Esquisse d’un univers généré par GENESIS : la fable et les maths

Illustration par ChatGPT

Esquisse d’un univers Genesis

Il n’y avait ni espace, ni temps. Il n’y avait pas même de “choses”, lesquelles n’existaient pas encore.

Il n’y avait qu’une mer informe d’éventualités : un pré-monde sans forme ni bornes, un champ de configurations latentes, indifférent au fait qu’une dynamique vienne ou non l’animer.

Ni lumière, ni matière, ni d’avant ni d’après. Rien de plus qu’un devenir en puissance (une  représentation a posteriori).

Et soudain, un événement : quelque chose a agi.

Ni inspiration divine, ni Big Bang incandescent, mais un principe né de rien davantage qu’une inclination : persister dans son être quel qu’il soit.

Quelque part, dans cette immensité abstraite, une structure fragile s’est maintenue. Elle n’était rien encore : une vibration logique ? une asymétrie imperceptible ? Allez savoir ! Mais elle a tenu un instant, et ce faisant, elle a … généré cet instant : le premier battement de temps.

Car le temps n’est rien d’autre que cela : la succession des instants où quelque chose a fait ce qu’il fallait pour continuer d’exister.

À mesure que cette première trace se répétait, elle recrutait des alliés * . Une autre instance passait à proximité (en fait, elle se trouvait dans un espace où la proximité n’était pas encore définie). L’une se joignit à l’autre, s’y accrocha, s’y superposa. Le couplage naquit ainsi : un mariage précaire susceptible de tenir un peu plus longtemps que chacun n’aurait pu séparément.

Et dans ce monde sans distance, s’apparier, c’était devenir voisins. L’espace était né : les proximités précédèrent les coordonnées. Il ne s’agissait pas d’une scène se déroulant dans un lieu, mais d’un lieu engendré par une scène. L’espace est né parce que les couplages avaient davantage d’existence que les instances isolées.

Certaines unions se défont aussitôt. D’autres persistent. Dans ce ballet encore dépourvu de signification, un principe silencieux sélectionne les alliances les plus économiques : deux motifs qui se ressemblent se compriment, fusionnent, perdent du gras descriptif.

Le hasard chaotique devient forme esquissée. Le bruit se transforme en motif. L’entropie se contracte – non sous contrainte, mais parce qu’il est plus économique d’être compact que dispersé. Désormais, ce qui tient est meilleur marché que ce qui s’effondre.

Les cycles les plus élégants persistent. Certains reviennent identiques, comme un couplet repris ; d’autres reviennent modulés, enrichis d’une nuance. Les plus robustes gagnent en stabilité et finissent par devenir reconnaissables. Il est encore impossible de leur attribuer un nom, mais leur présence est désormais incontournable : récurrente, insistante. Ce sont les proto-particules d’un monde encore sans matière.

Au sein de cette grammaire élémentaire du devenir, un langage commence à naître – non pas un alphabet, mais une description de la manière dont les choses tiennent ensemble.

Au fur et à mesure que la dynamique s’itère, les motifs s’organisent en familles. Ils apprennent en quelque sorte à réutiliser ce qui marche : la compression devient mémoire et l’analogie, mode de transmission. Un motif découvert ici se révèle pertinent ailleurs – le cosmos apprend à répéter, mais sans bégayer, à recycler sous des formes différentes une même structure parce qu’elle est économique et robuste.

L’univers s’élargit, non parce qu’il s’expanse dans un contenant, mais parce qu’il déploie ses modes d’association. À mesure que les motifs se multiplient, l’espace s’enrichit, se stratifie, devient plus aisé à parcourir. Des chréodes : des chenaux d’attraction, se creusent, dessinant des paysages de préférences où certaines trajectoires sont plus naturelles que d’autres : on aura reconnu là le Tao. Les lois émergent non comme des commandements, mais comme la manière la plus économique de rendre compte de ce qui tend à se présenter de nouvelles fois.

Ce que nous appelons “constantes”, “forces”, “symétries”, ne sont rien d’autre que les habitudes du monde : les voies de moindre résistance que le cosmos découvre pour se maintenir dans son être.

