Trends-Tendances : Covid-19 : premières leçons, le 28 mai 2020

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Premières leçons

Ce n’est pas fini et tout dépendra de la deuxième vague, voire des vagues suivantes si un vaccin met plus d’un an à venir, dans l’hypothèse où l’on parvienne à en mettre un au point.

Mais comme l’on a déjà appris beaucoup de choses, malgré d’immenses plages d’incertitude, le moment n’est pas mal choisi pour un premier bilan. D’autant que l’on a assisté en direct à une expérience véritablement globale car à l’échelle du monde.

De multiples comparaisons sont possibles, principalement à l’échelle des pays, mais certains d’entre eux ont récolté des données précises à l’échelle de régions, de provinces. Cela étant dit le débat s’est ouvert dès le début sur la possibilité ou non de comparer les chiffres officiels communiqués par les différents pays : les autorités ont-elles été honnêtes, les administrations ont-elles été capables de mesurer tout ce qu’il aurait fallu mesurer ? Quoi qu’il en soit, il apparaît clairement que certaines nations s’en sont mieux tirées que d’autres en ayant moins de morts et une économie plus prompte à redémarrer.

On ne sera pas surpris que ce soient l’ordre, la discipline, la prudence et la prévoyance qui se soient révélées payantes. Ordre : dépistage précoce, sitôt les premiers cas détectés, et systématique pour opérer un traçage des porteurs sains et les isoler avant qu’ils ne contaminent d’autres personnes. Discipline : consignes précises, cohérentes, et respectées par la population. Prudence : prendre les mesures aussitôt qu’elles s’imposent, sans atermoyer. Prévoyance : avoir envisagé l’éventualité d’une telle pandémie et disposer en nombre suffisant de masques, de tests, de lits en réanimation et de respirateurs.

Première constatation : toutes les cultures, toutes les nations, tous les régimes politiques, tous les systèmes économiques, ne sont pas aussi robustes face à une crise de ce type. Le laisser-faire, le chacun comme il l’entend, ne font pas nécessairement bon ménage avec l’ordre, la discipline, la prudence et la prévoyance.

Ainsi, nous avons dit de certaines mesures prises en Chine : « des atteintes aux libertés individuelles qui seraient jugées intolérables chez nous », alors que les Chinois disaient d’elles : « une manifestation de solidarité au sein de la population dont les citoyens des autres nations se sont révélés incapables ». Deux manières de voir les choses, mais qui n’enlèvent rien à l’incontestable efficacité des mesures chinoises.

Pensons aussi aux deux politiques extrêmes qui se sont trouvées confrontées : l’éradication du virus ou la recherche de l’immunité de groupe au plus vite.

Je rappelle que l’immunité de groupe est atteinte quand chacun est immunisé pour avoir survécu à la maladie ou avoir été porteur sain ayant développé des anticorps. L’éradication mobilise l’ordre, la discipline, la prudence et la prévoyance sous ses formes les plus extrêmes. L’immunité de groupe permet de les ignorer entièrement, en confiant à la nature de résoudre le problème à sa manière.

À noter que si ces deux positions se situent aux pôles opposés sur le plan de l’humain, elles sont probablement les deux approches optimales sur le plan économique.

La France a apparemment envisagé pendant quelques jours l’immunité de groupe, et le Royaume-Uni, quelques semaines, avant de se raviser tous deux devant leur incapacité à gérer l’afflux de patients et l’engorgement du système hospitalier. Cette valse-hésitation a eu un coût important en termes de décès sans pouvoir conjurer pour autant une paralysie prolongée de l’économie.

Pourquoi l’immunité de groupe a-t-elle été rejetée d’office par la Chine et acceptée, du moins pour une courte période, par d’autres pays ? Aventurons une hypothèse. L’Occident n’a cessé d’être religieux que depuis moins d’un siècle, et l’idée flotte toujours, au moins dans les inconscients, qu’être mort dans ce monde-ci ne signifie pas nécessairement être mort pour de bon. Et que du coup, un coût élevé de morts – mort « relative » – les malchanceux allant « au Ciel » – n’est peut-être pas si cher payer pour sauver l’économie. Alors que la Chine, tout au long de son histoire n’a jamais cessé d’être essentiellement athée : la vie ici-bas est la seule dont nous disposerons jamais, sans examen de rattrapage, et tout doit être fait pour la sauver.

Reste encore la troisième voie, celle authentiquement religieuse dans notre tradition, dont Donald Trump est aujourd’hui l’actif promoteur : les fléaux permettent à Dieu de reconnaître les siens et de punir les méchants. Sur le plan pratique, une telle conception ne se distingue en rien de la recherche au plus vite de l’immunité de groupe. Le problème des États-Unis est alors l’existence de régions athées sur son territoire, ayant plus de sympathie pour la conception chinoise. D’où aux États-Unis, une double approche qui s’apparente à celle de l’hésitation entre éradication et immunité de groupe, et qui, comme elle, débouche sur un résultat sub-optimal : trop de morts d’un côté, et une économie trop endommagée de l’autre.

