Retranscription de la répétition de TEDx Chambéry, « Un monde sans argent ». Merci à Marianne Oppitz !
Bonjour,
La première chose que je vais vous demander, c’est de venir avec moi et nous allons remonter le temps. Nous allons remonter de 80 années en arrière et nous allons nous déplacer aussi parce que nous allons nous retrouver à Cambridge, en Angleterre. Nous sommes dans les années 30 et nous sommes dans la chambre – dans son collège à King’s College – du grand économiste John Maynard Keynes. Il réfléchit, il réfléchit à la misère qu’il y a autour de lui… il réfléchit à une société qui se défait, où les oppositions entre les différentes parties de la société conduisent à un effondrement et, il se dit : « Que peut-on faire ? On ne peut pas mettre tout le monde autour d’une table et espérer que tout le monde soit d’accord. Mais on peut réfléchir dans l’autre sens, dans l’autre direction, et si on ne peut pas mettre tout le monde d’accord, on peut, peut-être, se concentrer sur le fait de rendre le minimum de gens pas d’accord. Il y a des gens dans nos sociétés qui ne sont pas contents de la manière dont les choses se passent et ils ont raison. Et, chaque société a le choix de traiter ses citoyens d’une manière ou d’une autre. »
Quand on parle de moyennes, de « salaires moyens », de choses de cet ordre là, on ne parle pas de la distribution. La « distribution », en statistiques, c’est la différence entre ceux qui sont les moins bien traités et ceux qui sont le mieux traités. Et Keynes se disait : « On peut rendre dans une société, le ressentiment, l’insatisfaction, on peut les faire tomber à un minimum et c’est ça qu’il faudrait faire. » Il ne faut pas se concentrer sur l’idée d’un consensus qu’on ne pourra jamais réaliser parce que des goûts et des couleurs, on ne discute pas, il y a toujours des tas d’avis. Et il se dit à ce moment là : « Quelle serait la chose qui pourrait nous permettre de faire baisser l’insatisfaction dans notre société ? »
Quand on travaille, on peut être bien payé, on peut être mal payé, mais il y a une chose en tout cas, c’est que, si on est payé et, en général, c’est le cas – parce que maintenant évidemment, les choses vont encore plus mal qu’autrefois, parfois – eh bien, en général, on a quand même la satisfaction de ramener de l’argent à la maison, de pouvoir faire vivre sa famille, d’avoir un toit, de pouvoir, voilà ! de voir grandir les enfants, d’avoir une épouse qui travaille peut-être aussi, bien entendu et d’avoir la satisfaction d’avoir de l’ouvrage bien faite pendant la journée.
Alors, revenons sur terre, revenons maintenant… reprenons cette réflexion de John Maynard Keynes et posons-nous la question si les choses sont encore comme avant. Eh bien, là, malheureusement, non ! Le plein-emploi ne reviendra pas. Pourquoi ? Eh bien, nous le savons : on parle de robots mais il n’y a pas que des robots, mais la machine nous a remplacés pratiquement sur tout. Oui, on parle d’Intelligence Artificielle, on parle de la Singularité : quand les machines seront plus fortes que nous sur tout, mais le remplacement des êtres humains ne se fait pas, en général par de l’Intelligence Artificielle, il se fait par des choses très simples : les comptables sont remplacés par des tableurs, les anciennes ou les anciens sténo-dactylos ont été remplacés par des traitements de texte. Tout ça, ce n’est pas de l’intelligence artificielle, mais c’est de la machine, c’est de l’ordinateur. À une époque, j’ai moi aussi travaillé à remplacer les traders dans les banques, en faisant des logiciels qui les remplaçaient. On appelle ça, aujourd’hui, des algos.