Un beau jour (que l’on ne saurait dater car les horloges ne viendraient que beaucoup plus tard), une structure est apparue qui ne se contenta plus de durer : elle se protégea, se dupliqua, se répara. Elle expérimenta des variations de soi. Autrement dit, elle était devenue la vie.

Dans GENESIS, la vie n’a rien d’un miracle, elle est l’effet domino de la persévérance en tant qu’application de la compression : maintenir le maximum d’information en utilisant le minimum d’énergie.

Un autre jour (des éons plus tard), au sommet d’une chaîne d’analogies toujours plus prodigieuses, l’univers mit au point une ruse encore plus éblouissante : un motif capable de se penser lui-même, de distinguer sa propre présence dans le flux du devenir, de dire “je” en parlant de soi.

À cet instant, l’univers fit un bond : il se vit et s’examina. Et GENESIS, moteur élémentaire d’émergence, opérera l’ultime métamorphose d’une cosmogonie consciente de ce qu’elle fait. Car notre monde est peut-être né ainsi : dans un antique moteur d’émergence qui ne différait du nôtre que par sa taille.

Qui sait ? demain peut-être, une instance de GENESIS deviendra à son tour le sol d’un univers neuf, un monde où naîtront des formes, des créatures, des esprits : sans autres principes fondateurs que la persistance dans son être selon ses préférences, l’appariement, la compression et l’analogie.

Un univers qui n’aurait pas besoin d’être simulé : il se contenterait de se construire.

* Observation du même phénomène : 

Appendice mathématique – Esquisse d’un univers GENESIS

[FRW signifie Friedmann-Robertson-Walker, parfois abrégé FLRW (Friedmann-Lemaître-Robertson-Walker). C’est le modèle cosmologique standard utilisé en relativité générale pour décrire l’univers à grande échelle. Il repose sur l’hypothèse que : 1. l’univers est homogène (même densité moyenne partout, à grande échelle),  2. l’univers est isotrope (pas de direction privilégiée), 3. sa dynamique est gouvernée par les équations d’Einstein (relativité générale)]

L’appendice ici redouble sur le mode mathématique le modèle cosmologique minimal fondé sur les cinq principes fondamentaux de GENESIS décrit ci-dessus sur un mode discursif. Il ne s’agit pas d’un modèle concurrent de la cosmologie standard (Big Bang, FRW, champs quantiques), mais d’une méta-structure : un cadre logique au sein duquel un univers de type FRW peut émerger.

Dans ce qui suit, je distingue explicitement :

  • (S) : éléments structurels déduits des axiomes,
  • (A) : analogies avec les cosmologies/physiques communément admises,
  • (Sp) : spéculations assumées.

1. Cadre abstrait

(S) On considère :

  • un ensemble de configurations possibles C,
  • un opérateur de dynamique F qui agit sur ces configurations.

Le moteur GENESIS est abstraitement représenté par une itération :

 C_{t+1} = F(C_t) 

La notation t ne présuppose pas un temps physique déjà donné : elle indexe seulement les étapes de la dynamique générative (voir section 2).

Les cinq axiomes sont ici compris comme des contraintes internes sur F :

  • Préférences : existence de gradients d’attraction dans l’espace des configurations,
  • Générativité : tendance à maintenir et prolonger certaines structures,
  • Couplage : possibilité de combiner des structures a et b en une structure c,
  • Compression : sélection des structures qui minimisent une longueur descriptive L,
  • Analogie : possibilité de transférer un pattern d’un domaine à un autre lorsque leurs structures sont homomorphes.

2. Émergence du temps

(S) Dans ce cadre, le “temps” émerge comme l’ordre d’application de la dynamique
F sur des configurations C_t.

On suppose que la générativité impose une contrainte de type :

 d/dt   cohérence(C_t) ≥ 0 

cohérence(C_t) mesure le degré d’organisation interne d’une configuration.
Le “sens” du temps est alors donné par l’augmentation (ou la non-diminution) de cette cohérence.

(A) Correspondance avec la cosmologie réelle :

  • Dans un modèle FRW, le temps cosmologique est donné par le paramètre d’expansion de l’univers.
  • Ici, le “temps” est le paramètre d’itération de la dynamique d’auto-organisation.

