LA DEUTSCHE, PREMIÈRES LEÇONS, par François Leclerc

Billet invité.

Demandant à être confirmée officiellement, l’annonce de la diminution de l’amende du ministère de la justice américain a « quelque peu apaisé les inquiétudes des marchés financiers », peut-on lire ce matin au hasard de la revue de presse. L’affaire de la Deutsche Bank ne serait-elle donc pas terminée ? Ramenée à 5,4 milliards de dollars, l’amende épuise quasiment toutes les provisions destinées à régler le coût des litiges, dont la liste de ceux qui sont en attente reste impressionnante, et d’autres loups sont désormais sur la place publique.

La Deutsche ne bénéficiant pas aux États-Unis de la même impunité qu’en Europe, il a été tenté d’incriminer les autorités américaines et d’y voir un prêté pour un rendu après la mise en cause fiscale d’Apple par la Commission. En l’occurrence, cette explication est un rideau de fumée flattant l’anti-américanisme et destinée à exonérer les coupables européens de leur mansuétude passée pour la Deutsche. En tout état de cause, affirmer sa bonne santé n’est plus crédible.

Le système bancaire européen et ceux qui le tiennent à bout de bras ne sont pas au bout de leurs peines et émotions, les raisons en sont multiples : un héritage soigneusement dissimulé datant de 2007, une appétence marquée pour les instruments de destruction massive que sont les produits dérivés, ainsi que dans le cas des banques italiennes une accumulation de prêts non performants résultant de la politique menée par des gouvernements européens endoctrinés. « Qui connaît la réalité sait que la vraie question sur la finance en Europe n’est pas celle des créances douteuses italiennes, mais celle des produits dérivés des autres banques », s’était exclamé exaspéré en juillet dernier Matteo Renzi.

La vitesse avec laquelle les marchés ont réagi et fait chuter les valeurs bancaires en Bourse ces derniers jours ne lui donne pas tort. Elle est significative de l’effet domino qui a été craint : le système financier est dépendant de la santé de ses mastodontes et en cela rien n’a changé. L’effondrement de la Deutsche a été jugé crédible, et la référence à celui de la banque américaine Lehman Brothers s’est significativement imposée. Alors qu’une intervention publique faisait l’objet de supputations contradictoires, ce rappel de la décision du gouvernement américain de ne rien faire prenait tout son sens : pas question de recommencer ! Enfin, les réactions se voulant apaisantes des autorités allemandes et de la banque, loin de calmer le jeu l’ont attisé. Comme si elles n’étaient par contre pas crédibles.

Dans l’urgence, les banquiers européens ont obtenu le soutien d’une Commission craignant d’être à nouveau dépassée par les évènements, si d’aventure des sauvetages bancaires sur fonds publics ne pouvaient être évités. Ce qui a conduit celle-ci – une grande première – à s’opposer ouvertement au Comité de Bâle, coupable selon elle de charger la barque. Mettre en cause le calcul du risque opéré sous la responsabilité des banques dépasse les bornes et pourrait aboutir à déstabiliser d’autres mégabanques européennes. Le fait que François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, soit monté au créneau pour réclamer que cette réforme irresponsable soit enfouie dans un tiroir donne une idée de l’identité de celles qui pourraient craindre d’en faire les frais.

Le spectre des produits dérivés et de l’évaluation du risque hante les milieux financiers qui n’ignorent pas leur important volume au bilan des mégabanques, au sein desquels ils constituent de véritables trous noirs. Dans le cas de la Deutsche, cela induit une forte interrogation sur la valeur effective de son capital. La valorisation d’une quarantaine de milliards d’euros d’actifs illiquides et pour lesquels il n’existe pas de référence de prix sur le marché attire particulièrement l’attention, alors que la capitalisation boursière de la banque est tombée à 14 milliards d’euros. Et leur répartition sommaire par nature d’engagement laisse sur sa faim.

La taille démesurée des bilans des mégabanques européennes provient essentiellement de leur activité sur le marché des produits dérivés. Une constatation à rapprocher de la remarque de Mario Draghi, qui la semaine dernière relevait que les banques de l’eurozone étaient devenues trop grosses par rapport aux besoins de leurs économies. Elles ont été portées par les vents balayant le monde financier, obnubilées par la compétition qui les oppose dans la grande salle du casino.

Il est de plus en plus fait état de la nécessité pour les banques de « changer de modèle », sans plus de précision. Une nouvelle antienne, après celle des « réformes structurelles ». Lorsque cette question venait auparavant sur le tapis, c’était généralement en défense du modèle de « banque universelle », c’est à dire faisant tous les métiers à la fois, afin de combattre la séparation de leurs activités. On comprend aujourd’hui qu’il y autre chose qui cloche, mais quoi ? Les banques connaissent une baisse de leur rendement, les marchés financiers n’étant plus ce qu’ils étaient et l’économie le même point d’appui, comment peuvent-elles y remédier ? La réponse est toute trouvée : pressées de diminuer leur exposition au risque, elles privilégient le dégraissage de leurs effectifs, attendant beaucoup de la technologie Blockchain, une fois celle-ci adaptée à leurs besoins et à leurs exigences, dans le but d’initier une grande mutation.

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