Occident et Orient : Trumpisme et taoïsme, le 2 août 2018 – Retranscription

Retranscription de Occident et Orient : Trumpisme et taoïsme, le 2 août 2018. Merci à Éric Muller et Lucas Decoret !

Bonjour nous sommes le 2 août 2018, et aujourd’hui l’objet de ma vidéo sera « Occident et Orient : Trumpisme et taoïsme ».

Vous savez, j’en ai parlé abondamment – surtout dans ce livre-ci dont je vous ai déjà parlé : ça s’appelle Défense et illustration du genre humain, ça a paru chez Fayard en mai – de la nécessité aujourd’hui de mettre ensemble, de combiner les bonnes choses de l’Occident avec celle que nous avons comprises en Orient. Il faut mettre tous les atouts dans son jeu si l’on veut éviter l’extinction et pour cela faire attention à ce qui a pu être dit chez nous et aussi à ce qui a pu être dit ailleurs.

Mon titre c’est parce que je vais commencer par vous parler de la notion de wu wei dans le taoïsme qui est souvent présentée comme une notion de non-agir : qu’il ne faut pas intervenir, qu’il faut d’une certaine manière être un témoin extérieur aux événements du monde et que la recette du bonheur se trouve là. En fait c’est une erreur d’interprétation, et la traduction par non-agir n’est pas nécessairement bonne. Dans ce livre que je viens de vous montrer, je l’ai appelé plutôt le moins-agissant.

Quelle est cette notion ? Eh bien, elle est assez bien expliquée dans ce conte taoïste que je vous ai déjà rapporté, celui de Confucius qui se promène le long d’une rivière avec certains de ses suivant et qui voit un homme tomber du haut d’une cascade et il dit à ses hommes d’essayer de retrouver le corps de cet homme qui est certainement mort. Et on retrouve l’homme un peu plus tard mais il est en train de siffloter, en train de se promener dans un sentier le long de la rivière. Bien sûr Confucius lui demande : « Que s’est-il passé ? » Et cet homme explique qu’il a l’habitude, de se jeter du haut de cette chute d’eau, de cette cascade, et qu’une fois qu’il se retrouve dans les remous qui se trouvent en bas et qui paraissent si dangereux à Confucius, parfois il va dans le sens du courant en nageant avec énergie et parfois au contraire il se laisse simplement aspirer par le tourbillon qui va le rejeter autour.

Voilà de quoi il s’agit. C’est-à-dire que cette notion, c’est celle simplement d’un monde qui va dans une certaine direction, et où il faut utiliser parfois son énergie pour aller à l’encontre de ce monde, aller à contre-courant, pour lui imposer ce que l’on veut, personnellement. Mais qu’à d’autres moments, il suffit de se laisser aller parce que le monde va précisément dans la même direction que l’endroit où vous voulez aller. Il s’agit donc pas d’un non-agir ou d’un non-agissant, mais d’un moins-agissant : utiliser ses efforts le moins possible en essayant de comprendre comment le monde fonctionne à un moment particulier.

Pourquoi est-ce que je vous parle de ça ?

Si je vous parle de ça en rapport avec le trumpisme, c’est parce qu’il y a un peu plus d’un an, a été nommée une commission, à la tête de laquelle se trouve un procureur spécial, « spécial counsel » en américain, qui s’appelle M. Robert Muller, et la tâche de cette commission était, et est toujours, de déterminer s’il y a eu collusion entre M. Trump et une puissance étrangère, et celle qui se trouve dans le collimateur est essentiellement la Russie mais il pourrait y en avoir d’autres. Et très rapidement, M. Trump – qui n’est pas conscient des principes du taoïsme – est intervenu, en particulier en réagissant de manière immédiate en limogeant le directeur du FBI : M. James Comey et en reprochant de manière véhémente au ministre de la justice M. Jeff Sessions de s’être récusé personnellement dans la supervision de cette affaire, transmettant en fait la direction de M. Mueller à son adjoint principal M. Rod Rosenstein.