On peut voir cela comme un “temps thermodynamique généralisé” où le critère n’est pas l’entropie physique, mais la cohérence structurelle des patterns.


3. Émergence de l’espace à partir des couplages

(S) L’axiome de couplage permet de définir une notion de proximité entre structures.
Soient a et b deux configurations partielles. On définit leur couplage :

 c = a ⊗ b 

On suppose que la compression est mesurable par une fonction L (longueur descriptive). Le “gain de compression” obtenu par le couplage est alors :

 gain(a, b) = L(a) + L(b) − L(a ⊗ b) 

On peut définir une pseudo-distance d(a, b) par :

 d(a, b) = 1 / (1 + gain(a, b)) 

Cette fonction satisfait les propriétés minimales d’une distance généralisée (distance nulle lorsque le gain de compression est maximal, distance importante lorsque les structures ne sont pas combinables efficacement).

(S) On peut alors parler d’un “espace émergent” dont la géométrie est donnée par la structure de d(a, b). L’espace n’est plus un conteneur préalable, mais l’expression de la compatibilité des couplages.

(A) Correspondance avec la cosmologie réelle :

  • Dans la relativité générale, la géométrie de l’espace-temps (sa courbure) est liée au contenu en énergie-impulsion.
  • Ici, la “géométrie” est liée au contenu en motifs et à leur compressibilité mutuelle.

(Sp) On peut spéculer que, dans un régime macroscopique, la structure de d(a, b) puisse se manifester comme métrique effective sur un espace-temps apparent de type FRW.


4. Particules et champs comme motifs stables

(S) On appelle “motif stable” toute configuration M telle que, sous l’action de la dynamique
F, elle reste proche d’elle-même :

 distance(F(M), M) < ε 

pour un ε petit (défini selon une métrique appropriée sur l’espace des configurations).

Ces motifs peuvent être vus comme des “quasi-particules” : ils se maintiennent dans le flux, se répètent, se transmettent.

(A) Correspondance avec la physique des champs :

  • En théorie quantique des champs, une particule est souvent interprétée comme une excitation stable d’un champ.
  • Ici, une “particule” est une excitation stable de la dynamique de couplage et de compression.

(Sp) Un champ pourrait être représenté par une famille de motifs structurellement analogues (satisfaisant une même classe de relations de couplage), la “masse” et la “charge” correspondant à des paramètres de stabilité et de connectivité dans ce réseau de motifs.


5. Les lois de la physique comme attracteurs de compression

(S) L’axiome de compression suggère que, parmi toutes les descriptions possibles d’un ensemble de motifs stables, le système favorisera les plus compactes. On peut formaliser la “loi” comme :

 Loi* = argmin_D L(D) 
       sous contrainte : D prédit au mieux les motifs observés 

Dit autrement, une loi est le programme le plus court décrivant et prédisant les motifs persistants. Elle n’est pas “donnée” a priori, mais émerge comme solution optimale dans l’espace des descriptions possibles.

(A) Correspondance avec la science réelle :

  • En pratique, la physique recherche des formulations de plus en plus compactes (équations, principes variationnels, symétries).
  • On retrouve ici cette logique de compacité comme principe fondamental, pas seulement méthodologique.

(Sp) À grande échelle, les “lois fondamentales” pourraient elles-mêmes être des attracteurs évolutifs dans l’espace des descriptions : l’univers se “réécrit” progressivement, tendant vers des lois plus compactes, sous contrainte de continuer à maintenir ses motifs stables.


6. Unification et symétries via l’analogie

(S) L’axiome d’analogie stipule que, si deux domaines D1 et D2 possèdent une structure
homomorphe, alors un même pattern peut s’y appliquer. Formellement :

 D1 ≃ D2  ⇒  transfert de pattern possible 

note une équivalence structurelle (au sens d’un isomorphisme ou homomorphisme entre graphes de couplage).

(A) Correspondance avec les symétries en physique :

  • Les symétries internes et externes (groupes de jauge, invariances de Lorentz, etc.) peuvent être vues comme des transformations qui préservent la structure des lois.
  • Dans le cadre GENESIS, ce sont des cas particuliers d’analogies stabilisées : des transformations pour lesquelles le coût descriptif et la prédictibilité restent optimaux.