Les gens sont remplacés par la mécanisation sous des formes diverses. Vous savez, ce petit objet qu’on appelle un « smartphone ». Eh bien, cet objet on l’appelle toujours un téléphone mais, vous le savez bien, c’est aussi un pense-bête, c’est un agenda, c’est un appareil photo, c’est une caméra. C’est une caméra qui est meilleure que les meilleures caméras qu’on faisait dans les années 80.
Voilà ! C’est partout ! Nous sommes remplacés de plus en plus. Il y a des études qui nous montrent que nous allons être remplacés dans nos emplois, que sur 100 ans, à 100 ans, nous serons tous remplacés par la machine et, à des dates diverses, nous serons remplacés, dans différents emplois, par des machines qui nous remplacent. Il y a déjà des restaurants où ce sont des robots qui travaillent dans les cuisines, qui apportent la nourriture à table et c’est vous, simplement en mettant une carte, vous avez pu commander par une tablette et vous mettez ensuite votre carte de crédit dans une fente qui est dans la table et puis, vous partez. Vous n’avez pas vu d’être humain et puis d’ailleurs, il n’y en a plus autour de vous.
Et c’est le rêve que nous avions eu ! Nous voulions faire ça ! Quand j’étais gosse, on parlait de l’an 2000 et on pensait à l’avenir. Et on pensait à un avenir de robots et on irait tous à la pêche. On irait tous se promener avec nos petits-enfants ou nos enfants et nous serions heureux ! Et ça n’a pas eu lieu !
Ça n’a pas eu lieu parce que les robots ne sont pas venus : ça n’a pas eu lieu parce que nous n’avons pas pensé à une caractéristique de notre système. Notre système est un système économique qui s’appelle le « capitalisme ». Et dans le capitalisme, eh bien, c’est le propriétaire de la machine qui reçoit l’argent que la machine fait : ce n’est pas celui qui a été remplacé. Déjà, un philosophe suisse, Sismondi – au début du 19è siècle – avait dit : « Mais c’est la personne qui est remplacée par une machine, c’est elle qui devrait bénéficier du fait d’avoir été remplacée. C’est l’humanité qui avance, c’est un progrès que nous voulons. » Mais ça ne s’est pas fait comme ça.
Cela ne s’est pas fait comme ça : nous vivons dans un système où, quand une usine ferme, si vous voulez, parce qu’il n’y a plus d’êtres humains, il n’y a plus que des robots à travailler et, si il y a encore quelques êtres humains, on les voit sur des photos : sur un endroit où on voyait plusieurs milliers de personnes autrefois, on voit deux ou trois personnes sur l’image, en train de vérifier, plus ou moins, ce qui se passe. Le monde n’a pas eu lieu de cette manière là. Le plein-emploi ne reviendra pas.
Alors, il faut réfléchir ! Il faut réfléchir, quand même, à ce qu’avait dit Keynes : « Qu’est-ce qui pourrait, aujourd’hui, faire que le ressentiment, dans nos sociétés, soit au minimum ? » Alors, j’ai réfléchi. J’ai réfléchi quelques jours et puis, l’illumination m’est venue – un matin en me réveillant – et je me suis dit : « Si je me réveillais, ce matin, dans un monde sans argent, est-ce que je n’aurais pas le sentiment que j’ai vécu jusqu’ici dans un immense cauchemar et que je me réveille dans un monde qui pourrait être le paradis ? »
Vous le savez, il y a eu une époque où je pensais à l’argent toutes les minutes, ou toutes les trente secondes. Pourquoi ? Eh bien parce que je n’en avais pas. Et qu’il fallait en payer et que je n’en avais pas. J’avais quatre enfants à charge et je n’en n’avais pas : on ne voulait pas de moi dans les endroits où on pouvait employer des gens.
Alors, vous savez ce que ça fait quand on est comme ça. Quand on est comme ça : quand on pense à l’argent toutes les trente secondes. Eh bien, ça tue les familles… ça tue les familles et ça fait pleurer les petits enfants.
Alors, voilà ! Voilà pourquoi si on pouvait terminer ce cauchemar, ce serait une bonne chose.