Pourquoi M. Jeff Sessions s’était-il récusé : c’était parce qu’il avait menti -accidentellement ou délibérément – quand on lui avait posé la question s’il avait été en rapport lui-même avec des Russes et il avait dit non. Il était apparu ensuite que si, bien entendu, il avait rencontré longuement l’ambassadeur de Russie. Il s’était alors défendu de manière assez maladroite en disant qu’il croyait qu’on l’interrogeait simplement sur la période [après] les élections et pas sur la période [avant], mais il a eu le bon goût de se récuser lui-même pour tout ce qui touche justement à une éventuelle collusion avec la Russie.

Alors l’enquête est devenu rapidement : y a-t-il collusion, et par la suite : y a-t-il des interférences, y a-t-il des tentatives du côté du pouvoir à essayer d’empêcher cette enquête d’avoir lieu. Et depuis on ne sait pratiquement rien de ce que Mueller… Si : il y a eu des inculpations qui ont touché un certain nombre de personnes, en particulier dans un premier temps une équipe de Russes qui font de la désinformation, ensuite une équipe de Russes qui sont des fonctionnaires au service de surveillance comment on appelle ça ? « intelligence », du renseignement en Russie. Et en plus, quelques personnes comme M. Rick Gates, comme M. Manafort, Michael Flynn, etc. mais finalement peu de choses. Ce qui apparaît maintenant ou ces jours-ci c’est que M. Paul Manafort passe en justice. Il est devant les tribunaux mais pas directement pour une histoire de collusion, simplement qu’on a découvert au passage qu’il a travaillé de manière cachée, pour une puissance étrangère, en fait des intérêts russes en Ukraine, et son procès a commencé.

Mais que se passe-t-il pendant ce temps-là ?

Donc de M. Robert Mueller, on ne sait pas grand-chose. On l’attendait au moins pour faire une déclaration à la presse au moment de l’inculpation d’abord c’était en février [le 16 février 2018] si j’ai bon souvenir et ensuite ça vient d’avoir lieu ça devait être au mois dernier ça devait être en juillet [le 13 juillet 2018], l’inculpation de deux équipes russes de qualités différentes. On s’attendait à ce qu’il fasse une déclaration à la presse, et non, c’est M. Rosenstein qui, dans les deux cas, a parlé à la presse.

Donc M. Robert Mueller a un profil absolument bas ! C’est-à-dire : il a compris le wu wei. Il a compris que ce qui était important en ce moment, c’est le fait que le monde va dans son sens, et qu’en ne disant rien, qu’en faisant savoir simplement qu’il fait une enquête, cela suffit. Et il a probablement raison, puisque, dans le camp adverse, dans le camp de M. Trump – je vous en informe au jour le jour – c’est l’agitation complète : on est au bord de la panique, on produit des fuites, probablement pour aller toujours un peu…, pour essayer d’aller à l’avant de l’information, pour essayer… comment dire…, de faire de la gestion du risque. On commence par dire « pas de collusion », et puis on dit, officiellement : « la collusion n’est pas un crime » ; c’est-à-dire, quand même, un changement de stratégie !

Et tout le monde est d’accord : si la collusion n’est pas un crime telle que définie par la loi américaine, c’est parce qu’elle renvoie à une notion beaucoup plus précise de conspiration. Et celle-là, c’est absolument clair : c’est un crime. Le mot collusion cache en fait le mot conspiration. Il n’y a pas à y aller par quatre chemins.

Autre chose, tiens, puisque je parle des changements de stratégie pour aller au devant de l’information : l’utilisation du « Trump Derangement Syndrome », le Syndrome du dérangement mental de Trump. C’est une expression qui est utilisée dans son camp de manière systématique en ce moment, pour dire que la presse de gauche est absolument obsédée par l’idée que M. Trump aurait des problèmes de santé mentale. Alors, on peut se poser la question de savoir s’il n’y a pas connaissance, de leur côté aussi, d’un rapport qui doit sortir, et qui montrerait qu’on ne peut plus se défendre sur la ligne de défense qui serait « pas de collusion » – alors on dit « la collusion n’est pas un crime » -, et qu’on ne peut plus, peut-être, se défendre sur la ligne de défense consistant à dire « M. Trump n’est pas un malade mental ».