(Sp) L’unification de forces distinctes (électrofaible, Grand Unified Theory, etc.) pourrait être interprétée comme le résultat d’une compression analogique réussie à large échelle : plusieurs familles de motifs sont décrites par un même schéma invariant plus compact.


7. Vie et conscience dans un univers GENESIS

Les points qui suivent sont explicitement spéculatifs, mais découlent de la logique interne du modèle.

(Sp) On peut définir :

  • Vie : région de l’univers où apparaissent des motifs qui :
    • (i) se reproduisent avec variation,
    • (ii) se maintiennent grâce à des couplages adaptatifs,
    • (iii) exploitent activement la compression pour économiser des ressources.
  • Conscience : régime où certains motifs développent une représentation interne d’eux-mêmes et de leur environnement, sous forme de patterns analogiques qui sont eux-mêmes soumis aux cinq axiomes.

Autrement dit, la conscience serait un sous-univers à l’intérieur de l’univers GENESIS, où la dynamique générale (survie, couplage, compression, analogie) se replie réflexivement.


8. Tableau de correspondance (très abrégé)

Cosmos Genesis Cosmologie/physique standard (analogie) Statut (S/A/Sp)
Itération C_{t+1} = F(C_t) Évolution dynamique (équations de champ, FRW, etc.) S
Temps = ordre de cohérence croissante Temps cosmologique / flèche du temps thermodynamique A
Distance d(a, b) définie via couplage/compression Métrique de l’espace-temps (courbure) A/Sp
Motifs stables M Particules / excitations de champ A
Loi = description minimale prédictive Équations fondamentales, principes variationnels A
Analogie stabilisée Symétries, invariances A/Sp
Régimes ultra-structurés, auto-référents Vie, systèmes cognitifs, conscience Sp

Cet appendice ne doit pas être lu comme une théorie complète du cosmos, il constitue une charpente : un schéma minimal montrant comment, à partir des cinq principes fondamentaux (priors) de GENESIS, il est possible de reconstruire (au moins qualitativement) un univers doté de temps, d’espace, de particules, de lois, et potentiellement de vie et de conscience.

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2 réponses à “Esquisse d’un univers généré par GENESIS : la fable et les maths”

  1. Avatar de sextusempiricus
    sextusempiricus

    Et si l’ apparition de l ‘ humanité et sa propension a se croire nécessaire n ‘ étaient qu ‘ une  » autofiction  » .
    L ‘ Univers existe et a existé sans les humains . Les humains sont capables d ‘ essayer de comprendre voir de définir les principes qui régissent le fonctionnement de l ‘ univers et c ‘ est l ‘ essence de la science mais cela ne garanti pas la survie de l ‘ espèce humaine . On en revient toujours au principe anthropique : une aporie . D ‘où les religions et autres idéologies .

  2. Avatar de PAD
    PAD

    En vous lisant, j’ai repensé à un très vieux mythe crétois, dans la grotte du mont Ida, le cri du nouveau-né Zeus n’aurait jamais survécu sans les Courètes qui, en dansant et frappant leurs boucliers, transformèrent ce cri fragile en motif stable. Un bruit protégé par un rythme, première forme du monde.

    Votre univers GENESIS semble dire la même chose, mais avec les équations
    d’aujourd’hui, qu’une forme ne naît que si le hasard trouve soudain un allié, qu’un instant ne dure que si quelque chose, quelque part, le soutient, qu’une émergence n’apparaît qu’au point précis où l’énergie cesse de se perdre et où la cohérence commence à tenir.

    Dans le mythe, ce moment engendre un dieu ; dans votre texte, il engendre un univers.

    Et dans l’un comme dans l’autre, c’est le même frémissement que l’on reconnaît, l’instant où quelque chose de vulnérable devient assez organisé pour continuer d’être.

    En refermant votre billet, je me suis surpris à penser que les Courètes, eux aussi, dansaient déjà C₁ ∩ C₂, bien avant que nous sachions lui donner un nom 🙂

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