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L’économie de guerre des États-Unis (1941-1945) : le dirigisme au pays du libéralisme
Pourtant fervents défenseurs du libéralisme économique depuis ses origines, les États-Unis ont dû se résoudre à une économie de guerre au moment du second conflit mondial après le choc de l’attaque de Pearl Harbour par les Japonais le 7 décembre 1941. L’objectif partagé d’un accord commun par la population et la tête de l’État fédéral était la capitulation sans conditions du Japon et de l’Allemagne. Tout au long de l’effort de guerre, la priorité demeurait l’effort industriel en équipement militaire pour soutenir les Alliés dans le combat.
Un gigantesque système pyramidal permettait d’avoir une emprise quasi-totale sur les prix, la production et la consommation. Le contrôle des prix était coordonné par l’Office de stabilisation économique créé fin 1942 « qui dispose des pouvoirs les plus étendus en matière de contrôle du pouvoir d’achat, des prix, des traitements et salaires, des profits, du rationnement et du ravitaillement » selon Harold Callender, correspondant à Paris du New York Times durant la guerre lors d’un colloque organisé par la Comité d’Action Économique et Douanière, sur « l’économie de guerre des États-Unis » ayant eu lieu le 11 décembre 1944.
Une constellation de départements coordonnaient le contrôle des prix dans quasiment tous les secteurs, que ce soient les biens de la vie courante, le matériel de guerre ou les matières premières. Selon l’économiste Hugh Rockoff (America’s Economic Way of War, 2012), on dénombrait une centaine d’agences créées pour contrôler les prix des différents secteurs. « Au total, depuis 1939, malgré la hausse des produits agricoles, et grâce à la remarquable stabilité des loyers, des carburants et des métaux, l’ensemble des prix aux États-Unis n’a pas augmenté de plus du tiers, soit trois fois moins qu’entre 1914 et 1918 », selon Callender. Le système de rationnement était très étendu : « le système des tickets s’étend aujourd’hui [fin 1944] à 95% des produits alimentaires. »
La mobilisation de la population était massive. On comptait, selon Callender « un million d’hommes dans les forces armées en 1941, douze millions en 1944. Les effectifs de l’industrie de guerre avaient augmenté plus vite encore : passant de cinq cent mille en 1940 à 20 millions à la fin de 1943. Cet extraordinaire développement s’est fait sous la direction de la Commission de la main-d’œuvre en temps de guerre (War Manpower Commission, présidée par Paul Mac Nutt) créée en août 1942 pour assurer la meilleure mobilisation et utilisation de la main d’œuvre dans l’industrie et l’agriculture ».
À partir de Pearl Harbour, une accélération sans équivalent de la production industrielle a lieu sous le Victor Program de Franklin Roosevelt : « onze mois après Pearl Harbour, plus de la moitié de la production totale des États-Unis allait à l’effort de guerre » alors que les États-Unis partaient quasiment de zéro. À titre d’exemple, au 7 décembre 1944, 56 229 navires de guerre, 230 737 avions ; 203 085 chars d’assaut et 1 796 764 camions avaient été construits par l’industrie américaine. À noter qu’à l’époque il suffisait de 350 avions en service pour assurer toutes les lignes commerciales.
Hugh Rockoff n’explique pas le succès de l’économie de guerre par son économie centralisée mais par un parallèle historique, la ruée vers l’or en 1848 :
Lorsque l’or a été découvert en Californie en 1848, la relation favorable entre le prix que le gouvernement paierait pour l’or et le coût de production a été perçue immédiatement. Des hommes et des femmes ont cessé de labourer, de ferrer leurs chevaux, et se sont dirigés vers la Californie. […] C’est le même phénomène qui a joué en 1942. Une fois perçue la relation favorable entre les prix que le gouvernement allait payer pour les munitions, les usines de production de munitions et le coût de production des munitions, la ruée a alors pu débuter. Les bénéfices des sociétés après impôts, y compris l’impôt sur les bénéfices excédentaires en temps de guerre, ont augmenté d’environ 40% entre 1939 et 1942 (Hugh Rockoff, America’s Economic Way of War, 2012).
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