonérer le président Hollande et le gouvernement de toute responsabilité dans la situation actuelle, j’ai encore la faiblesse de croire que l’expression politique même vive et sans concession, peut faire l’économie de siffler le président de la République pendant les cérémonies du 11 novembre à Paris comme à Oyonnax !

Et pour couronner cette situation délétère, l’agence de notation Standard&Poor’s vient de baisser la note de la France (pour des raisons idéologiques selon Paul Krugman) ce qui peut entraîner notre pays (s’il ne rentre pas davantage dans le rang des bons élèves néolibéraux ?) dans une situation à la grecque en donnant le signal de la curée aux spéculateurs. Est-ce le début de la  « stratégie du choc » dévoilée par Naomi Klein appliquée à la France ?

Je ne vois pas très bien non plus comment « Zébu » peut penser qu’un vote blanc (même important) forcerait les partis politiques à assumer seuls les conséquences de leurs choix… Je pense qu’au contraire, les partis de droite sauront se contenter des suffrages (même très relatifs) des minorités votantes qui leur permettent de garder le pouvoir au détriment du plus grand nombre. D’ailleurs, le néolibéralisme peut se contenter sans problème d’une majorité relative en attendant que les « techniciens » qu’il appelle de ses vœux prennent un jour la relève de la démocratie représentative !

D’ailleurs, où le vote blanc peut-il trouver ses partisans les plus ardents sinon à gauche et chez les progressistes légitimement frustrés par l’absence persistante d’alternative politique crédible. A contrario, je peux vous assurer que les nantis et ceux qui les soutiennent inconditionnellement (et qui votent contre vents et marées) seront inévitablement rejoints par la « cohorte » des déçus en tous genres, et rallieront sans état d’âme la droite la plus extrême, lors des prochaines échéances électorales. Pour ma part, je n’ai pas envie de tenter l’expérience et de jouer la carte des « idiots utiles » de la droite dure.

On pourra me rétorquer que cette « droite dure » n’aura pas davantage les moyens économiques de donner satisfaction à la masse des mécontents, que ceux qui se prétendent de gauche actuellement et que le peuple finira par se retourner contre elle. La belle affaire puisque les dégâts seront là ! Je ne suis pas sûr non plus (bien que l’Histoire ne repasse pas les plats) que la démagogie et la haine ne suffisent pas une nouvelle fois à calmer bien des mécontents. Faudra t-il une nouvelle guerre pour remettre les compteurs à zéro ?

Travaillons plutôt à trouver une alternative politique crédible à la toute puissance de la finance mondialisée en construisant  au niveau national (et européen) des passerelles entre les divers mouvements d’opinion et organisations politiques qui veulent vraiment que ça change. Je pense qu’il est notamment possible de trouver bien des points d’accords entre les « Economistes atterrés », « Roosevelt 2012 » et bien d’autres encore (sans oublier ceux qui s’expriment habituellement sur le blog de Paul Jorion) car ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous sépare.

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