Angela Merkel verrouille les postes-clés à Bruxelles, par Jean-Michel Naulot

Billet invité. Également publié sur son blog.

La vérité oblige à dire que la chancelière allemande est sur le point de réaliser le grand chelem dans le jeu des nominations à Bruxelles. Rappelons les faits. En début d’année, Angela Merkel est allée chercher Jean-Claude Juncker comme candidat à la présidence de la Commission alors qu’il était quasiment retiré de la vie politique. Afin d’assurer la victoire de ce dernier face à Michel Barnier lors de l’élection primaire de Dublin, une compétition plus serrée que prévu, Angela Merkel a promis aux parlementaires espagnols du PPE, en échange de leur vote, qu’elle soutiendrait le moment venu la candidature du ministre de l’économie espagnol à la présidence de l’eurogroupe. La nomination de Luis de Guindos s’est ainsi jouée dès le mois de mars, pas ces jours-ci. Jean-Claude Juncker est devenu Président de la Commission après la victoire du PPE aux élections européennes et Luis de Guindos prendra la présidence de l’eurogroupe au début de l’année 2015.

La présidence de la Commission et la présidence de l’eurogroupe sont deux postes-clé dans la conduite de la politique économique en zone euro. Or, ces deux postes seront occupés par des hommes qui sont les symboles des politiques d’austérité. Jean-Claude Juncker a piloté les missions de la Troïka comme président de l’eurogroupe. Luis de Guindos a transformé l’Espagne en « atelier de sous-traitance », comme le résume Thierry Pech. Et, comme si cela ne suffisait pas, pour qu’il n’y ait vraiment aucun risque de dérapage dans l’application de cette politique, Angela Merkel aurait obtenu que le futur commissaire français aux affaires économiques, Pierre Moscovici, soit dans le sillage d’un vice-président de la Commission, lui-même en charge de l’économie, le finlandais Jirky Katainen. Comme Premier Ministre, ce dernier a été un champion de l’austérité dans un pays qu’il laisse en forte crise.

La nomination du polonais Donald Tusk à la présidence du Conseil européen, idée pour le moins curieuse en pleine crise ukrainienne, au moment où il faudrait plutôt apaiser les tensions que de jeter de l’huile sur le feu, risque d’ajouter encore un peu d’austérité à l’austérité. Très proche d’Angela Merkel, très libéral, il serait un grand admirateur de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher !

Une fois ce dispositif en place, il faudra beaucoup de courage à François Hollande et Matteo Renzi pour évoquer une politique de relance lors des deux sommets européens qui sont programmés à cet effet. Si ces sommets sont un remake du sommet de juin 2012 sur la fameuse initiative de croissance, consistent à évoquer des projets très vagues qui ne seront finalement jamais réalisés, la situation risque de devenir de plus en plus explosive au sein de la zone euro tant le profil des dirigeants nommés est à l’opposé du désir de réorientation et de renouvellement exprimé lors des élections européennes.

Mais, rêvons un peu ! Si ces sommets permettent d’aborder, même au prix d’une crise politique, le problème des excédents courants allemands qui poussent à la surévaluation de l’euro, les dangers des politiques de dévaluation interne, l’assouplissement des critères de gestion budgétaires, la nécessité de faire converger les politiques fiscales et sociales pour éviter des concurrences totalement destructrices dans le cadre d’une monnaie unique, la zone euro aura fait un premier petit pas dans la bonne direction. Autrement, il deviendra de plus en plus évident que c’est le système de la monnaie unique lui-même qui ne convient pas à ces économies européennes multiples, que ce système crée plus de problèmes qu’il n’en résout.

Chacun sent bien que la zone euro est désormais à la croisée des chemins. La France en est la parfaite illustration, elle qui est tiraillée entre la préservation de son modèle social, un modèle que le monde entier avait admiré en 2008 pour son efficacité face à la crise, ce que l’on oublie un peu aujourd’hui, et le basculement vers un libéralisme de type anglo-saxon, en vogue dans une partie de l’Europe. Jusqu’à présent la France a su résister à cette tentation.

Partager :

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote bancor BCE Bourse Brexit capitalisme centrale nucléaire de Fukushima ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta