Post-scriptum à « Fin du capitalisme : bonnes nouvelles ! »

Post-scriptum à Fin du capitalisme : bonnes nouvelles !

Je n’ai pas été le seul avant-hier à avoir salué la déclaration officielle du syndicat patronal américain Business Roundtable affirmant qu’il faut mettre fin à la prééminence de l’actionnaire dans la définition des objectifs de la firme, pour y inclure quatre autres parties prenantes : ses clients, ses employés, ses fournisseurs et la communauté, en les faisant bénéficier toutes du même traitement équitable.

Je rappelle que le slogan « L’entreprise fonctionne pour le seul bénéfice de ses actionnaires », dû au Prix Nobel d’économie (sic) Milton Friedman, a eu valeur de dogme au cours du demi-siècle écoulé, et peut être considéré comme la devise du capitalisme dans sa version ultralibérale. Pour rappeler quel genre de bonhomme était Friedman, Andrew Ross Sorkin, auteur d’un excellent livre sur la crise des subprimes : « Too Big To Fail » (2009), cite le passage suivant d’un article du lauréat publié en 1970 dans le même New York Times  :

Qu’est-ce que cela signifie de dire que le « monde des affaires » a des responsabilités ? Les hommes d’affaires qui s’expriment de cette manière sont à leur insu les marionnettes des forces intellectuelles qui sapent les fondements de la société libre des récentes décennies.

Vous avez dû noter que M. Friedman s’était très poliment abstenu de dire « les marionnettes des Bolchéviques », pour recourir à une circonlocution. Ceci dit, il a dû encore attendre six longues années avant de recevoir son prix, alors que cette seule phrase suffisait à le lui faire mériter !

Certains d’entre vous, dans vos observations ici, et d’autres ailleurs, ont déjà affirmé que cette déclaration de PDGs US ne les engageait en fait à rien. Permettez-moi de vous faire remarquer alors que cela souligne hélas à quel point la mentalité du « monde des affaires » est devenue également la nôtre : nous considérons tous aujourd’hui que la déclaration d’un PDG ne l’engage à rien, que sa promesse, c’est du vent.

Souvenez-vous, nous avons déjà eu cette discussion ici, c’était il y a onze ans, à propos du discours de Toulon de M. Sarkozy, quand il annonçait les mesures qu’il allait prendre pour entériner la fin du capitalisme, et que je l’avais félicité, et que vous étiez là à clamer : « C’est bidon, il ne le fera jamais ! Comment pouvez-vous ne pas le savoir ! », et que je vous répondais que la question n’était pas là, que l’essentiel était dans la différence qui existe entre « Reprocher un jour à quelqu’un de ne pas avoir fait quelque chose dont il n’a en fait jamais parlé » et « Rappeler plus tard à quelqu’un qu’il n’a pas fait quelque chose qu’il avait promis de faire ».

Pourquoi cette initiative des gens de la Business Roundtable ? Pour le Financial Times, la raison est claire : que l’opinion publique identifie désormais le monde des affaires à une position nuancée et conciliante face à la colère qui gronde à l’égard de ses habitudes, que cette colère soit celle des électeurs fascisants de Trump ou des partisans à gauche d’Elizabeth Warren et de Bernie Sanders, et de notre commando de choc favori des quatre « socialistes de couleur », comme on s’exprime là-bas.

Et puisqu’il a beaucoup été question ici de septembre 2008, vous vous souvenez peut-être aussi de cette émission à l’époque sur France Culture où j’étais opposé à un banquier qui en fait approuvait chaleureusement tout ce que je pouvais avancer, et à qui j’avais demandé du coup dans le couloir, une fois l’émission terminée, pourquoi le monde de la banque ne me suivait pas dans ce cas-là, et qui m’avait répondu : « Nous vous suivrons dès que les marchés auront déterminé que c’est la voie à suivre ! »

La déclaration de la Business Roundtable, est-elle le signe que les marchés sont désormais prêts à opérer leur tournant ? On peut rêver… Ou au contraire être réaliste ? Difficile à dire ! Comptez sur moi en tout cas pour vous tenir au courant 😀

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