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Les Gilets Jaunes cristallisent-ils quelque chose ? Une « percolation » de plusieurs segments de la société est-elle à l’œuvre, permise par leur irruption hors norme sur la scène, permettant aux pièces du puzzle de s’assembler et de faire levier sur les inégalités, les tragédies environnementales, et autres affres du capitalisme consumériste telqu’il va ?
En fait de théorie, ce serait une théorie de la « dé-percolation », de ce qui se passe quand ça ne veut pas percoler, qui me semble pouvoir éclairer plusieurs débats.
La base : Tout groupe cherche une façon de s’assurer d’un socle commun, avec un peu d’identité dedans, en échange de la sécurité et d’une dose variable de liberté (et d’impôts). Quand, au sein de ce groupe, ce « marché » n’est pas évident parce qu’y sont apparues des classes, on peut avoir polarisation entre classes, etc. je ne refais pas le cours de marxisme ni sa variante anthropologique.
La donne actuelle, c’est que le groupe que je vais qualifier hâtivement de « petit blanc français à étiquette jaune » ne trouve pas son content dans les termes de l’échange sécurité/liberté. La sécurité saute lors du chômage (qui insécurise de vaste pans de la population) et la liberté saute quand la consommation est contrainte (transports + logement + urbanisme+ Nike même pas en solde pour les enfants ados – j’ai droit à deux points « cliché »).
Allant voir à l’échelon supérieur qui pourrait être l’endroit où on va pêcher ce qu’il y a de mieux, les membres de ce groupe n’y trouvent rien de bien (l’Europe version UE ne peut vendre de bel et bon que l’impalpable paix depuis 60 ans, ça n’est plus très sonnant ni trébuchant), et d’autant plus qu’ils sont sur le flanc de la montagne et craignent de descendre la pente (les Bulgares en bas de la pente regardent le haut quand ils zyeutent l’UE). Et allant voir à l’échelon local (partis, syndicats), c’est aussi le vide.
Troisième élément : Le patron et son évasion fiscale sont encore là dans le tableau (l’ISF est souhaité du coup), mais pas en tant que responsable de type « 200 familles » (mon deuxième point « cliché »). Pas vraiment de point de prise là-dessus, d’où une absence et une autre cause de « dépercolation ».
Faute de percolation (on en raison d’une dé-percolation, donc) de ces échelons d’inspiration dans la pyramide, la tentation est logique (au sens de l’intelligence objective d’une certaine dialectique, ou d’une ruse de la sale histoire) de renforcer le seul échelon qui semble se tenir là : l’échelon national. C’est la seule table que trouve le puzzle jaune du moment pour s’assembler. Hypothétique rempart contre les multinationales (ça fait un peu rigoler en France, certes, mais côté imaginaire on est quand même des démonteurs de McDo et côté réel des taxeurs de Google/Amazon au 1er rang, ce qui reste light certes), lieu où la percolation désirée pourrait se produire (« Macron démission » a une chance d’aboutir, « Juncker démission », aucune, et on s’en fout en plus).
Du coup, si on en reste à un schéma classique (je pense bien me tromper en disant ça), la résurgence à venir, pouvant prétendre prendre soin de ce manque et s’appuyant sur un peu de sémantique « nationale », ce serait celle d’un « gaullisme social », construit sur les ruines prochaines du wauquiezisme, dans le lointain sillage du séguinisme et du chevenementisme. Autres ingrédients ? Les fondamentaux de l’extrême droite peuvent aussi bien polluer lourdement cela que s’en trouver assez distancés, je ne parierais pas dans un sens ni dans l’autre. Au total, la séquence finirait par ressembler à celle de 1848 : le social est en détresse (non sans lien avec une révolution technique/industrielle), mais si la structure dominante veut se maintenir, elle se donne au plus fort. Dans les termes d’aujourd’hui : si un Macron avec ses premières tendances autoritaires n’assure pas le SAV assez bien, on le remplace par un démagogue plus doué, mais avec le même deal au fond. Napoléon III avait su parler aux « petites gens » sans sembler trop arrogant, aux standards de 1850.
La classe des entrepreneurs n’étant pas directement menacée par le mouvement actuel (sauf peut-être la variante « blocage des flux » que propose Le Yéti), elle finira par mettre en place les interlocuteurs qui l’arrangent : il faudrait vraiment que l’énarchie ait bouché tous les tuyaux pour qu’ils ne soient pas entendus. Via les médias tels qu’ils sont, la porte leur reste ouverte, y compris par les non-énarques très actifs par derrière comme Niel.
Bref le « brun » (doctrine nationaliste & d’extrême droite) est pour l’instant le colorant qui tache comme le brou de noix quand, faute de percoler ailleurs, le peuple fluo utilise comme seul canal de gouvernance non entaché de nullité celui de la nation. Choix dicté par la perception de la nullité des autres canaux, que cette perception de nullité soit elle-même près du réel ou dictée par des contraintes historiques ou systémiques (réseaux sociaux, calendrier électoral, moment charnière dans la « crise sans fin » où de surcroit à ses inégalités économiques, l’Europe trébuche lourdement en politique, etc.). Il y a donc encore énormément de boulot pour faire percoler une lutte sociale sur cette base (on n’ose pas dire un « social-isme » !). Ce pour quoi le temps long pourrait être un atout : c’est la condition d’un changement progressif du discours, de la fin d’une « dé-percolation » qui fait pour l’instant de l’échelon national un carrefour ambigu.
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