Maintenant, j’ai de la chance ! J’ai de la chance, je pense à l’argent deux ou trois fois par jour, et j’ai de la chance parce que quand on me demande des sommes, eh bien, il y a en a sur mon compte en banque, il y a assez pour les payer.
Mais vous n’avez peut-être pas – vous ici ou les gens qui vont me regarder – vous n’avez peut-être pas la chance que j’ai aujourd’hui. Vous avez peut-être la malchance que j’ai eue à une époque.
Alors, voilà le rêve ! Écoutez : on va regarder ce que quelqu’un a écrit à une époque.
Le plus grand bien
« Quel est le premier objet de la société ? C’est de maintenir les droits imprescriptibles de l’homme. Quel est le premier de ces droits ? Celui d’exister.
La première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister ; toutes les autres sont subordonnées à celle-là. […] Les aliments nécessaires à l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable pour la conserver est une propriété commune à la société entière. Il n’y a que l’excédent qui soit une propriété individuelle et qui soit abandonnée à l’industrie des commerçants. […]
Quel est le problème à résoudre en matière de législation sur les subsistances ? Le voici : assurer à tous les membres de la société la jouissance de la portion des fruits de la terre qui est nécessaire à leur existence, aux propriétaires ou aux cultivateurs le prix de leur industrie, et livrer le superflu à la liberté du commerce. Je défie le plus scrupuleux défenseur de la propriété de contester ces principes, à moins de déclarer ouvertement qu’il entend, par ce mot, le droit de dépouiller et d’assassiner ses semblables ».
Alors, vous avez vu, cette « législation sur les subsistances », ce n’est plus comme ça qu’on parle maintenant ! Qui est-ce qui parlait comme ça ? Qui est-ce qui a prononcé ça, dans un « discours sur les subsistances » ? Eh bien, c’est un certain Maximilien Robespierre.
Ah ! Je sais ce que vous allez me dire tout de suite : « Oh là là ! Un assassin, un sanguinaire ! », etc. Il faut penser à plusieurs choses…
il faut penser à plusieurs choses : les troupes étrangères avaient envahi les frontières, au Nord et du côté de l’Alsace, de la Lorraine. La guerre civile régnait en France. Tous n’étaient pas d’accord avec l’idée de la Révolution. Alors, qu’a fait Robespierre ? Il en a appelé à la Vertu. Et là, oui ! S’il y a bien une chose qu’on peut lui reprocher, c’est sa naïveté. Il a cru qu’en demandant aux hommes et aux femmes, la Vertu, que tous allaient se rassembler. Certains l’ont fait, mais pas tous. Alors, qu’a-t-il fallu faire ? Oui, il a fallu mettre en place la Terreur pour essayer de sauver la patrie en danger.
Donc, on pensera ce qu’on voudra de Robespierre, c’est lui qui a prononcé ces termes sur « Le plus grand bien ». Il y a une chose qu’il faudrait dire quand même. Vous vous souvenez comment on l’appelait ? On l’appelait « l’Incorruptible ». Et si vous regardez autour de vous, si vous regardez les journaux, si vous regardez la télé, si vous regardez les nouvelles, vous vous rendrez compte qu’il n’y a pas beaucoup de gens, autour de nous, qu’on aurait pu qualifier de la même manière, comme « l’Incorruptible ». Alors, réfléchissons à cela aussi quand on pense à Robespierre !
La gratuité dont il parle ? Eh bien oui, ce n’est pas comme si on n’avait jamais vu ça ! À une époque, l’éducation, l’instruction, était gratuite. Il y a une époque, pas si ancienne, où la santé était gratuite. Et puis, on nous a dit : « Oui, eh bien, on ne crée plus assez d’argent, alors, on ne peut plus le faire ! » Mais, c’est qui, qui ne crée plus assez d’argent ? Est-ce que ce n’est pas parce qu’on remplace des gens par des machines ? Et que ces machines travaillent pour des personnes qui concentrent la richesse ? Est-ce que ce n’est pas à cause de ça ?
