Texte inédit.
Lewis Henry Morgan était avocat de profession. Il fit carrière dans la politique, devenant successivement député puis sénateur. Très curieux de nature, il rédigea la première monographie sur le castor américain.
Alors âgé de 23 ans, il crée en compagnie de jeunes hommes progressistes comme lui une société secrète qui s’intitulera bientôt l’« Ordre des Iroquois » dont l’objectif était de ressusciter l’esprit de la Ligue iroquoise, une confédération de cinq nations, puis six (dont les fameux Mohicans), au XVIIe et XVIIIe siècles, centrée sur la région présente de l’état de New York et d’une partie de la Pennsylvanie. Un rituel d’« inindianation » leur permettait supposément de se transformer spirituellement en Iroquois.
Morgan mit ses talents d’avocat à la disposition des Iroquois à de nombreuses reprises, en particulier dans le cadre de diverses tentatives de les spolier. Il aida financièrement au cours de leurs études plusieurs Iroquois, et en particulier Ely Parker qui accéda au rang de général dans l’armée américaine. En guise de remerciement, les Iroquois nommèrent Morgan : « Tayadaowuhkuh » : celui qui enjambe le fossé (entre les Iroquois et les Américains d’origine européenne). Il publia ses conclusions sur ce peuple dans son livre intitulé The League of the Ho-dé-no-sau-nee or Iroquois (1851).
Entre 1859 et 1862, Morgan entreprit quatre expéditions dans des états centraux des États-Unis, ce qui lui permit de collecter les informations relatives à 51 terminologies de parenté. Sa dernière expédition fut interrompue par la mort brutale de ses deux filles lors d’une épidémie de scarlatine. Il écrivit : « Je n’ai pas versé une seule larme. Ceci est trop profond pour les larmes. Ceci met fin à ma dernière expédition. Je retourne chez moi, auprès de mon épouse en détresse et en deuil, en homme désespéré et anéanti ». Leur fils survivant était handicapé mental.
Découvrant la nature « classificatoire » de la terminologie de parenté amérindienne où un terme unique peut s’appliquer aux hommes d’une part, aux femmes d’autre part, d’une subdivision de ces sociétés « totémiques » : le clan, Morgan voulut établir une mappemonde des systèmes de parenté et contacta dans ce but une multitude de personnes à la surface du globe, avec un résultat décevant selon lui. Il publia en 1871 l’aboutissement de ses recherches, le livre intitulé, Systems of Consanguinity and Affinity of the Human Family, « systèmes de consanguinité et d’affinité dans la famille humaine ». Le terme de « descriptive » fut forgé pour les terminologies de parenté du type de la nôtre, par opposition donc à « classificatoire ».
Morgan conçut alors une classification évolutionniste des sociétés amérindiennes sur le territoire des États-Unis, où, les ayant exclues du stade de la « civilisation », il les classe à différents stades : « inférieur », « moyen » et « supérieur », de la « sauvagerie » (caractérisée par la maîtrise du feu, l’invention de la poterie et de l’arc) et de la « barbarie » (caractérisée par l’agriculture, la domestication de certains animaux et la métallurgie). Il synthétisa ses travaux dans un livre qui fit longtemps référence : Ancient Society (1877), traduit en français comme « La société archaïque ». Le marxisme débutant en particulier, sous la plume de Karl Marx et de Friedrich Engels, reprit telle quelle la représentation proposée par Morgan de l’histoire humaine.
L’objectif de Morgan, tel que formulé par lui-même : faire apparaître en surface
… la façon dont les sauvages, progressant à pas lents quasi imperceptibles, atteignirent la condition supérieure de barbare ; comment les barbares, par un processus similaire d’avancement progressif, atteignirent finalement la civilisation ; et pourquoi d’autres tribus et nations furent distancées dans la course au progrès – certaines dans l’état de civilisation, certaines de barbarie et d’autres de sauvagerie (Morgan 1877 : vi).
La tâche qui sera celle de l’anthropologue est ainsi clairement définie : situer chaque population dont nous avons pu décrire les us et coutumes à l’endroit précis où elle se trouve sur cette échelle évolutionniste où, selon ses termes, elle progresse imperceptiblement, à pas lents, d’un stade au suivant.
Il convient pour chaque société de parvenir au stade suprême, celui de la civilisation. Comment caractériser celle-ci ? C’est simple, nous explique Morgan :
Partant de zéro dans l’état de sauvagerie, la passion pour la possession de propriété, en tant que représentation de moyens de subsistance accumulés, domine désormais l’esprit humain parmi les races civilisées (ibid. vii).
Un portrait convaincant de ces Européens qui avaient dépossédé les Amérindiens par divers moyens, du subterfuge au massacre.
Texte inédit.
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