Qu’est-ce ce qui conduirait à cela, justement, à ce diagnostic de maladie mentale caractérisée ? Mais la manière dont il se conduit ces jours-ci. C’était hier : il a lancé une série de tweets en disant « M. Sessions devrait interrompre la chasse aux sorcières de cette enquête, de cette investigation de M. Mueller ! ». Pourquoi est ce que ça signalerait un problème de santé mentale ? C’est parce que M. Trump doit savoir que ce n’est plus M. Sessions qui peut décider de ça. Je viens d’en parler : M. Sessions s’est récusé. Il n’a pas la possibilité d’interrompre [l’investigation], de limoger M. Mueller à la tête de la commission d’enquête. Comment se fait-il que M. Trump ne sache pas ça ?

Le plus remarquable, c’est la manière dont ses avocats, M. Sekulow et M. Giuliani, ont réagi à ce tweet de M. Trump, hier, disant « Il faut que M. Sessions interrompe tout de suite cette enquête ». Les deux avocats de Trump ont dit la même chose. Ils ont dit, à la presse qui posait des questions : « Ignorez ce que vient de dire M. Trump ! ».

Quand les avocats d’un client, en particulier quand il est Président de la République des États-Unis, République fédérale des États-Unis, quand les avocats disent : « Ignorez ce que dit notre client ! », alors les gens disent « Oui, mais enfin, il est quand même Président des États-Unis », il est quand même la personne qui dit que ses tweets, c’est de la politique, c’est une manière de définir la politique américaine, ses avocats disent : « Non, ignorez-le ! ».

Il y a un deuxième cas. Ça date aussi d’hier ou d’avant-hier, où ses avocats disent : « Ignorez ce que dit Trump ». C’est dans les affirmations, maintenant, de Trump, qu’il veut absolument rencontrer Robert Mueller, et qu’il veut faire une déposition, répondre aux questions que Mueller veut lui poser. Et là aussi, de manière tout à fait significative, ses deux avocats disent à Mueller « Ignorez ce que M. Trump dit là ! ».

Trump explique aussi pourquoi il veut maintenant rencontrer absolument M. Mueller. Il l’a dit : « Ça me tue, cette enquête de Mueller ! ». Et le procès, en ce moment même, qui vient de commencer, de M. Paul Manafort, qui a été, à une époque, son directeur de campagne : « C’est un truc qui me tue ! » et il veut y mettre fin en allant voir Mueller.

Alors, pourquoi est ce que les avocats disent : « N’y allez surtout pas ! » ? Eh bien, il le disent gentiment, parce que c’est quand même leur client, M. Trump n’a pas la capacité, n’a plus ou n’a pas, la capacité de distinguer ce qui est vrai et faux, et donc, il s’expose à du parjure s’il se trouve devant cette commission, et il va dire des choses dont M. Mueller sait qu’elles ne sont pas vraies.

Alors voilà où on en est : on en est au moment où les avocats de Trump laissent entendre que des problèmes de santé mentale empêchent leur client de parler devant une commission, où il s’incriminerait lui-même, de manière quasi automatique. Et ça nous renvoie à ce nouveau mot d’ordre du côté de Trump : rire de l’idée qu’il pourrait avoir des problèmes de santé mentale sérieux.

Si vous réfléchissez à ce que j’ai dit, en ayant lu le livre de Erich Fromm, à ce sujet-là, à l’époque où Erich Fromm, au début des années soixante, avait fait ce livre pour essayer d’expliquer Hitler. On ne peut pas simplement dire… si on dit « Hitler est fou », ou était fou, on ne comprendra jamais, on ne comprendra rien quand un cas du même genre se représentera. Hitler n’était pas fou, mais il se mettait dans une position telle que la folie pouvait le guetter, et qu’il pouvait basculer.