Vous avez vu ce chiffre ? Ce chiffre qu’on dit : 8 personnes aussi riches que la moitié de l’humanité. Huit personnes au monde aussi riches que 3,7 milliards de personnes ! Je vous rappelle ce que c’est que 3,7 milliards – je vous le rappelle parce que moi j’ai fait une erreur de calcul l’autre jour, je vais vous dire quoi – 3,7 milliards, c’est 3,7 multiplié par mille, multiplié par mille, et encore multiplié par mille. Eh oui : j’avais oublié de multiplier, une dernière fois, par mille. Mille fois mille, fois mille, c’est ça un milliard. Égale à 8 ! Alors ne me dites pas qu’on n’est pas assez riches !
Non, ce qu’il y a, c’est qu’on ne sait plus partager. C’est ça qu’on a oublié : on a oublié qu’on peut partager ! On a oublié que les machines pouvaient travailler pour nous. Pour nous tous et pas simplement pour certains. On nous dit : « La gratuité, on ne pourra pas le faire parce que ça coûte trop cher ! ». Ce n’est pas vrai !
Ce n’est pas vrai : nous sommes suffisamment riches. Mais nous ne savons pas redistribuer la richesse. Nous ne savons plus comment il faut le faire. Alors, qu’est-ce que je propose ? J’ai proposé ça, en 2012. Et j’ai la chance qu’un candidat aux élections, Monsieur Hamon, ait repris mon idée. J’ai proposé ce qu’on appelle « la taxe robot ». Je l’ai appelée, moi, à l’époque, « taxe Sismondi » parce qu’il ne s’agirait pas que des robots : il s’agirait aussi des logiciels, il s’agirait des algorithmes, des téléphones : des smartphones, et ainsi de suite : tout ce par quoi nous sommes remplacés – pour le plus grand bien de l’humanité – mais sans savoir partager les bénéfices.
Il faudrait une taxe sur la mécanisation et avec cette taxe sur la mécanisation, on pourra recommencer à faire d’abord que l’éducation soit de nouveau gratuite. On pourra faire que la santé soit de nouveau gratuite. Et puis, après on pourra l’étendre à d’autres choses. On pourra l’étendre, par exemple, aux transports en commun de proximité. On pourra l’étendre à un logement minimum. On pourra l’étendre à la gratuité sur la nourriture. « La gratuité sur la nourriture ? Ça empêchera les gens de manger du caviar s’ils le veulent ? » Mais non, ce n’est pas une bonne idée [de toute manière] de manger du caviar. Mais non, ce n’est pas ça qu’on va faire. On va étendre le système des chèques-repas. Et puis, ça existe déjà, d’une certaine manière, la gratuité pour l’alimentation : aux États-Unis, 15 % de la population vivent des « food stamps » qui sont comme cela exactement : ce sont des chèques ou des coupons pour l’alimentation.
Oui, on peut le faire ! Oui, on peut instaurer la gratuité : nous sommes assez riches pour le faire ! Certains d’entre nous sont trop riches pour que nous puissions le faire tous, mais nous pouvons le faire.
Alors, le monde auquel je rêve, c’est le monde où je me réveillerai demain : je me réveillerai et j’ouvrirai les yeux et je me dirai : « Il n’y a plus d’argent dans ce monde : ce cauchemar absolu a disparu ! Les familles vont être heureuses ! Les gens qui pensaient toute la journée à l’argent qu’ils n’avaient pas en quantité suffisante, tous ces gens se réveilleront au paradis ! » Ce paradis, nous le méritons !
Voilà ! À bientôt !
L’IA et nous. Pour nous en sortir, dans notre société, l’IA va-t-elle aider les travailleurs à continuer à travailler, les…