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3 réponses à “Trends-Tendances : Covid-19 : premières leçons, le 28 mai 2020”

  1. Avatar de Eloi Batard
    Eloi Batard

    Bonjour, c’est très bien de protéger nos vies, dans nos pays riches, avec nos réflexions intellectuelles et scientifiques à n’en plus finir, heure après heure. Prédictions, qui fait mieux, qu’elle est le dixième de point que personne à vue, là, et qui change toute la lecture de l’épidémie. Et lui il a dit ça, et moi je pense que peut-être la semaine prochaine… Super. Mais, qu’en est-il des millions de vies sur la sellette dans des pays moins touchés par ce virus, mais déjà en permanence touchés depuis des années par la première des dignités humaines, manger à sa faim, avoir des soins santé basiques ? Ces millions de morts supplémentaires, ajoutés à ceux existants chaque année, pour cause d’arrêt économique des pays riches qui n’apportent plus l’aide de survie -miettes du partage, à défaut de partager les richesses dès le début- (cf papier unicef). J’attends ces horribles chiffres, les vrais bilans, dans 1 ou 2 ans. Triste à en mourir. Excédé par l’arrogance de nos choix égoïstes. Je résume : pas le système de santé au niveau de nos richesses ; peur inconsidérée de la mort due à un sentiment de surpuissance matérielle et une éducation et une société qui éradique totalement la mort, décision de confinement égoïste sans mettre dans l’équation les répercutions de sa mortalité dans le monde entier ; les petites vies et morts de mon chez moi ; débouche sur un monde avec encore moins de liens et plus de technologies. Chapeau les sachants.
    Bon, j’avais besoin que ça sorte.
    Salut à tous, que les idées continuent à circuler bien sûr. Mais je trouve que l’on perd bien trop souvent la boussole de la simplicité, de la générosité, et de l’humilité face au vivant qui nous entoure, qui nous fait vivre. Le monde est parfois dangereux, parfois clément, il faudra bien l’accepter pour vivre harmonieusement en son sein. Tchao

    1. Avatar de juannessy
      juannessy

      Je retiens avec vous , qu’il y a plus de leçons à tirer du traitement réservé à la misère que du traitement des pandémies ( dont les miséreux n’ont plus rien à apprendre )

  2. Avatar de Le Bitoux Jean François
    Le Bitoux Jean François

    Jorion 28/5/2020 – Je suis incapable d’imaginer ce que pense une « foule », encore moins un peuple. J’aurai tendance à imaginer qu’il pare au plus pressé sans réel souci écologique. Du côté des dirigeants, l’égo reste le même : ils ne savent pas faire autre chose que de s’appuyer sur les autres. Ils cherchent donc la meilleure technique pour reprendre pied après avoir été ballotés par des flots impétueux, le réchauffement et la câblage de la planète aidant.
    Chacun est devenu suspicieux du voisin, plus précautionneux et fait facilement un détour. Le temps a ralenti et que ça a un impact économique : on réfléchit par deux fois avant de se jeter dans une consommation devenue moins urgente ; c’est une autre hiérarchisation des priorités dans un contexte nouveau.
    Mais un abîme s’est ouvert. Etienne Klein et ses amis s’inquiétaient depuis plus de 10 ans de la dévaluation de la « Science » et de tous ceux qui s’en réclament. Reconnaissons que « nous » ne sommes pas encore sortis de cette auberge espagnole où communications et réseaux ont pris leurs aises. La technique de « sauvetage » retenue, le confinement généralisé, est basée sur un degré d’ignorance maximum de la pathologie, véritable peste moyenâgeuse. Nous vivons une pathologie dont nous ignorons presque tout bien que disposant d’une étude génomique considérée comme une technique de pointe sensée « tout nous révéler ». Médecine et science ont du mal à rester crédibles ! Depuis 50 ans et plus, un chercheur qui a du mal à trouver 3 sous pour financer un programme, sait qu’il est de bon ton de suggérer que dans ses travaux se trouve peut-être la solution Cancer. Après plus de 4 millions de références sur la base de données PubMed, et plus de 500 références quotidiennes, le Cancer est devenu les cancers mais l’interrogation demeure et les inquiétudes suivent. Avec plus de 15.000 références en moins de 6 mois, la Covid-19 y a probablement établi un nouveau record ? Même si l’heure n’est plus à la performance sportive. Il faudra quand produire une synthèse digeste de tant de « connaissances » et des traitements efficaces, sans trop tarder et aussi « scientifique » que possible, par de là des statistiques impuissantes. Cette pandémie produit un immense questionnement scientifique qui bouscule toutes nos activités.
    Et tout ça pourquoi ? Parce qu’une particule virale est mieux adaptée à notre physiologie, elle va plus vite que ses cousins prédécesseurs à se reproduire et est ainsi plus rapide-ment envahissante. Et de par cette cinétique de réaction elle détraque le fonctionnement sociétal mondial : chapeau l’artiste ! En fait c’est ce que chacun fait dans sa spécialité au quotidien : aller plus vite que le voisin en espérant rafler la mise avant les autres. Puisque des lois mondialisées d’une extraterritorialité bien ordonnée disent que le premier prend tout ! Coronavirus SARS-CoV 2 renvoie tout le monde à la case départ. Alors on reprend la course comme avant ? Ou bien, à titre d’exemple, on interdit les Jeux en bourse basés sur une plus grande vitesse de décision ?

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