Et je vous avais montré, quand j’avais parlé de ça, cette scène extrêmement bien faite d’un film, il y a quelques années, sur la chute de Hitler, et où Hitler explique à ses généraux, dans le bunker, que rien n’est perdu parce que le général Untel, j’ai oublié son nom [Felix Steiner (1896-1966)], est en train d’ arriver par le nord de Berlin… et que les généraux à coté de lui se regardent en disant : « Excusez-nous, mais le général Machin n’a pas pu réunir les troupes auxquelles vous pensez », et à ce moment-là, il éclate. C’est bien fait : c’est Bruno Ganz, un très grand acteur, qui montre quelqu’un, là, qui est fou… Qui ne l’était pas au début de la conversation, mais qui l’est à ce moment-là.

Alors voilà. J’arrête là-dessus.

Une petite remarque, quand même : j’ai le sentiment, personnellement, en parlant de tout çà, de me trouver dans la même situation où j’étais il y a 11 ans. C’était l’été de 2007. J’avais expliqué, au mois de février, que le marché des titres subprimes était en train de s’effondrer, et que le jeu de dominos… non pas « le jeu » de dominos, que les dominos allaient, les pièces allaient tomber les unes après les autres…Et je suivais ça à la trace. Et j’étais là, au mois d’août, à faire peut-être pas des vidéos à l’époque, mais je faisais des billets, et je disais « Voilà : maintenant on est passé à l’étape suivante, maintenant il y a ceci, il y a cela, etc. ». Et je regardais la presse française, et il n’y avait [rien]. J’étais là, dans l’urgence, à vous expliquer un effondrement du monde financier qui avait lieu sous mes yeux, et dans les journaux français, on vous parlait de tas de choses, mais pas de ça.

Alors, il y a en ce moment, un écroulement, un effondrement, un événement, en tout cas, d’une ampleur extraordinaire aux États-Unis, un événement qui n’a jamais eu lieu dans leur histoire. On fait des parallèles avec le Watergate, mais des commentateurs (je regardais ça hier) nous disaient : « On est potentiellement dans quelque chose qui est du Watergate au carré ! ». On est encore dans une toute autre dimension, et j’ai regardé, depuis quelques jours, depuis que vous regardez abondamment mes vidéos : rien en première page du Monde en ligne : il y a là une vingtaine de titres, on ne parle de rien… Je suis allé voir dans Le Figaro où il y a deux choses sur les États-Unis : il y a des restes de soldats morts en Corée qui vont être honorés, et l’économie américaine a augmenté au premier trimestre de 4,1 %. Sur cette saga Trump, sur cette sorte d’effondrement, d’implosion du système politique américain en ce moment : silence radio absolu.

Du coup, j’ai ce sentiment de « déjà vu », qu’on est comme en 2007 : des choses extrêmement importantes se passent, et en France… Si : vous pouvez lire l’affaire Benalla ; je ne veux pas dire par là que ce n’est pas important (si ! c’est important !) mais il n’y a pas que ça quand même dans l’actualité mondiale ! Aujourd’hui, gros titre : deux rappeurs qui se sont castagnés à l’aéroport d’Orly 🙂 Et pendant ce temps-là, en arrière-plan, tout le système commercial mondial est en train de s’effondrer, l’OTAN est remis en question par sa nation dirigeante, toutes les tentatives de maîtriser les catastrophes de l’environnement sont renversées par l’administration Trump, et ce monsieur est en train de disjoncter complètement, en train de péter les plombs entièrement, en étant le président d’une très grande nation, qui a le doigt sur la gâchette, le détonateur nucléaire… et dans les titres de la presse française : rien (rires) !

Voilà. Allez je vous laisse là-dessus. On est le 2 août. Il fait à nouveau très beau. Si vous avez la chance d’avoir une plage pas trop loin, allez vous baigner tout à l’heure. Personnellement, je crois que je vais suivre mon propre conseil !

À bientôt !

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